mercredi 30 décembre 2015

POLITIQUE ET EXCEPTION CHEZ ALAIN BADIOU

  • ENS Éditions
  • ENS de Lyon
Notes

Exception et révolution. Sur la dialectique de l’exception chez Alain Badiou

Pierre Sauvêtre
p. 107-122

Texte intégral

1Les rapports entre l’exception et la révolution méritent aujourd’hui d’être pensés à nouveaux frais. La révolution ne peut plus en effet être simplement conceptualisée sous la catégorie de l’état d’exception révolutionnaire comme état transitoire vers un nouvel ordre (un autre État ou une société sans État) en rupture avec les normes constitutionnelles de l’État de droit libéral. C’était dans cette direction que Lénine avait théorisé la « dictature du prolétariat » comme pratique révolutionnaire de la négation institutionnelle de la démocratie dont il s’agissait pour autant de faire advenir finalement la réalité véritable. Comme l’a souligné Carl Schmitt, l’état d’exception est en ce sens la négation de sa propre finalité au nom de cette finalité (Schmitt, 2000, p. 18).
2Mais, dans la conjoncture contemporaine, ce type de théorisation n’est plus possible car il n’y a plus à strictement parler d’État de droit libéral, mais seulement, selon la formule proposée par Giorgio Agamben, la réalité de l’« État d’exception » (Agamben, 2003), c’est-à-dire non pas un État où la Constitution serait temporairement suspendue avant un retour à l’état normal, mais un État où la suspension de l’ordre légal est devenue le régime normal et permanent de l’activité politique, et sans qu’il ne soit plus fait référence à une norme ultérieure qui en fournirait la justification.
3Le champ d’application de la notion d’exception semble donc s’être déplacé de la révolution à l’État (selon un retournement dont il convient d’esquisser la généalogie philosophico-pratique), et l’on ne se sert plus guère, dans la conjoncture contemporaine, de l’exception que pour analyser les formes et les activités des États sécuritaires. C’est le cas de Giorgio Agamben ou d’Antonio Negri dans le sillage de Carl Schmitt.
4La visée de ce texte est donc de se demander si la notion d’exception peut être encore utile pour penser la révolution. Mais il faut alors en proposer une autre théorisation que celle de l’état d’exception révolutionnaire comme pratique transitoire qui vise un nouvel ordre historico-politique en passant par son contraire. C’est ce qui est à l’œuvre chez Alain Badiou, qui donne la possibilité de concevoir un procès dialectique immanent de l’exception révolutionnaire, dans lequel l’exception se mue en un nouvel ordre sans se supprimer elle-même, mais dans son développement immanent. On présentera les principales articulations de sa pensée de l’exception, puis on tentera de la confronter aux débats actuels sur la formation d’un « état d’exception planétaire » pour mettre en perspective son intérêt dans la conjoncture contemporaine, eu égard à la relance d’une politique d’émancipation révolutionnaire.

Miracle ou procès dialectique de l’exception ?

5Il n’est pas ici envisageable de rentrer dans l’explicitation du système métaphysique de Badiou à l’intérieur duquel se déploie sa pensée de l’exception. On retiendra simplement que ce dernier conserve du structuralisme l’idée que dans la situation normale de l’être, celle qui n’a pas été supplémentée par l’arrivée d’un événement, il n’y a pas de sujet, mais seulement des « animaux humains » soumis à des structures. C’est seulement à travers l’apparition d’un événement étranger à la structure qu’un sujet peut se former. La vérité et le sujet n’existent que dans les conséquences d’un événement et sont donc qualifiés de « post-évènementiels » ; la vérité est matérialisée par l’action d’un sujet fidèle à l’événement.
  • 1  Colin Wright (2008) développe l’opposition du concept d’événement chez Badiou au concept d’excepti (...)
  • 2  L’« état de la situation » renvoie au vocabulaire ontologique de L’être et l’événement (Badiou, 19 (...)
6Comment la catégorie de l’exception s’articule-t-elle alors au système de Badiou ? Elle prolifère dans son œuvre sans pour autant faire l’objet d’une fixation conceptuelle, de sorte que même les commentateurs ne s’y sont pas véritablement attardés1. Elle y joue pourtant un rôle clé dans la mesure où elle permet de saisir la dimension dialectique (de négation et de contradiction) de son système. L’exception est l’opérateur dialectique qui identifie le rapport des conséquences de l’événement (c’est-à-dire de l’ensemble formé par l’événement, le sujet et la vérité) à l’état normal de la situation ou au monde2.
  • 3  « Si l’on convient d’appeler “Idée” ce qui à la fois se manifeste dans le monde – dispose l’être-l (...)
7Le titre de la série des deux principaux ouvrages de Badiou, L’être et l’événement, pourrait suggérer que l’événement est la pure apparition révolutionnaire propre à subvertir les lois réglées de l’être. Badiou opposerait l’être et l’événement, la norme et la subversion, la loi et la révolution, cette vision dualiste alimentant alors une confusion entre l’événement et l’exception comme ce qui se trouve en dehors de la règle. Or l’événement et l’exception ne se confondent pas, bien qu’ils soient étroitement articulés. On peut en effet aussi bien parler d’exception, hormis à propos de l’événement, pour ce qui a trait au sujet, à la vérité ou encore à l’Idée3. L’exception est une opération dialectique à travers laquelle une possibilité ouverte par l’événement, c’est-à-dire soustraite aux lois du monde, est forcée à y être incluse, à s’inscrire et à se matérialiser à l’intérieur de celui-ci. Elle est une incorporation dans le monde d’une « adjonction aléatoire au monde » (Badiou, 2009b, p. 172). Cette inclusion externe peut permettre de qualifier le mouvement de l’émancipation comme un procès dialectique matérialiste de l’exception, très loin du « miracle de l’événement » diagnostiqué par Daniel Bensaïd (2001). Badiou a qualifié de « gauchisme spéculatif », pour s’en distinguer, la position consistant à faire coïncider la politique de l’émancipation avec l’apparition eschatologique ou miraculeuse de l’événement :
  • 4  Sur le « gauchisme spéculatif », voir Bosteels (2009, p. 173-197).
On peut appeler gauchisme spéculatif4 toute pensée de l’être qui se soutient d’un commencement absolu. Le gauchisme spéculatif imagine que l’intervention ne s’autorise que d’elle-même, et brise avec la situation sans autre appui que son propre vouloir négatif. […] [C]’est à une hypostase manichéenne que conduit inéluctablement, dans tous les ordres de la pensée, l’imaginaire du commencement radical […]. C’est ignorer que l’événement lui-même n’existe qu’autant qu’il s’est soumis, […] à la structure réglée de la situation […]. Ce que nous enseigne la doctrine de l’événement est plutôt que tout l’effort est d’en suivre les conséquences, non d’en exalter l’occurrence. (Badiou, 1988, p. 233-234)
8L’événement, qui est toujours local et localisable, c’est-à-dire qu’il ne concerne jamais une situation dans son ensemble, se soumet à la situation. La pensée de l’événement porte alors de manière centrale non pas sur la création (ou la décision) ex nihilo d’une situation entièrement nouvelle mais bien plutôt sur les conséquences produites par l’inscription d’un événement localisé à l’intérieur d’une situation existante.
9La notion d’exception indique alors précisément le fait que les conséquences de l’événement sont situées dans un monde donné : il n’y a de sens à parler d’exception qu’en relation au cas normal avec lequel on partage une base identique d’indexation, tout en s’y rapportant différemment :
Il n’y a pas d’événement du monde. Il y a des événements dans le monde. Il y a des césures locales. […] Mais il se trouve que les conséquences d’une exception sont entièrement situées dans un monde. […] On est toujours dans le même monde. Les conséquences de la coupure ont certes un statut d’exception par rapport à ce qui ne dépend pas de la coupure. Mais il va falloir démontrer que ces conséquences sont organisées selon la logique générale du monde lui-même. (Badiou et Tarby, 2010, p. 145-146)
10Il n’y a pas de sens à penser une exception en tant qu’extériorité globale à la situation. Il s’agit d’une exception aux lois du monde, dans la mesure où le reste du monde (et, bien souvent, la plus grande partie de celui-ci) ne dépend pas de l’événement, continue à ne pas dépendre de lui après son arrivée : d’une part parce que l’événement est localisé, et d’autre part parce qu’il est une trace évanescente à laquelle l’individu peut décider de s’incorporer, entrant ainsi dans un devenir-Sujet, ou de ne pas s’incorporer (déniant l’existence même de l’événement). L’exception est une exception vis-à-vis des régions du monde qui suivent la loi du monde car elle existe dans le même monde mais en tirant sa loi de l’hétéronomie de l’événement qui est en « excès » sur le monde (ibid., p. 145), de sorte que « toute exception aux lois est le résultat d’une loi d’exception » (Badiou, 2009a, p. 87).
11Prenons l’exemple politique de la Commune de Paris – entre le 18 mars 1871, jour d’une impressionnante mobilisation du peuple de Paris qui empêche les militaires de s’emparer des canons de la garde nationale, et le 28 mai 1871, qui achève la « semaine sanglante » où plus de 20 000 ouvriers sont massacrés par l’État. En tant qu’exception, elle introduit une division, une contradiction dans le monde :
Nous avons donc un monde divisé, dont l’organisation logique, ce qu’on peut appeler dans le jargon philosophique l’organisation transcendantale, accorde les intensités d’existence politique selon deux critères antagonistes. En ce qui concerne les dispositions légales, électorales, représentatives, on ne peut que constater la prééminence de l’assemblée des ruraux légitimistes, du gouvernement capitulard de Thiers et des officiers de l’armée régulière qui, s’étant fait sans trop insister rosser par les soldats prussiens, rêvent d’en découdre avec les ouvriers parisiens. […] Du côté de la résistance, de l’invention politique, de l’histoire révolutionnaire française, il y a le fécond désordre des organisations ouvrières parisiennes, où s’entremêlent le comité central des vingt arrondissements, la Fédération des chambres syndicales, les quelques membres de l’Internationale, les comités militaires locaux… (Ibid., p. 159-160)
12Ce qui domine dans la société française de 1871, c’est « la conviction majoritaire de l’inexistence d’une capacité gouvernementale ouvrière » (ibid., p. 160). Or, le 18 mars surgit « l’apparition de l’être-ouvrier – jusqu’à ce jour symptôme social, force brute des soulèvements ou menace théorique – dans l’espace de la capacité politique et gouvernementale » (p. 161). C’est à l’événement de cette capacité gouvernementale qu’est fidèle la déclaration politique du Comité central de la garde nationale, partout distribuée le 19 mars : « Les prolétaires de la capitale, au milieu de la défaillance et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques » (p. 156). Et la vérité de la Commune sera l’ensemble des pratiques que le rassemblement des organisations ouvrières et du peuple de Paris comme sujet va entreprendre sous cette conviction. C’est bien finalement au même monde que les Versaillais et l’exception des communards font référence, mais celui-ci est désormais divisé selon deux convictions antagonistes.
13Parce qu’elle est synonyme de division, la notion d’exception chez Badiou est une notion dialectique, c’est-à-dire contradictoire et agissante :
… la catégorie d’exception est une catégorie dialectique, la pensée de l’exception ayant toujours lieu sur deux versants contradictoires. Il faut penser une exception comme une négation, puisqu’elle n’est pas réductible à ce qui est ordinaire, mais il faut aussi ne pas la penser comme miracle. Il faut donc la penser comme interne au processus de vérité – non miraculeuse – et la penser malgré tout comme exception. C’est peut-être ce que Lacan voulait signifier par « extime » : à la fois intime et extérieur à l’intime. Or, on est bien là dans le noyau de la dialectique. (Badiou et Tarby, 2010, p. 146-147)
  • 5  Dans L’être et l’événement, Badiou justifie notamment la possibilité d’un excès inassignable – don (...)
14La contradiction immanente à l’exception, à la fois interne et externe, selon laquelle elle nie le monde dans le monde, en fait le moteur du procès dialectique vers l’émancipation. Ce mouvement est celui à travers lequel l’« extériorité » de l’exception ou sa dimension d’excès5 sont mises à l’épreuve de l’intériorité du monde et entrent en conflit avec les lois qui régissent son apparaître. L’émancipation ne consiste donc pas dans l’attente patiente de l’événement, mais dans les tentatives inlassables de la « taupe » événementielle pour « creuser », orientée par l’Idée d’un autre monde possible (en politique, l’Idée du communisme ou de l’égalité active), de nouvelles prescriptions idéologiques et pratiques, et pour, par là même, « ronger » celles qui assurent la reproduction de ce monde. C’est un travail d’universalisation de l’exception en milieu hostile (Badiou, 2009a, p. 107).
15Autrement dit, il y a loin du surgissement de l’événement à la formation émancipée d’un nouveau monde, c’est-à-dire un monde qui serait entièrement régi par la nouvelle loi de l’exception : il y a toutes les contradictions dialectiques rencontrées par l’exception soumise à la loi du monde, toutes les difficultés de l’intériorisation de l’excès qu’il faut à chaque fois reprendre. Il s’agit donc d’une politique de l’exception, l’exception n’étant pas une notion statique, mais une notion dynamique. Cette politique se matérialise dans un « corps exceptionnel » (Badiou, 2009b, p. 192) auquel s’agrègent les individus par affinité (par exemple le corps du parti communiste, au sens marxien du terme). Mais elle doit aussi véhiculer une représentation de l’exception adressée à ceux qui n’y sont pas inclus afin qu’ils s’y joignent. C’est la fonction de l’Idée :
  • 6  Il faut préciser ici un dernier élément important de la dialectique de l’exception. Tout l’effort (...)
L’histoire d’une vie est par elle-même, sans décision ni choix, une part de l’histoire de l’État, dont les médiations classiques sont la famille, le travail, la patrie, la propriété, les coutumes… La projection héroïque mais individuelle, d’une exception à tout cela […] veut aussi être en partage avec les autres, elle veut se montrer non seulement comme exception, mais aussi comme possibilité désormais commune à tous. Et c’est une des fonctions de l’Idée : projeter l’exception dans l’ordinaire des existences […]. Convaincre mes entours individuels, époux et épouse, voisins et amis, collègues, qu’il y a aussi la fabuleuse exception des vérités en devenir, que nous ne sommes pas voués au formatage des existences par les contraintes de l’État. (Badiou, 2009b, p. 199)6
16L’objectif de l’Idée est de faire grossir les rangs du « corps exceptionnel » dont le développement immanent à travers l’adoption de pratiques et de pensées hétérogènes fait coïncider la construction d’un nouvel ordre du monde avec la destruction des facteurs de reproduction de l’ordre « ancien » car « l’ouverture d’un espace de création exige la destruction » (Badiou, 2006, p. 418). Le nouvel ordre n’est finalement que l’institutionnalisation et la stabilisation de la pratique révolutionnaire orientée par l’exception en tant qu’elle est matérialisée dans un corps collectif.

De la dictature du prolétariat à l’État d’exception

  • 7  Dans ce contexte, le « camp » est l’espace paradigmatique de la modernité « biopolitique » : camps (...)
17On peut considérer avec intérêt le procès dialectique de l’exception révolutionnaire chez Badiou au regard des analyses contemporaines sur la généralisation de « l’état d’exception » chez Agamben et Negri. Elle en fournit aussi bien le contrepoint théorique – parce qu’il s’agit d’analyser l’exception du côté de la révolution et non du côté de l’État – que le complément pratique – précisément dans sa tentative de soustraire l’exception à la logique de l’État. Chez ceux-là, l’état d’exception, dans le sillage de Carl Schmitt, est pensé comme ce dispositif juridique paradoxal qui permet d’inscrire dans le droit ce qui est extérieur à lui à travers la suspension de l’ordre juridique lui-même (Agamben, 2003, p. 58). La thèse d’Agamben consiste alors à établir, à partir du jugement de Benjamin (2000b, p. 433) selon lequel l’état d’exception est devenu la règle (Agamben, 1997, p. 20 ; 2003, p. 98), que de mesure provisoire et accidentelle, il devient à notre époque – et cette tendance s’est renforcée avec la multiplication des législations d’exception par les exécutifs des États contemporains consécutive au 11 septembre 2001 – « le paradigme de gouvernement dominant dans la politique contemporaine » (Agamben, 2003, p. 12), capable d’inclure en lui la vie et de la soumettre au droit de vie et de mort par l’État7. Non seulement l’état d’exception devient permanent, atteint son plein développement à l’échelle planétaire mais il fait figure désormais de technique de gouvernement et non de simple mesure exceptionnelle, ce qui l’autorise à parler d’« État d’exception ». Pour Negri et Hardt, la disparition récente du cadre juridique de limitation des conflits armés entre États souverains a donné naissance à un nouveau paradigme de la guerre, celui de « l’état d’exception global » (Negri et Hardt, 2004, p. 23) qui caractérise pour eux la nouvelle situation internationale dans laquelle guerre et paix rentrent dans une zone d’indistinction. Elle est marquée par une « guerre civile globale » dans laquelle chaque guerre civile locale est reliée à l’ensemble des autres théâtres d’opérations et vise moins à s’emparer de la souveraineté d’un État qu’à établir une position de domination relative au sein des hiérarchies du système global qui la détermine (ibid., p. 16). Là où la dialectique de l’exception est locale, dynamique et révolutionnaire chez Badiou, l’état d’exception est global, fixiste et juridico-étatique selon Agamben ou Negri et Hardt.
18Pour tenter de souligner la portée de la conception badiousienne dans cette conjoncture, il faut d’abord revenir sur quelques éléments de la généalogie philosophique des rapports entre l’exception, la révolution et l’État. Une remarque de Schmitt dans le texte qu’il a consacré à « la dictature dans la pensée marxiste » prend ici toute son importance. Comme le précise Agamben, dans les premiers écrits de Schmitt, « l’état d’exception est présenté à travers la figure de la dictature » (Agamben, 2003, p. 56) en tant que forme institutionnelle qui pose le problème de la réalisation de la norme de droit à travers la suspension du droit lui-même. Une partie de son texte s’intitule « Dictature et évolution dialectique », qu’il oppose l’une à l’autre :
Il subsiste assurément une difficulté à vouloir relier évolution dialectique et dictature. Car la dictature est apparemment une interruption dans la suite continue de l’évolution, une intervention mécanique dans l’évolution organique. Évolution et dictature semblent s’exclure mutuellement. […] L’essentiel est que jamais n’intervienne de l’extérieur, en dehors de l’immanence de l’évolution, une exception. (Schmitt, 1988b, p. 70)
  • 8  Badiou a utilisé pour la première fois à notre connaissance, dans son séminaire du 24 novembre 201 (...)
19La dialectique, pensée comme évolution immanente, et la dictature comme exception, sont antinomiques selon Schmitt ; l’exception est ce qui rompt l’évolution dialectique. La dictature du prolétariat en tant qu’exception, état d’exception révolutionnaire, est pour Schmitt ce qui permet de rattacher le marxisme à l’idéologie juridique et à la souveraineté étatique en bloquant le processus dialectique. Or, le propre de la pensée de Badiou sur l’exception est au contraire de parvenir à penser une « exception immanente »8par le biais de l’événement, qui puisse donc s’incorporer au procès dialectique lui-même ; c’est d’en faire une exception dialectique qui dès lors se soustrait à l’opération schmittienne de « dé-dialectisation » de la dictature du prolétariat par l’intermédiaire de l’état d’exception, et au profit de la souveraineté étatique.
20Il importe de considérer avec attention l’hypothèse schmittienne de ce qu’on peut appeler une « étatisation de la dictature du prolétariat » qui est solidaire d’une conception de l’exception dont se distingue celle de Badiou. La dictature du prolétariat, chez les marxistes classiques (Marx, Engels et Lénine), n’est pas une forme d’État ou une forme de gouvernement, elle n’est pas une forme institutionnelle et juridique, mais le processus révolutionnaire de la lutte des classes en tant qu’il mène au communisme, c’est-à-dire à la société sans classe et sans État. Elle est un mouvement dialectique, contradictoire en tant qu’il est confronté à l’antagonisme du capital et au pouvoir d’État de la classe dominante bourgeoise. Elle n’est pas la prise du pouvoir d’État, mais elle suppose sa détention et sa destruction parce que la domination de classe de la bourgeoisie s’exerce aussi par le biais du pouvoir d’État, qui est donc le support de la dictature de classe de la bourgeoisie, et entre ainsi dans le champ de la lutte des classes : « La seule “alternative” historique possible au pouvoir d’État de la bourgeoisie, c’est la détention du pouvoir d’État, d’une façon tout aussi absolue, par le prolétariat, la classe des travailleurs salariés exploités par le capital » (Balibar, 1976, p. 41). Dans l’avant-propos de 1921 à La dictature qui fait écho au texte sur la « dictature dans la pensée marxiste », Schmitt répète que « l’évolution est “immanente” » pour le marxisme, qu’« on ne peut “faire” mûrir de force les conditions parce que, dans cette évolution organique, une intervention artificielle, mécanique, serait dénuée de sens pour un marxiste » (Schmitt, 2000, p. 17). Puis il ajoute :
Mais l’argumentation bolchevique voit dans l’activité de la bourgeoisie […] une intervention extérieure sur l’évolution immanente, un obstacle mécanique qui barre la route de l’évolution organique et qui doit être aussi éliminé par des moyens également mécaniques et extérieurs. Tel est le sens de la dictature du prolétariat qui est une exception aux normes de l’évolution organique […]. (Ibid.)
21Schmitt interprète la dictature du prolétariat comme l’instance de l’exception extérieure à la dialectique de la lutte des classes. Il cherche ainsi à la résorber dans la décision du souverain sur l’état d’exception.
  • 9  Et Schmitt de faire référence à plusieurs reprises au mot d’Engels dans l’Adresse du Comité centra (...)
  • 10  Sur ce point, voir aussi Slavoj Žižek, « Revolutionary Terror from Robespierre to Mao » (2008, p.  (...)
22C’est dans cette visée qu’il insiste sur la filiation entre la dictature du prolétariat et la dictature souveraine du Comité de salut public pendant la Révolution française : « la dictature du prolétariat […] présuppose le concept de dictature souveraine tel qu’on le trouve au fondement de la théorie et de la pratique de la Convention nationale » (ibid., p. 205)9. Par là, il entend souligner que la dictature du prolétariat s’inscrit dans la tradition de renforcement de l’unité de l’État souverain par sa capacité à « éliminer tout groupement social au-dedans de l’État » (ibid., p. 203). Au crédit de Schmitt, il a en effet été remarqué, notamment par Étienne Balibar, qu’« à l’intérieur du marxisme, chez Lénine ou Mao, l’héritage de la Révolution française est crucial pour le modèle de la pratique politique révolutionnaire […] de sorte qu’on a là une logique révolutionnaire qui s’inscrit dans l’horizon général d’une problématique de la souveraineté »10 (Balibar, 2010c, p. 232). Plus profondément encore, continue celui-ci,
… la grande formule médiévale qui dit que « le souverain est dégagé de l’obéissance à la loi » (princeps legibus solutus est) […] se retrouve sous une forme quasiment identique dans la définition théologico-politique de la souveraineté chez Schmitt (« le souverain est celui qui décide de l’état d’exception ») et dans les phrases de Lénine sur la dictature du prolétariat comme processus par lequel une classe détruit le pouvoir d’une autre, voire en élimine historiquement une autre en se plaçant au-dessus des lois. (Ibid.)
23Lénine l’indique en effet dans une phrase qu’il répète sans cesse : « La dictature révolutionnaire du prolétariat est un pouvoir conquis et maintenu par la violence, que le prolétariat exerce sur la bourgeoisie, pouvoir qui n’est lié par aucune loi […]. La dictature est le pouvoir absolu, au-dessus de toute loi, de la bourgeoisie ou bien du prolétariat » (Lénine, cité par Balibar, 1976, p. 51-52). Si Lénine veut signifier par là que le pouvoir d’État qui se sert du droit n’est pas fondé sur le droit mais sur un rapport de forces historiques entre les classes, Schmitt opère un retournement interprétatif en établissant un lien entre la dictature révolutionnaire et, comme l’observe à nouveau Balibar, « la nécessité pour le souverain qui “décide sur la situation d’exception” de préserver l’État au détriment du droit positif » (Balibar, 2010a, p. 328). L’opération schmittienne consiste finalement à voir la dictature du prolétariat, en tant qu’exception aux normes de la dialectique, au service de la garantie de l’État plutôt que du passage vers la société sans État.
24Quelles conséquences peut-on finalement tirer de l’hypothèse schmittienne de « l’étatisation de la dictature du prolétariat » ? La première est qu’on peut donner raison historiquement à Schmitt dans la mesure où les théorisations bolcheviques ont abouti dans leur déviation stalinienne à un renforcement de l’État et un abandon de la lutte des classes comme moteur des transformations révolutionnaires (Balibar, 1976, p. 27-36). La seconde porte sur l’abandon de la notion d’exception relative à la dictature du prolétariat, celle qui stipule que « la dictature […] en tant qu’exception […] continue d’être placée sous la dépendance fonctionnelle de ce qu’elle nie » (Schmitt, 2000, p. 17), que « par la dictature est précisément niée la norme dont la domination doit être assurée dans la réalité historico-politique » (ibid., p. 18). Cette notion d’exception en tant que négation de sa propre finalité, négation qui doit se supprimer elle-même, qui donne son orientation à la dictature du prolétariat en tant que « dictature démocratique », négation institutionnelle de la démocratie dont elle est le moyen de réalisation, est invalidée par son absorption dans l’État, son incapacité à se supprimer elle-même en tant qu’exception. La troisième est le retournement schmittien de l’exception révolutionnaire pour construire son propre concept d’état d’exception.
25Agamben a en effet d’ores et déjà montré que le concept schmittien d’état d’exception était une tentative d’inscrire la violence révolutionnaire à l’intérieur du droit lui-même. Le dispositif de l’état d’exception élaboré dans la Théologie politique de 1922 (Schmitt, 1988a) est une réponse à l’affirmation par Walter Benjamin d’une violence révolutionnaire « pure », sans aucune relation avec le droit, dans son texte de 1921, (sur la) « critique de la violence » (Benjamin, 2000a). En tant que dispositif juridique d’inclusion de ce qui est extérieur au droit par la suspension du droit lui-même, l’état d’exception vise à réinscrire l’anomie, « la guerre civile et la violence révolutionnaire, c’est-à-dire une action humaine qui a renoncé à toute relation avec le droit » (Agamben, 2003, p. 101) à l’intérieur du droit lui-même. Tout en restant lié à l’ordre juridique, l’état d’exception permet au souverain de se délier de l’obéissance à la loi pour faire face à la violence révolutionnaire soustraite au droit. Ainsi que le remarque également Agamben,
… parmi les éléments qui rendent difficile une définition de l’état d’exception, figure certainement l’étroite relation qu’il entretient avec la guerre civile, l’insurrection et la résistance. Puisque la guerre civile est le contraire de l’état normal, elle se situe dans une zone d’indécidabilité par rapport à l’état d’exception, qui est la réponse immédiate du pouvoir d’État aux conflits internes les plus extrêmes. Au cours du xxe siècle, on a pu assister à un phénomène paradoxal qui a été judicieusement défini comme une « guerre civile légale ». (Ibid., p. 10-11)
26La formule de « guerre civile légale » éclaire la relation qu’entretient l’état d’exception schmittien avec l’exception révolutionnaire de la guerre civile et de l’insurrection, et notamment son rapport à Lénine. Celui-ci est en effet pour Schmitt le théoricien et le praticien de la guerre civile et de « l’ennemi de classe », celui qui a déplacé le concept de politique des antagonismes externes entre États et des guerres interétatiques du droit des gens européen classique vers les antagonismes internes entre partis de classe et la guerre civile révolutionnaire intra-étatique. De sorte que dans la conception de Lénine, l’État lui-même est transformé en « une arme de [la] lutte des classes » (Schmitt, 1992, p. 107) et il va jusqu’à « concevoir l’État comme l’instrument d’un parti ou un parti qui commande à l’État » (ibid., p. 302-303). En d’autres termes, Lénine introduit un dehors du droit à l’intérieur même de l’État et Schmitt suggère que ce dehors est moins utilisé en vue de la fin de l’État que pour la répression étatique de l’ennemi de classe capitaliste (ibid., p. 258). Le retournement schmittien opère alors en mettant explicitement dans l’état d’exception ce dehors du droit qu’est la guerre civile au service de la souveraineté étatique. Ainsi que l’affirme Étienne Balibar :
… c’est exactement ce déplacement léniniste […] qui forme le point de départ de Schmitt pour sa définition impolitique du « concept du politique », dans laquelle la souveraineté n’est plus identifiée à un ordre légitime normalisé, institutionnalisé, mais à la capacité d’instituer « l’état d’exception » au cœur même de l’État, c’est-à-dire de réprimer la lutte des classes de façon préventive, en sorte que la définition de « l’ennemi intérieur » – celui de la « guerre civile de classe » – est […] retournée, pour recréer le monopole de l’État et sa capacité de faire la guerre à ses ennemis extérieurs. (Balibar, 2010a, p. 243)
27Dans l’état d’exception, la guerre civile de classe léninienne est retournée en une « guerre civile légale » qui exerce une contre-violence préventive sur les soulèvements intérieurs.
  • 11  Rappelons que Lénine est aussi défini par Schmitt comme le théoricien d’une « guerre civile mondia (...)
28Il faut en conclure que les descriptions inspirées de Schmitt de l’« État d’exception » par Agamben et de l’« état d’exception global » par Negri et Hardt11 sont des formes d’inversions étatiques et antidialectiques des notions relatives à l’exception révolutionnaire. Pour le premier, l’État d’exception contemporain est une « guerre civile légale, qui permet l’élimination physique non seulement des adversaires politiques, mais de catégories entières de citoyens » (Agamben, 2003, p. 11). D’abord caractéristique du « totalitarisme moderne », elle se poursuit dans « la création volontaire d’un état d’urgence permanent […] devenue l’une des pratiques essentielles des États contemporains, y compris de ceux qu’on appelle démocratiques » (ibid.). Pour les seconds, l’état d’exception global est « une guerre civile globale » qui n’est cependant pas le fait d’un mouvement révolutionnaire mais des États reliés en réseau au sein des hiérarchies de domination relative du système global. Ces formes de l’état d’exception sont permanentes et la conception de l’exception qui leur est relative est antidialectique dans la mesure où elle ne prépare pas un ordre ultérieur de justice qui justifiait chez les révolutionnaires la mise en place de l’exception, mais se justifie au contraire par le maintien de l’ordre.

Auto-institution du communisme et destruction

29On aperçoit mieux, à partir de l’esquisse de la circulation, des transferts et des captures généalogiques de la notion d’exception entre la révolution et l’État, l’intérêt de renouveler la pensée de l’exception et la portée de la conception de Badiou. Certes, on ne peut plus penser la révolution comme état d’exception à l’État de droit parce que nous avons affaire non pas à celui-ci mais à l’« État d’exception ». Mais d’autant plus que c’est très précisément cet état d’exception révolutionnaire « classique » à l’État de droit qui a été capturé et retranscrit dans l’« État d’exception », non plus contre l’État mais comme moyen d’exercice du pouvoir d’État lui-même. La notion d’exception relative à la dictature du prolétariat comme processus de réalisation du communisme et de la démocratie qui passe par son contraire, comme négation institutionnelle – vouée à s’auto-supprimer – de sa propre finalité, n’est donc peut-être plus tenable. Son retournement antidialectique dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une guerre civile légale et mondiale permanente appelle à une ré-articulation des rapports entre exception et révolution.
30En termes plus philosophiques, il s’agit peut-être d’abandonner la dimension transitive de la « négation de la négation » à l’œuvre dans la dictature du prolétariat, car celle-ci prête le flanc à la critique schmittienne qui y voit une greffe extérieure de l’exception sur la dialectique de la lutte des classes. Avec Badiou, on peut penser plus encore qu’une exception dialectique, une « dialectique de l’exception », où l’exception est immanente au procès dialectique. Ainsi, l’exception n’est pas la figure d’une transition vers un nouvel ordre, mais d’une construction qui coïncide dans le procès dialectique avec l’affirmation du nouvel ordre ; on doit pouvoir la penser non pas comme opération d’auto-suppression transitoire mais comme opération immanente de construction contradictoire.
31C’est suivant cette distinction qu’on peut lire la prescription de Badiou selon laquelle « un des contenus de l’Idée communiste aujourd’hui – et cela contre le motif du communisme comme but à atteindre par le travail d’un nouvel État – est que le dépérissement de l’État est sans doute un principe qui doit être visible dans toute action politique » (Badiou, 2009b, p. 202). Cela revient à imaginer et à pratiquer, observe Étienne Balibar en faisant allusion à Badiou, « l’anticipation du communisme comme émancipation collective, au sein du mouvement et des institutions ou organisations qui le préparent. C’est toute la question d’une auto-institution du communisme par les “communistes” eux-mêmes, dans leurs propres rapports d’organisation, en vue de sa généralisation révolutionnaire à toute la société » (Balibar, 2010b). La norme de référence du nouvel ordre doit être une production interne de la pratique révolutionnaire. Et Balibar de préciser :
Le seul fait de poser cette question constitue une rupture avec la tradition de la « dictature du prolétariat », telle qu’elle s’est théorisée après Lénine, puisque celle-ci repose sur l’idée apocalyptique d’un avènement de la démocratie absolue qui passe par son contraire, et même par sa négation institutionnelle. Mais inversement l’idée d’une institution de lutte pour le communisme qui doit par avance le réaliser en elle-même (ou en préfigurer l’avènement) renvoie, à travers les « associations » du socialisme utopique, à la politique messianique des premières communautés chrétiennes (qui sont sans doute aussi, en Occident, les premiers lieux de cristallisation de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’hypothèse communiste »). (Ibid.)
32Cette auto-institution du communisme est-elle pour autant suffisante ? Et est-elle compatible avec l’affirmation de Badiou selon laquelle la politique d’émancipation s’accompagne toujours de « moments de terreur » (Badiou, 2006, p. 98) ? Elle ne répond pas en elle-même au problème de sa généralisation révolutionnaire à toute la société, qui doit affronter la réalité de l’État d’exception en tant que présence de la violence illimitée dans l’ordre légal contemporain. Car ce que traduit l’État d’exception, c’est que les « démocraties » contemporaines sont dans un « seuil d’indétermination » avec le totalitarisme (Agamben, 2003, p. 11), ou qu’elles ont aussi bien la « forme de la dictature » (Žižek, 2008, p. 412-413), tout au moins qu’elles comportent une « face d’exception » (Balibar, 2010a, p. 328). Comment faire face à un tel contexte sans l’élément de contre-violence auquel pourvoyait l’unité organique du Parti dans la dictature du prolétariat ?
33La position de Badiou est celle d’une nouvelle articulation de l’égalité et de la terreur ou de l’auto-institution du communisme et de la destruction. Il ne s’agit plus d’exercer la terreur ou la destruction au nom de l’égalité ou du communisme à venir, mais de détruire dans la mesure même où l’on pratique l’égalité. Autrement dit, la destruction doit être immanente au processus pratique d’affirmation de l’égalité, elle doit résulter de la formation de l’exception égalitaire. Si l’on conserve la formule de « dictature démocratique » utilisée par Lénine pour qualifier la dictature du prolétariat, il s’agit moins d’insister sur l’élément de la dictature en faisant de la démocratie un simple horizon, que sur l’élément démocratique – suivant son acception révolutionnaire égalitaire et non en tant que strict procédé électoral suivant son acception libérale – qui, poussé dans ses ultimes conséquences, rencontre nécessairement un passage par la violence dictatoriale qui se mesure à l’élément dictatorial (de violence irréductible) de l’État d’exception lui-même. En ce sens, on pourrait être tenté d’inverser la formule de Lénine dans celle de « démocratie dictatoriale ». La pratique politique correspondante, en tant que pratique démocratique, devrait, quoi qu’il en soit, échapper à la reproduction d’inégalités et de hiérarchies à l’intérieur du camp de l’émancipation, fût-ce au nom de l’avancement de la révolution. Cela revient finalement à opposer plutôt que la dictature du prolétariat à la dictature de la bourgeoisie, une pratique de l’exception démocratique révolutionnaire à « l’état d’exception planétaire » qui, sous couvert de « démocratie », organise les existences contemporaines.
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Bibliographie

Agamben Giorgio, 1997 [1995], Homo Sacer, I, Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil.
— 2003, Homo Sacer, II, 1, État d’exception, Paris, Le Seuil.
Badiou Alain, 1982, Théorie du sujet, Paris, Le Seuil.
— 1988, L’être et l’événement, Paris, Le Seuil.
— 2006, Logique des mondes. L’être et l’événement 2, Paris, Le Seuil.
— 2009a, Second manifeste pour la philosophie, Paris, Fayard.
— 2009b, L’hypothèse communiste, Paris, Lignes.
Badiou Alain et Tarby Fabien, 2010, La philosophie et l’événement, Germina.
Balibar Étienne, 1976, Sur la dictature du prolétariat, Paris, Maspero.
— 2010a, Violence et civilité, Paris, Galilée.
— 2010b, « Le genre du parti », [en ligne] [URL : http://www.ciepfc.fr/spip.php?article202], consulté le 12 décembre 2010.
— 2010c, « Pour une phénoménologie de la cruauté. Entretien avec Étienne Balibar », Tracés, no 19, p. 217-238.
Benjamin Walter, 2000a [1921], « Pour une critique de la violence », Œuvres III, Paris, Gallimard, p. 210-243.
— 2000b [1940], « Sur le concept d’histoire », Œuvres III, Paris, Gallimard, p. 427-443.
Bensaïd Daniel, 2001, Essai de taupologie générale, Paris, Fayard.
Bosteels Bruno, 2009, Alain Badiou, une trajectoire polémique, Paris, La Fabrique.
Callinicos Alex, 2008, « Alain Badiou et Slavoj Žižek ou les nouveaux penseurs de la dialectique ? », Actuel Marx, no 43, p. 154-162.
Deleuze Gilles, 1993, Critique et clinique, Paris, Minuit.
Negri Antonio et Hardt Michael, 2004, Multitudes, Paris, 10/18.
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— 1988b [1923], Parlementarisme et démocratie, Paris, Le Seuil.
— 1992 [1922], La notion de politique. Théorie du partisan, Paris, Flammarion.
— 2000 [1922], La dictature, Paris, Le Seuil.
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Žižek Slavoj, 2008, In Defense of Lost Causes, Londres - New York, Verso.
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Notes

1  Colin Wright (2008) développe l’opposition du concept d’événement chez Badiou au concept d’exception chez Schmitt, mais sans analyser le concept d’exception chez Badiou lui-même. Alex Callinicos (2008) rapporte que Badiou, dans une discussion, « a suggéré, en prenant quelques précautions, que deux types de dialectique sont possibles, l’une de la négation (Hegel) et une autre de l’exception (Badiou lui-même) » (p. 157). Il consacre dans son ouvrage une section à la « dialectique de l’exception » chez Badiou, mais sans préciser la signification de cette notion dans les ouvrages de l’auteur.
2  L’« état de la situation » renvoie au vocabulaire ontologique de L’être et l’événement (Badiou, 1988). C’est la manière dont les éléments de la situation sont présentés et représentés dans la structure. Le « monde » renvoie au vocabulaire logique (au sens d’une phénoménologie objective de l’apparaître) de Logique des mondes : un « monde » est spécifié par le concept de « transcendantal d’un monde » ou d’« organisation transcendantale » : c’est la structure d’ordre qui distribue le réseau des identités et des différences des intensités variables d’apparition des objets d’un monde (Badiou, 2006).
3  « Si l’on convient d’appeler “Idée” ce qui à la fois se manifeste dans le monde – dispose l’être-là d’un corps – et fait exception à sa logique transcendantale » (ibid., p. 532).
4  Sur le « gauchisme spéculatif », voir Bosteels (2009, p. 173-197).
5  Dans L’être et l’événement, Badiou justifie notamment la possibilité d’un excès inassignable – donc d’un événement – par le théorème du point d’excès selon lequel tout ensemble contient un nombre d’éléments inférieur au nombre de ses parties (Badiou, 1988).
6  Il faut préciser ici un dernier élément important de la dialectique de l’exception. Tout l’effort de Badiou pour penser la dialectique dans le sillage de Hegel et Marx depuis Théorie du sujet (1982) consiste à penser la contradiction non pas comme une simple opposition entre deux termes autonomes, mais toujours entre un terme dominant autonome et un terme dominé hétéronome capté sous la loi du premier. Dans Théorie du sujet, Badiou appelle « dialectique structurale » la superposition de la contradiction des forces à la structure des places (« l’esplace »). La contradiction ne se situe pas entre la bourgeoisie et le prolétariat mais entre la bourgeoisie et le prolétariat embourgeoisé (soumis à la structure des places contrôlée par la bourgeoisie). Le prolétariat en tant que tel (communiste) est « hors-lieu ». De sorte que la contradiction véritable implique toujours de se battre inséparablement contre l’adversaire, mais aussi contre son propre devenir-État. L’enjeu d’une dialectique de l’exception et de la catégorie d’exception est de permettre de penser cette double contradiction, contre le monde et contre soi-même dans le monde. Et sur ce point, il faut souligner la proximité de Badiou avec Deleuze qui, dans « Pour en finir avec le jugement », proposait de nouer un double combat, un « combat-contre » (« combat contre l’Autre ») et un « combat-entre » (« combat entre-Soi ») (Deleuze, 1993, p. 165).
7  Dans ce contexte, le « camp » est l’espace paradigmatique de la modernité « biopolitique » : camps de migrants, camps de réfugiés, camps humanitaires, camps de rétention dans leur lien structurel avec les camps de concentration et d’extermination comme espaces de souveraineté absolue sur la vie « nue ».
8  Badiou a utilisé pour la première fois à notre connaissance, dans son séminaire du 24 novembre 2010, la formule d’« exception immanente » : « Il faut que le monde admette une exception immanente, en sorte que le changement, dans ses conséquences, soit lui-même à l’intérieur au monde », [en ligne] [URL : http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/10-11.htm].
9  Et Schmitt de faire référence à plusieurs reprises au mot d’Engels dans l’Adresse du Comité central à la Ligue des communistes « selon lequel dans la dictature du prolétariat les choses se passeront comme en 1793 » (Schmitt, 1988b, p. 89 ; 2000, p. 205).
10  Sur ce point, voir aussi Slavoj Žižek, « Revolutionary Terror from Robespierre to Mao » (2008, p. 157-210).
11  Rappelons que Lénine est aussi défini par Schmitt comme le théoricien d’une « guerre civile mondiale » (Schmitt, 1992, p. 302) de partisans qui déroge au droit interétatique de la guerre.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Sauvêtre, « Exception et révolution. Sur la dialectique de l’exception chez Alain Badiou », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 20 | 2011, mis en ligne le 16 mai 2013, consulté le 31 décembre 2015. URL : http://traces.revues.org/5075 ; DOI : 10.4000/traces.5075
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Auteur

Pierre Sauvêtre

doctorant en sciences politiques au CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po, CNRS, IEP de Paris) et ATER à l’Université de La Rochelle

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