souffle au vent

samedi 28 juillet 2018

Une belle et percutante analyse de l'effet-sujet du capitalisme jusqu'a son âge contemporain et surtout sous son aspect massif : "le fétichisme de la marchandise" !






             in La Vie des Idées
  • Politique
  • Société
  • Économie
  • Art & littérature
  • International
  • Philosophie
  • Histoire
  • Essais
  • Recensions
  • Entretiens
Recension Société Philosophie

Les aventures du sujet

À propos de : Anselm Jappe, La société autophage. Capitalisme, démesure, et autodestruction, La Découverte

par Gaëtan Flocco , le 9 juillet

Mots-clés Télécharger l'article
Qu’advient-il du sujet lorsqu’il se définit par sa soumission au règne de la marchandise ? À partir des formes individuelles du narcissisme, Anselm Jappe poursuit ses réflexions sur la crise du capitalisme et met en évidence les mécanismes d’autodestruction du monde contemporain.
Le livre d’Anselm Jappe s’ouvre sur le rappel d’un mythe grec, celui d’Erysichthon. Ce dernier, roi de Thessalie, abattit un arbre bienfaiteur à l’aide duquel il fabriqua le plancher de son palais. Pour avoir commis ce sacrilège, il fut condamné à une faim insatiable par Déméter, la déesse des moissons. Le monarque en vint alors à s’autodétruire en dévorant son propre corps, ainsi que l’illustre l’effrayante couverture de l’ouvrage. A. Jappe voit dans ce mythe une allégorie de la manière dont les sociétés capitalistes et leurs membres détruisent la planète et s’autodétruisent dans leur production effrénée de richesses. L’auteur ambitionne de comprendre les logiques économiques, psychologiques et sociologiques qui animent le sujet moderne, à la suite de ses travaux consacrés à la création de valeur au sein du capitalisme contemporain [1]. Il prolonge ainsi les réflexions engagées depuis plusieurs années par plusieurs spécialistes de Marx [2] autour de la « critique de la valeur » (« wertkritik  »). Il s’appuie sur la synthèse et la discussion d’un vaste corpus de philosophes et de sociologues, aussi bien classiques que contemporains, complété par quelques éléments empiriques dans le dernier chapitre.

Le fétichisme de la marchandise et le sujet moderne

A. Jappe appuie son analyse sur l’hypothèse marxienne du fétichisme de la marchandise. L’expression renvoie au fait que, dans les sociétés contemporaines, la marchandise, qui résulte toujours du travail de l’homme, devient le principe de fonctionnement de la plupart des aspects de la vie humaine. Elle est ainsi dotée d’une double nature. L’une, concrète, renvoie à l’utilité qu’elle procure. L’autre, abstraite, correspond au temps passé à la réaliser et trouve ainsi son équivalent en argent. L’auteur souligne que la critique de la valeur a jusqu’à présent théorisé le fonctionnement de ce travail abstrait à l’échelle macrosociale des sociétés modernes, mais pas à l’échelle, individuelle et subjective, de leurs sujets. C’est l’objectif du livre que de combler ce manque pour montrer comment ce fétichisme de la marchandise est intériorisé par les individus, faisant du travail abstrait un « principe unificateur » (p. 18). Pour le justifier, A. Jappe rappelle combien les réflexions des penseurs des Lumières comme Descartes, Kant, Sade ou encore Schopenhauer étaient, chacune à leur manière, symptomatiques de l’affirmation progressive d’un sujet moderne guidé par la raison et le travail, et par conséquent, annonciateur d’un processus d’individualisation et de narcissisme.

Un « paradigme fétichiste-narcissique »

Le narcissisme compte justement parmi les concepts centraux du livre, que l’auteur appréhende grâce aux acquis de la psychanalyse. Conscient de la grande polysémie du terme, il explique que sa conception du narcissisme ne correspond ni à la définition commune que l’on s’en fait — comme égoïsme et amour démesuré de soi-même — ni au portrait du pervers narcissique en sociopathe préoccupé par sa seule valorisation. En s’appuyant sur la distinction établie par Freud entre narcissisme primaire et narcissisme secondaire, A. Jappe voit dans le narcissisme un trait commun à tous les individus des sociétés capitalistes. Il signifie que l’environnement immédiat est appréhendé comme le prolongement de soi ; par narcissisme, nous nions l’existence propre des objets qui nous entourent.
L’auteur s’inspire aussi des analyses du sociologue états-unien Christopher Lasch pour montrer que ce narcissisme est davantage synonyme de vide intérieur et d’inauthenticité que d’égoïsme et d’amour de soi. Il associe l’accroissement du narcissisme au développement sans précédent des technologies (p. 119). Celles-ci procurent en effet aux personnes à la fois un fantasme de toute-puissance par ce qu’elles permettent de faire et un sentiment d’extrême dépendance à leur égard. Surtout, le « paradigme fétichiste-narcissique » (p. 121) qu’érige A. Jappe suppose l’idée « de parallélisme ou d’isomorphisme » (p. 122) entre l’appétit insatiable du sujet narcissique et la poursuite sans frein de création de valeur. Et l’auteur de préciser que le problème n’est pas tant de savoir si la voracité et l’agressivité caractéristiques de ce narcissisme sont des attitudes naturelles et universelles, que de comprendre quelles sont les réponses historiques que les sociétés y ont apportées.

Les illusions du sujet et son autodestruction

A. Jappe illustre les traits principaux de l’individu narcissique en s’appuyant sur les travaux de Jean-Pierre Lebrun, Dany-Robert Dufour, Luc Boltanski et Ève Chiapello, Zigmunt Bauman, ou encore Alain Ehrenberg, qui mettent en évidence la diffusion d’une nouvelle idéologie du sujet promettant aux individus indépendance et liberté. Ces derniers s’estiment en effet libres de choisir, en amour, dans leur travail, dans leurs consommations quotidiennes, dans leurs loisirs, etc., notamment grâce à la technologie. Or, pour A. Jappe, cette liberté demeure illusoire, car
il existe plus de limites que jamais, plus de murs, plus de barrières électroniques, plus d’interdits, plus de « mesures de sécurité », plus d’états d’urgence. (p. 151)
La rhétorique de la liberté ne fait qu’inciter les individus à se soumettre pleinement au capitalisme moderne. Ils éprouvent malgré tout le sentiment d’être responsables de leurs réussites et, surtout, de leurs échecs.
Le livre s’achève sur l’une des conséquences du « parallélisme » entre création de valeur et narcissisme du sujet. Les travaux antérieurs de l’auteur ont montré que le capitalisme est entré dans une crise généralisée parce qu’il ne parvient plus à extraire autant de survaleur qu’autrefois. À ce dépérissement du capitalisme correspond une « crise de la forme-sujet » (p. 181) se traduisant par une montée de la dépression et du ressentiment dans la société, susceptible d’expliquer, selon l’auteur, une bonne part des tueries de masse perpétrées aujourd’hui dans le monde, par-delà les formes idéologiques et culturelles diverses qu’elles peuvent prendre. Habituellement, celles-ci sont, au mieux, imputées aux inégalités sociales et aux logiques d’exclusion. Au pire, elles sont analysées au prisme de la religion, en particulier de l’islam. Or, dans la continuité des travaux de Franco Berardi et Götz Eisenberg, A. Jappe étudie les liens entre ces pulsions de mort et nos modes de vie. Il explique que tout individu, y compris issu des classes moyennes supérieures, peut commettre de tels actes sans motif politique ou religieux, comme cela arrive dans les écoles et universités états-uniennes.
Plutôt que de considérer l’origine de ces actes comme le produit d’autres sociétés et cultures perçues comme régressives ou barbares, l’auteur montre que la régression et la barbarie se logent au cœur même des sociétés occidentales capitalistes. Le capitalisme a levé les barrières qui permettaient de contenir les pulsions de mort que l’on retrouve chez les individus, quelles que soient les sociétés et les époques. On mesure alors tout le sens de la comparaison avec le mythe d’Erysichthon. Ces tueries sans motif apparent répondent au sentiment de vide, d’inutilité existentielle et d’impuissance produite par le capitalisme technoscientifique. Elles aboutissent à l’autodestruction de l’espèce et font écho aux ravages qu’une économie de marché prédatrice fait subir à la planète.

Une critique économique et écologique

A. Jappe livre une critique à la fois économique et écologique de nos sociétés. L’« isomorphisme » entre création de valeur économique et voracité individuelle insatiable montre à quel point il est nécessaire de combiner ces deux types de critique plutôt que de les hiérarchiser ou de pratiquer l’une au détriment de l’autre. C’est le cas lorsque des approches marxistes prétendent traiter prioritairement les questions économiques, en pensant qu’une fois la croissance relancée et les richesses mieux réparties, il sera alors possible de s’atteler aux questions environnementales ; ou à l’inverse, lorsqu’on estime, à l’instar de certains mouvements écologistes, qu’il faut avant tout régler les problèmes environnementaux au sein même du capitalisme, sans se préoccuper de ce dernier. A. Jappe montre au contraire comment le développement de l’économie, ayant des ressorts en chacun des individus, va de pair avec leur autodestruction et celle des écosystèmes.

Un renversement d’analyse

La critique sociale a coutume de pourfendre un « capitalisme néolibéral », « postmoderne » ou « financiarisé ». Elle met alors en cause le rôle des politiques économiques et la financiarisation du capitalisme, dénonce les inégalités de classes et l’oligarchie au pouvoir ou encore, défend la centralité du travail contre la domination du capital. Une telle critique, répandue dans les mouvements de gauche, peut revenir à promouvoir une version prétendument moins prédatrice du capitalisme, et donc plus saine et plus juste, comme celle qui aurait prévalu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Prenant le contrepied de ces postures, le livre ouvre de nouvelles perspectives pour la critique sociale : une opposition sans concession au capitalisme et non pas seulement à sa forme historique, néolibérale ; la critique et du travail et du capital, perçus comme les « deux faces d’une même pièce » ; le rejet du caractère hégémonique de l’argent et du marché ; le refus du progrès technique avec la colonisation de notre quotidien par les objets numériques. Pour la critique de gauche, ces phénomènes paraissent tellement universels, presque naturels, qu’ils sont supposés impossibles à transformer. Au contraire, selon l’auteur, quelle que soit la forme historique prise par le capitalisme et ses catégories principales, celui-ci doit être intégralement contesté. En effet, A. Jappe estime que le capitalisme est « essentiellement, inévitablement, productiviste, tourné vers la production pour la production » (p. 234) et qu’il « a toujours été incompatible avec la dimension humaine ! » (p.149)

Affinités avec la théorie des champs

A. Jappe s’appuie dans son livre sur différents sociologues contemporains, tout en prenant ses distances avec le travail sociologique de Pierre Bourdieu. On peut néanmoins se demander si l’auteur est aussi fondé qu’il le suggère à se démarquer du sociologue. On perçoit bien sûr toute la différence entre leurs analyses respectives, notamment au sujet de la critique du néo-libéralisme que P. Bourdieu mena à la fin de sa vie. Pour A. Jappe, c’est le capitalisme qui doit être critiqué de manière inconditionnelle, avec ses catégories fondamentales que sont le travail, l’argent et la marchandise, et non pas seulement sa forme historique. Toutefois, au fil du livre, ce sont surtout des points communs entre les deux auteurs que l’on relève. Ainsi, lorsqu’A. Jappe souligne que « le fétichisme de la marchandise se situe en amont de toute séparation entre reproduction matérielle et psyché » (p. 22), on retrouve le projet cher à P. Bourdieu de dépasser l’opposition entre objectivisme et subjectivisme. Même chose dans ce passage où l’auteur, citant Marx, affirme que la domination du capitalisme n’est pas le fait de personnes, mais de structures impersonnelles, ce qui converge avec les principes mêmes de la théorie des champs. Enfin, le livre rappelle également à plusieurs reprises que la marchandisation nécessite d’être intériorisée par des individus autodisciplinés pour fonctionner, décrivant les mécanismes du concept d’habitus et de violence symbolique.

Un économicisme assumé ?

À plusieurs reprises, A. Jappe revendique une forme d’économicisme, au sens où « l’économie a colonisé toutes les sphères de la vie et soumis l’existence entière à l’exigence de rentabilité » (p. 19). Plus encore, il parle d’un « principe de synthèse » qui érige le travail abstrait comme lien principal entre les individus des sociétés modernes, dans lesquelles toute forme d’action est perçue à travers le prisme de la valeur et de l’argent.
Toutefois, dans son livre, l’auteur revient longuement sur les apports du « nouvel esprit du capitalisme » comme idéologie libérale ayant permis d’absorber les critiques qui furent adressées un temps aux sociétés modernes. Il souligne la force de nouvelles valeurs apparues à la fin des années 1960, telle que l’autonomie, la mobilité, l’ouverture aux autres, l’authenticité des relations, la réalisation de soi, etc., qui permettent de mobiliser les individus dans le capitalisme. De fait, Luc Boltanski et Ève Chiapello ont montré que la vision utilitariste des comportements humains, selon laquelle l’engagement des cadres dans le capitalisme aurait l’appât du gain comme motif principal, ne permettait pas de comprendre le « nouvel esprit » du capitalisme et les justifications morales et idéologiques de cet engagement. D’un côté donc, A. Jappe soutient tout au long du livre que la valeur économique a accaparé la subjectivité des individus modernes, occultant toute autre forme de rationalité. Mais de l’autre, il accorde dans sa démonstration une importance particulière au « nouvel esprit du capitalisme » dont la thèse principale est de contredire l’économicisme pour mettre l’accent sur les justifications morales et idéologiques des comportements. Il semble pourtant difficile de passer sans contradiction de l’un à l’autre de ces cadres explicatifs.
Plus largement, la position de l’auteur sur l’économicisme se situe à rebours de toute une tradition des sciences sociales – souvent appelée sociologie économique – qui s’est employée à montrer que le monde n’est pas seulement guidé par des logiques de valorisation économique telles que les ont théorisées les économistes néo-classiques et qu’en réalité, ces logiques s’articulent de façon complexe avec des considérations sociales, culturelles, morales, etc. A. Jappe ne dit rien de cette articulation, ni de cette tradition des sciences sociales, ne serait-ce que pour expliquer pourquoi il s’en distancie. Au contraire, il enfonce le clou :
Attribuer à tous les sujets, par principe, la poursuite d’intérêt rationnel et conscient est assurément une erreur que partage le marxisme avec les approches utilitaristes et libérales ; mais il faut reconnaître que l’« économicisme réellement existant » tente effectivement d’imposer de tels comportements à tous les sujets et ne constitue pas une vue de l’esprit. (p. 158)
Contribution majeure à la réflexion philosophique et théorique, La société autophage peut déstabiliser les tenants d’une conception strictement empirique des sciences sociales. Cette réserve est cependant largement dissipée par les questions cruciales qu’il soulève sur l’évolution de nos vies et de nos sociétés.
Recensé : Anselm Jappe, La société autophage. Capitalisme, démesure, et autodestruction, Paris, La Découverte, 2017, 248 p., 22 €.
Aucun commentaire:

vendredi 27 juillet 2018

POUR QUI VIENT A LA FAVEUR DU SOIR : CE QUI TIENT A LA SAVEUR D'ESPOIR !





Le 26-07-2018

POUR QUI VIENT A LA FAVEUR DU SOIR
CE QUI TIENT A LA SAVEUR D'ESPOIR


La plume avec la torpeur qui la ploie rongée
S'allume à l'heure où belle lumière la mouille
quand  pesanteur entière est par soir : allégée -
elle boit l'espoir là où la hauteur se rouille


Quand les joues du ciel dans le diamant de l'azur
jouent impatientes à souffler sur le futur
les amants du jour y ajoutent leurs prières
que s'anime leur route en ajours pour  lumière


D'aucun vent circonscrit ici – muse le temps...
Savante d'été incise de rosiers rouges :
Muse inscrite aux épines liées d'où s'étend
la page d'un présent aux djinns sans sang qui bouge...


Gouttelettes de mots pour tout le grand hasard
qui halètent au poumon du désir intime
tournent au moulin qui fait émaux du bel art :
mille ans de dire émanant des roues mues en rimes !
Aucun commentaire:

mercredi 25 juillet 2018

Denis Podalydès lit "Les Mots" écrits de J.P.Sartre qui éclairent particulièrement bien le cheminement de ce philosophe !


Aucun commentaire:

jeudi 19 juillet 2018

TOUT POUR LA DISCRIMINATION ! RIEN POUR L'AUTRE : LE PALESTINIEN : L'ENNEMI ! C'EST UNE VOLONTE DELIBEREE D'ANIHILATION !


Israël adopte une loi controversée pour se définir comme "l'Etat-nation du peuple juif"

Ce texte stipule notamment que l'hébreu devient la seule langue officielle d'Israël et déclare que les "implantations juives (en Israël) relèvent de l'intérêt national".
Un drapeau israélien flotte au-dessus de Jérusalem, le 12 février 2018.
Un drapeau israélien flotte au-dessus de Jérusalem, le 12 février 2018. (KRISTINA AFANASYEVA / SPUTNIK / AFP)
avatar
franceinfo avec AFPFrance Télévisions
Mis à jour le 19/07/2018 | 11:55
publié le 19/07/2018 | 07:49
720 partages
PartagerTwitterPartagerEnvoyer
LA NEWSLETTER ACTUNous la préparons pour vous chaque matin
image il y a 8 heures
Affaire Benalla : questions autour d'un scandale
Le Parlement israélien a adopté, jeudi 19 juillet, un projet de loi définissant Israël comme "l'Etat-nation du peuple juif". Le texte, adopté par 62 voix contre 55, entre dans la catégorie des lois fondamentales qui font office de Constitution dans cet Etat. "C'est un moment décisif dans l'histoire de l'Etat d'Israël qui inscrit dans le marbre notre langue, notre hymne et notre drapeau", s'est félicité le Premier ministre Benyamin Nétanyahou à l'issue du vote.
Le texte affirme que "l'Etat considère que le développement des implantations juives relève de l'intérêt national et que l'Etat prendra les mesures pour encourager, faire avancer et servir cet intérêt". Dans la précédente version, le projet de loi évoquait la possibilité de créer des localités exclusivement réservées aux juifs, ce qui en excluait les citoyens arabes israéliens. Ces derniers constituent 17,5% de la population totale israélienne.

L'hébreu seule langue officielle

Cette formulation avait suscité une vague de critiques, notamment de la part du président Reuven Rivlin, du procureur général Avishai Mandelblit et de la délégation de l'Union européenne en Israël, en raison de son caractère jugé discriminatoire. La nouvelle formule, plus vague, a toutefois été dénoncée par l'opposition. Le député arabe Ayman Odeh qui a brandi durant le débat un drapeau noir à la tribune pour marquer "la mort de notre démocratie".
La loi prévoit en outre que l'hébreu devienne la seule langue officielle d'Israël. Aucun texte n'avait été voté à ce sujet depuis la création de l'Etat en 1948. L'hébreu et l'arabe étaient jusqu'à présent tous les deux considérées comme des langues quasi-officielles, utilisées dans tous les documents étatiques.
A lire aussi
  • Gaza, l'art dans les ruines
  • Israël-Palestine : nouveaux raids israéliens sur Gaza en réponse à des tirs palestiniens
  • Israël ferme le seul point de passage de marchandises vers Gaza
  • A Jérusalem, une mannequin crée un scandale en posant nue près du mur des Lamentations
  • VIDEO. Elie Chouraqui : "Il y a, dans la presse francaise, un parti pris anti-israélien"
Aucun commentaire:

L'ESSENCE DE LA VILLE LUIT DANS LA VACANCE COMME EN MILLE ET UNE NUITS !




Le 19/20-07-2018


QUELQUES SENSATIONS PRISES SUR LE VIF D'UNE NUIT D’ÉTÉ



1)
Dans les murs – les lumières - la lune – ont appelée...
Doucement – négligemment – dans leur grand silence
elle est à leurs pensées et sur les toits noirs danse...
En pâle couleur de lait – elle s'est en allée
comme elle est venue – laissant tous les murs à nu
après s'être fondue aux nuées invisibles...
Elle reviendra nous portant son cœur inconnu...




2)
Diamant étincelle dans l'arbre frissonnant !
Tu scelles les diamants de la nuit mystérieuse...
Cependant le marbre poli des rues résonne
et le chant des paroles prend allure heureuse




3)

Tendre regard sur la terrasse désertée :
quel est cet art des amants non las qui modulent
leurs désirs au ciment bien doux d'un aparté
en semant d'Adonis leurs sourires d'émules ?
Aucun commentaire:

mercredi 18 juillet 2018

"Le Petit Prince" opéra de Michael Lévinas


Aucun commentaire:

QUE LA TERRE TRACE DANS LA SAILLIE DU COEUR L'EVENTAIL QUI DE SON AIR CHASSE LA DOULEUR !




Le 18-07-2018


QUE LA TERRE TRACE DANS LA SAILLIE DU CŒUR
L' ÉVENTAIL QUI DE SON AIR CHASSE  LA DOULEUR


Par ses palpitations à la source du cœur
la terre va – se démultiplie en ressources -
resuture en rythme ses plus sensibles courses
sans que l'attention s'essouffle en pauvre douleur


Mature chaque jour en un possible amour
de la fontaine claire toujours jaillissante
sans qu'air d'avide nature n'enchaîne l'ajour
tant que l'âme ne se broie aux pierres brillantes


Pour chaque soir où se démonte la rumeur
l'espoir fluctue dans des langueurs non monotones
où le temps d'ailes redescendu des hâleurs
accroche les cris d'hirondelles : non atones


Vide de soi trouvant plénitude de fleur
main à main en lumière pour la faire éclore -
ne vous déçoive demain dans bel air de l'heure...
Voir : Plus rien que l'humain qui la guerre déplore



Le 18-07-2018


QUE LA TERRE TRACE DANS LA SAILLIE DU COEUR
L' EVENTAIL QUI CHASSE DE SON AIR LA DOULEUR


Par ses palpitations à la source du cœur
la terre va – se démultiplie en ressources -
resuture en rythme ses plus sensibles courses
sans que l'attention s'essouffle en pauvre douleur


Mature chaque jour en un possible amour
de la fontaine claire toujours jaillissante
sans qu'air d'avide nature n'enchaîne l'ajour
tant que l'âme ne se broie aux pierres brillantes


Pour chaque soir où se démonte la rumeur
l'espoir fluctue dans des langueurs non monotones
où le temps d'ailes redescendu des hâleurs
accroche les cris d'hirondelles : non atones


Vide de soi trouvant plénitude de fleur
main à main en lumière pour la faire éclore -
ne vous déçoive demain dans bel air de l'heure...
Voir : Plus rien que l'humain qui la guerre déplore
Aucun commentaire:

lundi 16 juillet 2018

P'tite Terre Du Possible Où Se Pétrit La Chair Sensible !




Le 15/16-07-2018



P'TITE TERRE DU POSSIBLE Où SE PÉTRIT LA CHAIR SENSIBLE


Dans le silence la chair des mots pourrirait
s'il n'y avait distance aux maux qui la pétrissent
malgré la présence aux fers qui la fait errer
dans le ronronnement de l'instant où ils pâlissent


P'tite terre où du possible on s'appesantit
sur fond de rivière des nuages qui glissent
leur rose au ciel qui lentement se décatit -
les petites proses du réel refleurissent...


Quand léger dans le vent : le verbe descendu
allumé par l'étoile comme herbe sauvage
le dispute en concert comme voile mis à nu
à la nuit mutine qui tombe en paysage :


Nulle parole mouillée par le démuni
ne spécule à la rouille de ses pensées vives
même si elle s'abandonne encore au nid -
A sa clef de sol toujours mieux elle se rive...


Qui peut réveiller la mutine floraison
quand la nuit sur Paris absente tout étoile ?
En nos corps un soleil pour nos mille raisons
fera ouvrir la ville et son épaisse toile !
Aucun commentaire:

dimanche 8 juillet 2018

Pétition : On accorde à personne le droit de tuer une personne ... Alors pourquoi cette "loi" qui accorde aux policiers le permis de tuer ! Abrogation immédiate de cette "loi" qui est ce permis de tuer ! Signez massivement la pétition !

9 sur 6 508


Permis de tuer

Boîte de réception
x

Change.org <change@mail.change.org> Se désabonner

6 juil. (Il y a 3 jours)


À moi 
Change.org
alain,

Vous avez sûrement entendu dans l'actualité, le drame d'un jeune de 22 ans assassiné par la police à Nantes. Dernier en date d'une liste tristement longue.

Alors que la gronde monte face aux violences policières, Amal poursuit son combat pour stopper le "permis de tuer" accordé aux policiers par le Gouvernement.

Depuis la mort de son frère tué sous les balles de la police, de nombreuses familles de victimes ont rejoint son appel. Aujourd'hui 43 000 signataires réclament la fin de l'impunité pour ces crimes commis au nom de la "légitime défense". Et vous ? 

Signez maintenant
pour que demain d'autres familles n'aient pas à pleurer la mort d'un enfant, d'un frère, disparu à cause des violences policières. 
Adressée à Parlementaires français, Gérard Colomb
Une urgence : dire #StopAuPermisDeTuer !
Pétition de AMAL BENTOUNSI
France
43 545
Signataires
Signez la pétition
Le 15 janvier 2016 la justice a acquitté un policier qui avait tué mon frère d’une balle dans le dos. 

Malgré tous les témoignages mettant à mal la version du policier, la cour a tranché en faveur du tueur. Car "un policier ne tire qu’en situation de légitime défense", expliquait le porte-parole du syndicat policier à la barre. "Vous affirmez quelque chose qui reste à prouver", lui avait rétorqué l’avocat de la famille. Mais cette garantie a disparu : le Gouvernement a inscrit la présomption de légitime défense pour les policiers dans la loi. Tout policier qui a tué une personne est considéré a priori en situation de légitime défense, sans être inquiété par la justice.

Malgré la mobilisation de la société civile et de quelques élus de la République qui a conduit au recensement près de 43 000 signatures sur cette pétition, le président de la République a gravé dans le marbre de la loi la présomption de légitime défense des policiers qui recourent à leur arme à feu. C’était un 1er mars 2017.

Mon frère Amine n'avait que 28 ans lorsqu'il a été tué par ce policier, le 21 avril 2012.

On pourrait donc croire que l’inquiétude vient d’une vision biaisée d’une famille endeuillée. Et pourtant, tous les journalistes en sont témoins : la police, dans cette affaire, a menti, au point où l’avocat général, représentant de l’Etat, a lui-même demandé à ce que l’accusé, Damien Saboundjian, soit condamné. Le magistrat considérant ce dernier "dangereux", il a demandé à ce que le jury "rende une décision qui ne puisse pas être interprétée comme un permis de tuer". Une première en France.

On pourrait croire aussi qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Car au fond, Amine était un "bon client" pour la légitime défense : il était de ceux qu’on appelle les "délinquants multirécidivistes" qui mériteraient de mourir, pour qui la peine de mort n'a pas été abolie.

Mais les familles de l'homme de 22 ans qui vient d'être tué à Nantes lors d'un contrôle de police, les adolescents Zyed et Bouna qui rentraient chez eux après un match de foot en 2005, du retraité Ali Ziri qui rentrait chez lui en voiture en 2007, ou du jeune écolo Rémi Fraisse qui avait rejoint une manifestation en 2014 le savent tout autant que les 15 familles par an (en moyenne !) qui perdent un proche entre les mains de la police en France : délinquant ou pas, le procédé est toujours le même.Criminalisation de la victime pour trouver une excuse plausible au policier, et détourner l’attention de tous les mensonges et incohérences dans le dossier ; protection et acquittement du tueur.

Nous n’avons pas en France un problème de policiers tués par des citoyens. Nous avons un problème de citoyens tués par la police, en toute impunité. Problème qui a d’ailleurs fait l’objet de deux rapports d’Amnesty International en 5 ans.

Avec les familles Wissam El Yamni, Abdoulaye Camara, Lahoucine Aït Omghar, Amadou Koumé, Mourad Touat et Hocine Bouras, Taghbalout Karim décédées les années suivantes, nous avons décidé de nous unir pour nous donner la force de nous battre, et réclamé une juridiction indépendante pour enquêter sur les morts survenues dans l’exercice de la fonction des agents des forces de l’ordre.

Mais à la place, c’est l’inscription du permis de tuer des policiers dans la loi que le Gouvernement a choisi. Avec la lutte antiterroriste comme prétexte, la loi du "Permis de Tuer" a été votée. Or si nous voulons donner espoir à ceux qui ne croient plus au slogan des frontons des mairies françaises, nous avons tous le devoir de la faire abroger.

Le recours aux armes à feu par les policiers a fortement augmenté en France en 2017. Nous n’avons eu de cesse de le marteler au sein du Collectif « Urgence, notre police assassine » et c’est ce que vient de confirmer l’inspection générale de la police nationale (IGPN), mardi 26 juin dernier.

54% de tirs de pistolet automatique en plus. L'année 2017 a été marquée par la hausse du nombre de tirs par armes à feu selon le dernier rapport annuel de l’IGNP qui pour la première fois, révèle le chiffre de personnes tuées ou blessées lors des interventions policières.

14 tués et une centaine de blessés avec plus de huit jours d'incapacité de travail entre juillet 2017 et mai 2018. A ces chiffres bouleversants qui édulcorent la réalité, s’ajoute l’assassinat récent d’Aboubakar, 22 ans, alors qu’il subissait un contrôle de police mardi 3 juillet dernier à Nantes. Nous adressons à sa famille nos sincères condoléances.

Chaque mort ravive les blessures impansables des familles des victimes de violences policières et vient creuser le fossé entre les justiciables et les institutions politiques, policières mais également judiciaires.

Au Collectif « Urgence notre police assassine » ne croyons pas aux coïncidences. La hausse du nombre de tirs pas arme à feu enregistrée par l’IGPN n’est pas étrangère à cette loi liberticide et mortifère bien que la « Police des polices » s’en défende, par la voix de sa présidente.

Parce que la vie est sacrée, il est encore temps aux représentants élus par le peuple de réparer cette faute politique et de voter l’abrogation de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

Nous ne voulons pas que la liste des victimes s’allonge à un rythme encore plus élevé chaque année.

Le peuple c’est nous. Signons-en masse cette pétition qui appelle au retrait du permis de tuer.
Aucun commentaire:

samedi 7 juillet 2018

SOUS L'AZUR TORRIDE UN P'TIT VENT TIMIDE TRANCHE SOUS L'AUVENT DES P'TITS BOUTS D'ESPOIR POUR LE SOIR ET LE FUTUR DANS LE BOUT DU JOUR !




Le 7-07-2018

Sous l'auvent l'écran ne plisse l'attention
Jeu et vent la reglissent en tension
avant de s'évanouir dans le suif
de la nuit et son écrin décisif



Un p'tit vent timide entre dans le blême azur
torride dans le ventre du jour immobile -
avec le trille d'hirondelles le soir est sûr
de mordre de ces ailes fraîches la ville



Jouant à la marelle sur les pieds du temps
tout le concert des paroles file rapide
sans attention à ce qui défile sur l'écran
mais attachés à l'instant chaud qu'ils dilapident



C'est un concert de voix qui redescend du ciel
quand la nuit si lente gagne en intensité -
puis ne laissant place à ses figures de miel -
par le ballon des esprits encore agités



vivement remontent dans le chaud atmosphère...
Puis...Silence...Leur pente vient vite à la nuit...
Un noir d'encre est passé maintenant à la terre...
On essuie gravement du ciel la grande suie !...
Aucun commentaire:

jeudi 5 juillet 2018

Prise de position sur "la critique de la critique critique", sur les prétentions au cynisme , au nihilisme , à l'objectivisme économiciste tout comme à l'objectivisme utilitariste : prendre position sans rejeter le "bon" le "beau" , le "juste" dès lors qu'ils renvoient à une saisie positive et anti-capitaliste du monde ..."


  • Me connecter
  • Créer un compte

CAIRN.INFO : Chercher, repérer, avancer.

  • Revues
  • Ouvrages
  • Que sais-je ? / Repères
  • Magazines
Accueil Revues Revue Numéro Article
Revue du MAUSS 2018/1
Vous consultez

Présentation

parAlain Caillé
etPhilippe Chanial
Sociologue (CERReV). Université de Caen-Basse-Normandie.
etFrançois Gauthier
Professeur associé. Domaine des sciences des sociétés, des cultures et des religions, département des sciences sociales. Université de Fribourg (Suisse).

Raccourcis

  • Plan de l'article
  • Citer cet article
  • Sommaire du numéro
  • Accès abonnés

Voir aussi

  • Sur un sujet proche

Revue du MAUSS

2018/1 (n° 51)

  • Pages : 434
  • ISBN : 9782348036064
  • DOI : 10.3917/rdm.051.0005
  • Éditeur : La Découverte
  • À propos de cette revue
  • Site de la revue

Alertes e-mail

Sommaire des nouveaux numéros
Voir un exemple

Pages 5 - 25 Article suivant

1
Cinquante numéros de la Revue du Mauss semestrielle, vingt-cinq ans de parution [1][1] Avec les vingt-cinq numéros du Bulletin du MAUSS et..., ça n’est pas rien ! Il faut, avec ce numéro 51 (prélude à cinquante nouveaux numéros ?), célébrer dignement cette longévité inattendue et, pour cela, prendre tous les risques. Parce que le MAUSS critiquait, et critique toujours, ce qu’il appelle l’« axiomatique de l’intérêt » et, a fortiori, parce qu’il montre comment le rapport social trouve son origine dans le don (ou, plus précisément, dans ce que Marcel Mauss appelait la triple obligation de donner, recevoir et rendre), nos critiques ont souvent fait semblant de croire que nous affirmions que les actions humaines sont motivées par l’altruisme et que dans ces actions n’entrerait aucune part d’intérêt. Allégations bien évidemment paresseuses, pour ne pas dire mensongères, puisque nous passons notre temps à mettre en lumière l’ambivalence du don, sa multidimensionnalité, son caractère « hybride », comme disait Mauss.
2
Avec ce numéro 51, nos critiques pourront s’en donner à cœur joie. En mettant en exergue le bon, le juste et le beau, et en laissant entendre que nous ne pouvons pas nous passer d’y aspirer, nous savons bien en effet que nous nous opposons à toute la dynamique de la pensée moderne qui, selon des modalités et à des degrés divers, se caractérise par la critique et la déconstruction permanente qu’elle fait subir à toutes ces notions, dont elle semble avoir la tentation de se débarrasser radicalement in fine, au moins tendanciellement. Après Machiavel expliquant qu’il importe peu que le prince soit bon ou juste pourvu qu’il donne l’apparence de l’être, c’est Hobbes qui sonne le glas de tout ce à quoi les humains avaient cru jusque-là en affirmant l’inexistence et l’irréalité du « souverain bien » des Anciens. L’ordre social ne peut donc plus être fondé sur le bien ou le bon, notions toutes subjectives et dont la recherche est, selon l’auteur du Léviathan, facteur de guerres civiles, mais uniquement sur l’intérêt bien compris. Ou plutôt, Hobbes l’avait parfaitement compris, sur la quête ininterrompue et sans fin de la satisfaction d’intérêts fugaces. Dans ce sillage, toute la pensée moderne s’est déployée comme une pensée du soupçon. Avec les moralistes français, bien sûr, avec l’utilitarisme, avec l’économie politique anglaise, avec Marx, Nietzsche, Freud et avec, désormais, la posture constructiviste-déconstructionniste généralisée qui fait office de vulgate pour tous les jeunes chercheur(e)s en science sociale ou en philosophie.
3
Impossible, bien sûr, de ne pas accepter l’héritage de cette pensée critique. Mais il devient urgent de se demander si, devenue ritournelle quasi mécanique, elle n’a pas épuisé une part essentielle de sa fécondité. Ou si, pire encore, elle n’est pas devenue largement contre-productive. En effet, d’abord déployée à des fins d’émancipation – émancipation des illusions religieuses ou morales, émancipation de toutes les formes de domination, politique, économique ou symbolique –, on ne voit que trop les affinités électives qu’elle entretient désormais, fût-ce à son corps défendant, avec le néolibéralisme, i. e. avec le capitalisme rentier et spéculateur, extraordinaire machine à détruire toutes les formes de socialité instituées. Avec l’extension planétaire de son règne, Marx et Engels l’avaient déjà parfaitement exprimé dans le Manifeste du Parti communiste, tout – le bon, le juste, le beau – part en fumée et se dissout dans l’air. Dans l’air de la spéculation financière, parfait doublon de la spéculation conceptuelle critique critique, cette critique stérile et impuissante que dénonçaient Marx et Engels, dans La Sainte Famille, livre d’abord intitulé puis sous-titré, avec ironie, Critique de la critique critique (1845).
4
Bien sûr, répétons-le, toutes les réflexions critiques sur les idées mêmes de beau, de bon, de bien ou de juste doivent être connues, intégrées et assumées. Mais si nous voulons avoir une chance de proposer une alternative effective au néolibéralisme et au capitalisme rentier et spéculatif, alors il nous faut rompre une bonne fois, non avec la critique, toujours nécessaire, mais avec la posture criticiste systématique (plus « critique », plus « révolutionnaire », plus « radical », etc., que moi… tu meurs !) et accepter une certaine réalité du beau, du bon, du bien et du juste. Ou, à tout le moins, les conserver avec ferveur à titre d’idéaux régulateurs. Ou encore, si nous voulons nous donner une vraie chance de sauver le monde des périls qui l’assaillent, un monde si violemment menacé, alors il nous faut apprendre à nous réconcilier avec lui et à voir sa beauté. Pourquoi, à quoi bon entreprendre sinon pour le sauver ?
5
Quelque part, Pierre Bourdieu explique que, dans une ère précritique, on voit un prêtre et on se dit : Tiens ! Un prêtre ! Dans une ère critique, on ne voit plus le prêtre mais l’homme d’un appareil de pouvoir et de tromperie. Dans un troisième temps, enfin, qu’on pourrait qualifier de postcritique, on voit un prêtre malgré tout. Salutaire mise en garde contre un criticisme dévastateur, qui risque de tout emporter sur son passage. Apprenons donc à essayer de voir le beau, le bon, le bien, le vrai et le juste malgré tout.

Ombres et Lumières ou la dialectique de la critique

6
Avant de cheminer vers cette « postcritique », peut-être est-il utile de clarifier l’idée même de critique. Il n’est pas illégitime, comme le suggère Michael Walzer [1996], de considérer que la critique et, plus précisément, la critique sociale, est aussi vieille que l’histoire de l’humanité. Après tout, des prophètes de l’ancienne Israël à Socrate (et à ses adversaires, les sophistes), mais aussi aux satiristes romains, aux frères prêcheurs du Moyen Âge et aux humanistes de la Renaissance, légion sont ceux qui, selon la définition de Walzer du rôle spécifique du critique, ont proposé de « faire la description de ce qui ne va pas de manière à suggérer un remède » [ibid., p. 22].
7
Pour autant, le terme de critique n’émerge véritablement qu’au xviiie siècle, ce siècle du « règne de la critique » [Koselleck, 1979], le siècle des Lumières. Et il importe de souligner que le premier foyer de la critique fut en premier lieu celui du monde l’art. Le critique qui, au siècle suivant, allait se professionnaliser avec le développement de la presse, était d’abord l’« arbitre des arts », l’Aufklärer du public, à la fois son pédagogue et son représentant. La critique pouvait ainsi incarner un jeu subtil entre ombres et lumière : éclairer le libre jugement profane pour le sortir de la pénombre des traditions, des institutions qui fixaient alors les codes et canons du beau [2][2] Comme le rappelait Habermas, « c’est au sein des institutions.... Plus généralement, et au-delà du seul champ artistique, par la critique éclairée des dogmes tant religieux et moraux qu’esthétiques, mais aussi, au nom du principe de publicité, par la mise au jour des obscurs secrets d’État, la critique n’avait d’autre fin, comme y invitait Kant, que de faire sortir les hommes de l’état de minorité. Critique généreuse, serions-nous tentés de dire, comme si « rendre publique » quelque œuvre que ce soit relevait d’une obligation de donner au public et d’abonder au patrimoine commun du savoir et de la culture ; comme si « publier » signifiait, d’abord, participer au bien public par le moyen de la publication ; comme si, en quelque sorte, le travail de ce que l’on appellera, au sens très large, la « République des Lettres » constituait une sorte de « service public » spécifique [Merlin, 1994, p. 117]. Autrement dit, de la tradition humaniste aux Lumières, il n’est pas illégitime de lire le travail critique avant tout comme don, manifestation d’une amitié publique – sous des formes où le réquisitoire et la satire ne tarissent pas l’éloge.
8
Suggérer que cette lucidité, ces lumières de la critique, puisse aujourd’hui s’aveugler et nous aveugler invite à faire l’hypothèse qu’à l’instar de la raison et de sa dialectique [3][3] La fameuse Dialektik der Aufklärung (1944) des deux..., la critique, du moins sous certaines de ses formes, se serait en quelque sorte retournée en son contraire. De la lumière à l’ombre…
9
Le premier retournement – le plus apparent et le plus polémique – relève, disons-le brutalement, d’un retour au conformisme ou, pire, à l’esprit de censure. En effet, au vibrant plaidoyer des Lumières et des humanistes de la Renaissance pour la libre discussion, ne s’est-il pas substitué — et pas seulement dans le monde académique — une véritable police du langage, des comportements individuels et collectifs, et la défense d’un nouvel ordre moral (voire également esthétique) avec ses maîtres-censeurs ? Ce qui est piquant, c’est qu’une telle police, un tel retour à l’ordre, ne sont pas sans évoquer les institutions et autorités politiques, religieuses, morales ou esthétiques que la critique des humanistes et des Lumières s’attachait justement à combattre [4][4] Certes, on pourrait nous rétorquer qu’à la différence...…
10
On pourrait rajouter que ce nouvel obscurantisme des « saintes familles » contemporaines est indissociable d’un langage passablement nébuleux. For happy few only. Majeurs et diplômés. Comme si s’était aussi perdue cette relation de don entre la critique et son public, si vivante encore au xixe siècle, l’âge d’or de la critique sociale, et durant une bonne partie du siècle suivant. Critique de plus en plus spécialisée [5][5] À l’instar de la figure foucaldienne de l’« intellectuel..., académisée et docte (Bourdieu) ou méticuleusement ésotérique (Lacan) ; critique allergique aux « valeurs moyennes », telles que les défendait Camus, à nos intuitions morales les plus ordinaires, à notre common decency [6][6] On songe ici notamment aux divers procès en sorcellerie.... On comprend mieux alors les raisons pour lesquelles elle tend à devenir inaudible, tant elle ne se parle qu’à elle-même, se déconstruisant elle-même. Mais là n’est peut-être pas l’essentiel.
11
Que nous donne à voir la critique critique contemporaine ? Résolument matérialiste et réaliste, réfutant tout « essentialisme », elle s’acharne, inlassablement, à lever le voile de notre ignorance de la vérité du monde social, nous invite – ou nous enjoint – à soupçonner que tout ce qui est ne tient qu’à l’arbitraire des cultures et des rapports de pouvoir, au point de dépeindre le monde sous ses aspects les plus sombres. Or, s’il est une leçon à tirer de la « Critique de la critique critique » du pamphlet des jeunes Marx et Engels où ces deux complices ridiculisaient, le plus sérieusement du monde, les analyses éthérées et pédantes des maîtres autoproclamés de la subversion critique – ces jeunes hégéliens réunis autour des frères Bauer –, cette leçon est peut-être celle-ci : le réalisme n’est pas toujours là où l’on croit [7][7] Comme le souligne Hans Joas, « il y a de bonnes raisons.... Non seulement la noirceur du monde ne saurait avoir le dernier mot, mais surtout, le matérialisme bien compris est celui qui, à l’instar du « parti pris des choses » du poète Francis Ponge, prend le parti du réel [8][8] Ainsi, Marx et Engels soulignaient, dans la Sainte... et non celui qui le prend à partie, pour le dénoncer, voire le « rendre inacceptable » [Boltanski, 2008]. Prendre le parti du réel – sans en rendre pour autant son parti – suppose de reconnaître qu’il ouvre déjà, pour qui sait voir, un horizon normatif et critique ; qu’il manifeste des qualités morales ou esthétiques dignes, elles aussi, d’être dévoilées et ainsi approfondies et actualisées. En ce sens, l’aporie fondamentale de la critique critique ne réside-t-elle pas avant tout dans son refus de faire droit, sans irénisme, aux potentialités, à la générosité de ce qui est [9][9] Et ainsi à appréhender en quoi ce qui est contient..., dans son incapacité à rendre justice à ce qui se donne ?
12
Comment alors surmonter cette cécité ? Comment penser une critique généreuse et résolument anti-utilitariste ? Telle est la question centrale autour de laquelle, sans s’être donné le mot, gravitent les textes réunis dans ce numéro. Y répondre suppose tout d’abord que l’on puisse, selon la formule de Mauss, « s’opposer sans se massacrer », autrement dit restaurer les conditions d’un débat qui ne retombe pas dans les ornières du soupçon et de la dénonciation systématiques, qui n’alimente pas les passions tristes et, finalement, l’impuissance. C’est dans cet esprit – agonistique sans être, espérons-le, vainement polémique – qu’il s’agira tout d’abord de prendre toute la mesure de l’épuisement d’un certain geste critique. Mais nous ne saurions en rester là. La critique – d’un point de vue anti-utilitariste, mais que pourrait-elle être, sinon ? – ne vaudrait, en effet, pas une heure de peine si elle ne nous invitait à appréhender, au-delà de tout soupçon, tout ce qui se joue « par-dessus le marché », indépendamment des seuls intérêts – et rapports de domination. En ce sens, le pari de ce numéro invite à renouer aujourd’hui avec ce qui nous semble constituer la face de lumière(s) de la critique : sa dimension donative. Car, tout bien considéré, juger du monde, des hommes, des œuvres – plus généralement, penser, décrire, expliquer, analyser, écrire –, n’est-ce pas donner d’abord à ses lecteurs, à ses pairs et, virtuellement, à l’humanité tout entière [10][10] Voir le précédent numéro de la Revue du MAUS semestrielle,... ? Ou, plus subtilement encore, donner en retour à l’objet même de son analyse, quel qu’il soit, tout ce qu’il a donné [11][11] Ainsi La Bruyère, dans la préface de ses Caractères,... ? Tel pourrait être le principe élargi de charité – de générosité [12][12] Dans une digression, intitulée « Critique de mes critiques »,... – de la postcritique vers laquelle ce numéro entend cheminer.

La critique en phase critique ?

13
Commençons par notre diagnostic clinique. Frédéric Vandenberghe suggère de reprendre les choses à leur racine, en esquissant une généalogie de ce qu’il nomme le « Nouveau Consensus Orthodoxe ». Il rappelle comment ce syndrome de la critique critique contemporaine est apparu lorsque la French Theory (Derrida, Foucault, Lacan et quelques autres), en traversant l’Atlantique, a engendré ces multiples « post-ismes » philosophiques dominants dans les départements de littérature comparée, puis, sous le label « Studies », dans l’ensemble des départements de sciences humaines et sociales, et suscité pléthore d’investigations postdisciplinaires sur les connexions entre pouvoir, discours et pratique. C’est cette fascination pour les discours qui est ici épinglée et promue au rang de « philosophie décorative ». Du texte et rien que du texte. D’où l’impératif catégorique, au nom de cette ­(inter)textualité généralisée de déconstruire toute « réalité » qui ne serait que « réification du discours qui se présente comme nature » et dont il s’agit de dévoiler la violence qui s’y exprime et s’y dissimule à la fois [13][13] Et c’est également à fleur de texte, souligne l’auteur,.... Non seulement y perd-on parfois son latin mais, plus encore, du point de vue du réalisme critique défendu par l’auteur, toute possibilité de se référer à d’autres réalités que celles performées par ces discours. Or une telle obsession d’en finir avec les distinctions entre réalité et représentation, ontologie et épistémologie, discours et pouvoir, texte et contexte, ne nous désarme-t-elle pas face à la fin (bien réelle) de l’histoire (voire de l’humanité) à laquelle pourrait conduire le « capitalisme tardif » ? Ne fait-elle pas le lit du combat le plus avancé contre le dernier bastion du prétendu « essentialisme » occidental : celui que mène le posthumanisme (et son big business) contre la distinction entre humain et non-humain ?
14
Cette contribution, en définitive assez nuancée, peut être lue comme une invitation à une postcritique [14][14] Mais aussi à une science sociale « postclassique »,... tant elle souligne combien les « post- » semblent bien souvent « ante », comme si la critique critique était profondément nostalgique d’une époque en grande partie révolue. C’est un argument assez proche que l’on pourra lire dans les « Réflexions brutes sur le postcolonialisme » que nous livre ici François Gauthier. Rappelant tout ce que ce courant de la pensée critique doit à l’œuvre marquante d’Edward Saïd et à sa déconstruction de la construction occidentale de l’Orient (le fameux « orientalisme » qui a tant servi l’impérialisme et le colonialisme), l’auteur pointe quelques paradoxes bien instructifs. Fascinée par les logiques de domination, la critique postcoloniale n’essentialise-t-elle pas une certaine représentation – utilitariste et occidentale – de l’homme comme éternel maximisateur de son pouvoir et de ses intérêts ? Réduisant le social au « discursif », à l’instar de la galaxie des Studies, n’universalise-t-elle pas ce geste si caractéristique des cultures occidentales nées d’une religion du Livre ? Mais, surtout, à « s’opposer à une métaphysique de l’Un qui cacherait une tentation totalitaire et une gouvernementalité absolue des sujets, en premier lieu ceux qui ne partagent pas la culture occidentale », ne valorise-t-elle pas « une métaphysique du multiple, qui est précisément celle du marché et du (néo)libéralisme » ? Le postcolonialisme, pas si « post » que cela, ne mènerait-il pas alors un combat d’arrière-garde ?
15
En écho à ce texte, le sociologue des religions James Spickard s’interroge : « Sommes-nous confinés à n’avoir qu’une série de sociologies indigènes, occidentale inclue, chacune applicable uniquement dans sa sphère locale ? » Telle est, en effet, la conclusion de certains auteurs postcoloniaux. Ainsi censurent-ils le savoir occidental non seulement parce qu’il a servi le pouvoir colonial et contribué à ignorer les apports des autres peuples, mais aussi en raison d’un refus de principe que les idées issues d’une société soient utilisées pour en comprendre une autre. Tout en faisant droit à cette thèse du « colonialisme intellectuel » et à la nécessité de reconnaître les dons multiples et précieux des cultures non occidentales à notre commune humanité, comment, suggère l’auteur, surmonter cette tentation de l’isolement culturel sinon en menant une profonde réforme des sciences sociales dans une perspective résolument égalitaire et inclusive ?
16
C’est sur le terrain anthropologique que se poursuit notre enquête. Un débat important a récemment secoué cette discipline en profonde mutation [15][15] Notamment en raison de la disparition progressive de..., à la suite d’un article récent de Sherry Ortner dans la revue Hau [16][16] Sherry Ortner, « Dark anthropology and its others :.... Pour cette célèbre anthropologue américaine, s’opérerait depuis les années 1980 un tournant vers ce qu’elle nomme la dark anthropology, une anthropologie, inspirée de Marx et surtout de Foucault, focalisée sur les dimensions les plus sombres de la vie sociale : le pouvoir, la domination, les inégalités et l’oppression. Néanmoins, remarque l’auteure, l’anthropologie ne se noie pas tout entière dans ces eaux glacées et, en réaction, se sont développées des approches alternatives, parmi lesquelles celles qu’elle nomme les « anthropologies du bien », inspirées notamment de Durkheim et attachées à décrire la morale ordinaire, les formes du « bien-vivre », la place de l’empathie, du don, etc. Comme le souligne Émir Mahieddin dans son excellente présentation de ce texte, l’idée d’une anthropologie du bien peut paraître naïve, tant elle invite à rompre avec « l’imaginaire de la figure publique de l’intellectuel critique qui doit mettre le doigt “là où ça fait mal” ». Pour autant, il n’est pas alors certain que cette anthropologie sombre – décrivant un monde qui « ne serait que violence et souffrance, surveillance en tout point » – soit si réaliste qu’elle le prétend, du moins au regard de sa cécité à voir, aussi, ce qu’il nomme la « banalité du bien ».
17
Un dernier coup de projecteur sur une autre face d’ombre de la critique critique méritait d’être jeté, celle portée par les nouvelles radicalités politiques. C’est ce que proposent ici Frank Adloff et Marie Rotkopf dans leur analyse, vue d’Allemagne, des récentes publications de l’un des groupes les plus marquants de l’ultragauche contemporaine, le fameux Comité invisible. Éloge de la « destitution » contre toute prétention à la « constitution » (l’établissement d’institutions), apologie de la fragmentation contre toute velléité de totalisation, primauté de l’« intersection » entre des singularités irréductibles contre leur subsomption dans une quelconque unité collective, le groupe réuni autour de Julien Coupat célèbre bel et bien les vertus de la déconstruction. Pour autant, en dignes héritiers du situationnisme, s’y lit aussi une profonde aspiration à la communauté et au partage, aux liens forts de l’amour et de l’amitié, et à la poésie, dans une inspiration radicalement anti-utilitariste, sous bien des aspects, proche du MAUSS. D’où cette tension entre une fétichisation de « la puissance de la liberté esthétique cherchant à faire sauter toute norme et ordre social » et « une théorie et une pratique de l’interdépendance ». Or cette tension semble se résoudre in fine dans une fascination antipolitique et toute esthétique pour la violence, « pour le cortège de tête, cet acteur poétique que l’on appelait autrefois Black Bloc »…
18
Que conclure, provisoirement, au vu des différents symptômes recueillis dans ces divers champs de la critique critique ? Sous la plume du philosophe Dany-Robert Dufour, le diagnostic est sans appel et explicitement clinique : notre monde postmoderne serait frappé d’un « délire », délire selon lequel « pour obtenir tout, il lui faut tout détruire » et, en premier lieu, les bases même de la pensée. Reformulant la dialectique de la raison d’Horkheimer et Adorno, il montre que ce délire vient de loin. « Après avoir détruit le mythos par le logos, nous voici maintenant, suggère-t-il, en train de détruire méthodiquement le logos. » La « doxa postmoderne » ne serait alors que l’aboutissement de l’héritage délétère de trois siècles de culture libérale, tant, désormais, le Bien peut procéder du Mal (Mandeville), le Juste de l’Injuste (utilitarisme), le Vrai de l’efficacité (pragmatisme), tandis que le Beau, après Duchamp, se voit livré au marché. Une véritable entreprise de « mise à mort » orchestrée par la nouvelle religion du Divin Marché et ses avatars (et sophismes) philosophiques…

Au-delà de tout soupçon, le bon et le bien ?

19
Faut-il pour autant, afin de sauver le Bien, le Juste et le Beau et les laver de tout soupçon, en revenir, comme semble y inviter Dany-Robert Dufour, à un platonisme, même bien tempéré [17][17] Et ainsi invoquer, comme y invite l’auteur : « Socrate... ? N’avons-nous d’autres alternatives face au nominalisme radical de la critique critique que d’en revenir à une conception essentialiste des valeurs ? Il était inévitable que ce numéro trouve sur son chemin ce vieux débat, qui retrouve aujourd’hui une belle acuité [18][18] Voir notamment deux anciens numéros de la Revue du.... Mais, afin de ne pas nous perdre en route, les articles qui composent cette seconde section du numéro proposent quelques chemins de traverse originaux. Parcourons-les d’un pas rapide.
20
Nathalie Heinich nous invite à naviguer entre le « Charybde du réductionnisme critique », selon lequel les valeurs n’existent pas, ne sont qu’illusions ou dissimulations d’intérêts, et le « Sylla de la métaphysique apologétique » qui, à l’inverse, les conçoit comme des réalités transcendantes, s’imposant à tout un chacun. En nous libérant ainsi des « deux faces de la médaille normative », nous pourrions enfin appréhender le beau, le bien, le vrai et le juste non pas en majuscule, mais au regard ce que représentent concrètement ces valeurs pour les acteurs, au regard de ce qu’ils croient – ou ne croient pas. Et ainsi faire droit à leurs capacités critiques [19][19] Où l’on retrouve un autre débat, plus contemporain.... À l’évidence, un tel nominalisme apparaît bien plus réaliste que l’inlassable réductionnisme propre aux multiples expressions de la pensée du soupçon contemporaine. Mais ne conduit-il pas à proscrire, au nom notamment de la neutralité axiologique, toute appréhension des valeurs hors du discours des acteurs ? Or, comme le démontre Jacques Lecomte, de multiples recherches empiriques, menées en neurobiologie, en psychologie ou en économie expérimentale notamment, invitent à moins de modestie, du moins à un certain réalisme en matière de valeurs. Ces travaux montrent en effet de façon frappante qu’il existerait chez l’être humain une « propension naturelle à la bonté ». N’y a-t-il pas là un faisceau de preuves, toutes empiriques, que le bien et le bon « existent » bel et bien, qu’ils présentent une certaine solidité et résistent fort bien à leur déconstruction [20][20] Ces recherches appelleraient d’ailleurs à déconstruire... ? Mais n’est-ce pas davantage encore dans la littérature que cette « présence » de la bonté et du bien peut être attestée avec sa plus grande force et évidence, comme le suggère Michel Terestchenko ? Une telle proposition peut susciter une perplexité bien légitime. La littérature, sauf à sombrer dans la sensiblerie des romans de gare, n’a-t-elle pas pour vertu première de dénoncer les oripeaux de la vertu ? Prenant le contre-pied du célèbre ouvrage de Georges Bataille, La Littérature et le Mal, l’auteur montre au contraire que « lorsque la littérature s’approche du bien, elle est formidablement intéressante ». Non pas en tant qu’œuvre d’édification morale, mais en tant qu’elle est, avec souvent plus de force que la philosophie ou les sciences humaines et sociales, « la vie manifestée en tant qu’elle nous apparaît, nous blesse et nous touche ». Le roman, en tant qu’« espace d’apparition », peut ainsi nous rendre sensible à différentes « figures-icônes » de la bonté humaine, comme autant d’incarnations du Bien, de sa manière d’être, de son geste, de sa présence réelle, qui « nous impliquent infiniment ».
21
S’il n’est donc en rien naïf ou illusoire d’attester de la présence et de la puissance du bon et du bien, comment alors expliquer la force de conviction de ceux que Paul Ricœur avait proposé de dénommer les « maîtres du soupçon » – Marx, Nietzsche et Freud – et de leurs héritiers contemporains ? Qu’est-ce qui fonde cette thèse – hier provocatrice, aujourd’hui lieu commun de la pensée critique – selon laquelle les motifs moraux dissimuleraient nécessairement des appétits amoraux ? C’est à répondre à ces questions redoutables que se consacrent les derniers textes de cette section. Le débat s’engage avec Michael Polanyi, philosophe et épistémologue austro-hongrois [21][21] Très célèbre dans le monde anglo-saxon, bien moins.... Nous publions ici, traduit et présenté par Jean-Baptiste Lamarche, un chapitre de son ouvrage Personal Knowledge (1964), sous-titré « Vers une philosophie postcritique ». Il y développe, avant tout au sujet du marxisme et du freudisme, sa subtile théorie de l’« inversion morale ». Résumée en quelques mots, elle consiste à montrer combien la pensée moderne est traversée par une contradiction fondamentale entre « passion morale » et « objectivisme », soit entre sa volonté de réaliser dans la vie sociale des valeurs morales et sa conception impersonnelle et mécanique des affaires humaines. Bref, comment, pour l’homme moderne, « se livrer à ses passions morales dans des termes qui satisfont également sa passion pour une impitoyable objectivité ». Comme l’illustrent le marxisme et, différemment, la psychanalyse freudienne (mais aussi l’utilitarisme), une solution se serait imposée, consistant à déguiser ses passions en énoncés scientifiques. Or, s’interroge Polanyi, un tel subterfuge ne conduit-il pas alors à nier que les exigences morales puissent constituer les motivations fondamentales de l’homme – à les « refouler » en quelque sorte et à les « sublimer » dans une vérité scientifique indiscutable ? Mais alors le risque est grand, comme en témoignent les totalitarismes du xxe siècle, que ce « déguisement scientifique » de la morale vienne justifier… la moralité de l’immoralité et la violence politique !
22
Cette précieuse analyse de l’inversion morale doit être lue comme une invitation non seulement à nous réconcilier avec nos motivations morales les plus ordinaires, mais, plus encore, à les libérer de ces formes de répressions idéologiques pathologiques qui les musellent. Faut-il pour autant en finir avec toute pensée du soupçon ? Ce n’est pas si sûr. Fabien Robertson suggère davantage une via media, profondément maussienne. Tout en reconnaissant que le travail de la pensée a besoin d’une « dose de soupçon », tant elle se nourrit et se vivifie de « ce refus d’admettre les choses telles qu’elles nous apparaissent », il souligne qu’elle ne saurait se limiter à faire tomber les masques. En effet, à tant travailler à (se) désillusionner, ne perd-on pas quelque chose de la réalité, notamment sa vivacité, son imprévisibilité, sa créativité, si fondamentale dans le « jeu social » ? C’est la raison pour laquelle il propose d’opposer (et d’associer) à cette « pensée qui prend » – à son « geste d’emprise et de pénétration » –, une « pensée qui donne » – qui rend raison et justice à ce qui se donne à elle, qui accueille et soutient ce qui est, au lieu de prétendre se l’approprier ou le percer définitivement à jour.

Reconnaître la générosité de ce qui est ou l’anti-utilitarisme comme anti-critique (critique)

23
Voilà dégagé, progressivement, l’espace d’une critique résolument anti-utilitariste, ouverte à la générosité de ce qui est, attentive à la générativité de ce qui se donne. Comme il est apparu en chemin, la critique ne saurait en effet, sauf à détruire son objet, s’épuiser à jouer les Cassandre en adoptant le point de vue de Sirius et dénoncer sans répit ce monde immonde, ce monde qui nous ment – comme nous ne cesserions d’ailleurs de nous mentir à nous-mêmes. Au mieux pourrions-nous célébrer, selon cette formule fameuse – et fort ambivalente – de Bourdieu pour définir l’efficace du don, « cette hypocrisie collective en vertu de laquelle la société rend hommage à son rêve de vertu et de désintéressement » [Bourdieu, 1997, p. 239]. Bref, sur le modèle de l’inversion morale, il ne nous resterait plus qu’une poignée d’illusions nécessaires. Or ne faudrait-il pas plutôt renverser cette inversion ? En effet, cette « hypocrisie collective » ne suppose-t-elle pas justement « ce rêve de vertu » ou, pour paraphraser Marx, que le monde possède déjà le « rêve d’une chose [22][22] « On verra alors que depuis longtemps, le monde possédait... ». Donc que ce rêve est bien réel ou, plus largement, que les valeurs et les idéaux ne constituent ni des illusions ni des implants transcendantaux. Ils sont dans le monde. Du moins pour qui sait voir. Dès lors, le travail de la critique et, plus généralement, de la pensée exige moins de déchaîner que de contenir, au double sens du terme, ce moment légitime du soupçon, afin de rendre justice à (tout) ce qui est. Sauf à reconnaître aussi la beauté, la bonté et la justice de ce qui se donne à voir – plutôt que de déconstruire inlassablement toute valeur –, comment pourrait-elle, comme y invitait Marx, « cueillir la fleur vivante » ?
24
Se révèle ainsi une éthique de la pensée et de la critique dont il nous faut maintenant approfondir la dimension esthétique, tant elle engage une certaine sensibilité (aisthesis), une certaine qualité du regard. C’est ce à quoi s’attachent les deux contributions suivantes, dans le champ de la philosophie et de l’art pour le premier, dans celui de la science sociale pour le second. Désenchantement, enténèbrement, démembrement, dénégation, relégation, amputation du réel, pour le poète Henri Raynal la philosophie contemporaine – à moins qu’il ne s’agisse, selon le terme de Gilles Deleuze, d’une nécessaire « misosophie » – nous a désappris à voir. La « coalition de fait des épistémologies déréalisantes », fascinée par l’indifférencié, l’« irrelié », le « grouillement confus » et le chaos sur lequel s’élèvent les êtres et les choses est si attachée à dévoiler les coulisses qu’elle nous prive du spectacle du monde. Afin de percer cette bulle qui nous isole – du monde et de nous-mêmes –, l’auteur nous invite à fonder la réflexion non sur le cogito mais sur un video : « Je vois qu’il y a » ; « qu’il y a le Dehors, l’Altérité… qui me fondent ». Sous ce regard, nous pourrions alors reconnaître non seulement que « nous habitons le somptueux », mais aussi que « le faste qui nous est dispensé appelle une générosité de notre part ». Comme si, contre toute arrogance à l’égard de son objet, la pensée devait se faire don (en retour) à l’autre de la pensée pour ainsi s’engager avec lui dans une « concrète complicité ». En hommage à l’œuvre d’Henri Raynal et de sa cosmophilie, Philippe Chanial se propose de frayer la voie d’une sociologie résolument « sociophilique », attentive au côté lumineux de la force du social. Si souvent attirée par son côté obscur, la sociologie critique n’est-elle pas en effet frappée d’une « sociophobie » qui la rend incapable de témoigner d’un « merveilleux objectif » (Raynal) à l’œuvre, aussi, dans le monde social ? En compagnie de Charles Cooley, John Dewey, Georg Simmel et Marcel Mauss, il invite à rendre justice à la délicate essence, à la fois morale, épiphanique et esthétique, du social afin de mettre en lumière ces petits miracles quotidiens par lesquels – sur fond d’ombre, celui de la violence – se nouent les liens sociaux, « ces purs moments de société où le social apparaît en pleine lumière ». En résulte une conception ouverte, mais aussi généreuse, du monde social dont il s’agit de donner la meilleure description, « celle qui fait droit aux possibilités idéales données dans le monde et nous offre les moyens propres à les actualiser pour en cueillir les fleurs vivantes ».
25
Mais à célébrer ainsi ce qui est et ce qui se donne, ne sortons-nous pas du champ de la critique ? Un détour par l’histoire littéraire peut nous permettre de surmonter cette apparente contradiction. Comme le rappelle Julie Anselmini, le xixe siècle a été le théâtre d’une violente mise en cause de la montée en puissance de la critique (professionnelle) par les artistes eux-mêmes. Les manifestations de cette « anti-critique » furent très diverses, qu’il s’agisse de stigmatiser la « cruauté de l’impuissance » des critiques (Baudelaire) ou d’inviter à « abandonner la petite et facile critique des défauts pour la grande et difficile critique des beautés » (Chateaubriand). Privilégiant l’un des hérauts de cette offensive, Théophile Gautier, l’auteure souligne combien l’un de ses enjeux est de refuser de « subordonner l’art à des buts qui lui sont extérieurs ». D’où sa dénonciation des censeurs, son procès de la bien-pensance, mais aussi de ceux qu’il nomme les « critiques utilitaires », pour mieux défendre la gratuité du Beau. On aurait tort d’y lire une esthétique formaliste coupée de toute considération sociale et politique. Bien au contraire, l’« anti-critique » créatrice de Gautier puise son anti-utilitarisme et son culte du Beau dans une analyse critique des relations de l’art avec la société qui, luttant contre toute annexion de l’art à la religion de l’Utile, vise à protéger les droits inaliénables de la beauté, de la gratuité et de la jouissance (esthétique). Défendre ainsi la positivité du beau n’a donc rien d’irénique, mais vient déplacer en quelque sorte l’exigence critique sur ce qui en menace le libre épanouissement [23][23] Voir le n° 48 de la Revue du MAUSS semestrielle, « S’émanciper,....
26
Tel est aussi le pari de Paul Audi dans un texte qui vient, quant à lui, soutenir la « positivité absolue de l’amour ». Ce thème pourrait sembler incongru dans la perspective de ce numéro. Il n’en est rien. Car l’amour, comme l’art ou l’éthique, ne cesse-t-il pas d’être déconstruit, moqué comme objet de sensiblerie ou frappé d’un regard cynique au regard de son impossibilité de principe [voir Audi, 2016] ? Pour autant, sa « valeur absolue » ne saurait être identifiée à sa « pureté » – ce qui vaut tout autant pour le Bien ou le Beau. Non, précise l’auteur, l’amour n’est pas aussi désintéressé qu’on le dit. Sa « réalité » – la logique de cet événement qu’est l’amour – renvoie bien à un « intérêt » : « L’amour est intéressé : foncièrement intéressé à l’altérité de l’autre, concerné par l’autre en tant qu’autre. » Dans la considération amoureuse, cet « Être-autre », nous le voulons « pour notre bien », « en proportion même de notre incapacité à être autrement que le “soi” que nous sommes chaque fois du seul fait que nous sommes ». En ce sens, l’amour – comme la création esthétique chez Mallarmé, ce « mouvement (personnel) rendu à l’infini », à l’infini des possibilités humaines – suppose cette même passion de surmonter notre finitude originelle. Tel est ce que nous donne l’amour et fonde sa positivité : sa générosité et sa générativité. Ne nous donne-t-il pas, comme l’art et l’éthique, cet excédent de vie, cette intensification de la vie subjective qui nous humanise. Quel meilleur rempart alors contre le nihilisme et le réalisme contemporains !
27
Cette conception généreuse de la vie n’est-elle pas au cœur de la sociologie vitaliste de Jean-Marie Guyau ? C’est ce que nous rappellent ici Laurent Muller et Jordi Riba pour mieux en pointer toute l’actualité et la pertinence en science sociale, notamment au regard de sa célébration de la créativité de l’agir humain qui permet d’en mieux saisir la dimension tout à la fois éthique et esthétique – esth/éthique, dirait Paul Audi [2010].
28
Nous achevons ce dossier sur les quelques lignes consacrées par Bruno Viard aux « Beautés du Coran », évoquant notamment la fameuse sourate LV, « Le miséricordieux », celle dont le prophète a dit : « Chaque chose a sa fiancée et la fiancée (ou l’épousée) du Coran, c’est la sourate ar-Rahmân. » Dans le contexte du moment, cette référence au Coran n’a rien d’innocent. Mais elle vient aussi rappeler combien cet éloge de la générosité – ici des multiples dons et bienfaits divins – marque toutes les cultures humaines. Ou, à l’inverse, qu’aucune d’entre elles ne s’est jamais instituée de ce discrédit infligé au monde, si puissant, on l’a vu, dans certaines des formes de la pensée contemporaine.
29
Si l’on doit à la « raison critique », héritière des catastrophes du xxe siècle, de nous avoir déniaisés de certains « grands récits » et appris à manier, avec les précautions nécessaires, le soupçon nécessaire face à la folie humaine, reste que ce monde que nous habitons – voire le monde en tant que tel, en tant qu’il est cette totalité des possibles à partir duquel le réel se manifeste – nous ne saurions ne le créditer plus de rien et lui retirer toute confiance. Comme le suggère Paul Audi [2010, p. 55], « cette profonde déchirure dans le tissu de notre croyance en la réalité du monde […] constitue, tout bien considéré, le “fait moderne” par excellence ». Espérons que les réflexions réunies dans ce numéro auront, sinon la vertu de tracer les chemins possibles d’une réconciliation, du moins celle d’en avoir souligné l’ardente nécessité.

Libre revue

30
Notre libre revue s’ouvre avec un dossier qui aurait parfaitement pu trouver sa place dans la partie thématique de ce numéro du MAUSS. Réuni et introduit par Gaël Curty, ce dossier invite à découvrir, à travers trois entretiens avec de grandes figures de la théorie sociale contemporaine, Immanuel Wallerstein, Nancy Fraser et Axel Honneth, un mouvement profond de reformulation de la critique du capitalisme.
31
Il est en effet frappant d’y lire, comme le souligne Gaël Curty, combien cette critique se refuse d’occuper une position de surplomb afin de dégager, dans la définition même du capitalisme, des points d’appui normatifs internes qui permettent ainsi d’accorder toute leur place aux capacités critiques des acteurs. Ainsi, ces théories critiques échappent-elles tant à la rhétorique de la dénonciation énoncée sous les oripeaux de l’objectivisme scientiste et/ou de l’économicisme qu’au relativisme éthique, pour mieux (ré)ouvrir le champ des possibles à partir de nos idéaux normatifs partagés d’égalité et de liberté. C’est dans cet esprit qu’Immanuel Wallerstein articule subtilement son diagnostic fonctionnaliste de la crise structurelle de l’« économie-monde » capitaliste à une critique éthico-morale qui donne tout son sens à l’« esprit de Porto Alegre » contre l’« esprit de Davos ». Nancy Fraser, quant à elle, analyse la convergence des crises – économique, sociale, politique, écologique – du capitalisme afin de mieux clarifier, à partir de l’exigence de parité de participation, les conditions d’une existence individuelle et collective émancipée des formes de domination induites par l’hégémonie du marché.
32
On lira également avec grand intérêt l’entretien donné par Axel Honneth, cet autre héritier, avec Nancy Fraser, de la théorie critique francfortoise. Il y développe une forme de critique immanente et « idéaliste » en un sens hégélien, qui suppose de partir des promesses normatives des différentes « institutions de la reconnaissance » des sociétés modernes que constituent les sphères des relations interpersonnelles, de la formation démocratique de la volonté politique et de celle du marché. Il déplace ainsi la critique du capitalisme en montrant, à partir des luttes sociales pour l’actualisation de ces promesses normatives – qu’il résume sous le concept de « liberté sociale » –, en quoi une « société de marché capitaliste » non seulement « ne permet pas une satisfaction pacifiée, non contrainte et entière des besoins à travers l’échange mutuel au sein d’un marché », mais aussi tend à coloniser les autres sphères. Dès lors, dans une perspective inspirée tant du pragmatisme de John Dewey que de l’œuvre de Karl Polanyi, l’auteur souligne toute la nécessité de lutter contre le « désencastrement du marché » et d’inventer de nouvelles formes de régulation de celui-ci « de sorte qu’il nous laisse, par exemple, suffisamment de temps, de motivation et de créativité pour rester des amis dignes de ce nom, des amants actifs et d’assez bons membres de familles ».
33
Deux derniers textes viennent clore ce numéro. Dominique Girardot poursuit ici et approfondit sa critique de la norme du mérite utilitariste en prenant appui, outre Hannah Arendt et Mauss, sur Georges Bataille. Si ce qui fait le mérite proprement humain c’est de faire, donner ou dépenser quelque chose « en plus » de ce qui est attendu, alors prétendre objectiver et mesurer le mérite ne peut aboutir qu’à détruire ce qui fait son essence. L’idéal du mérite utilitariste est autoréfutant. Dans un commentaire d’une prise de position de Jean-Pierre Terrail sur l’enseignement de la philosophie, sur le site Web Démocratie scolaire, Stéphane Bornhausen entre en consonance avec le propos de Dominique Girardot : « En France, écrit-il, on vit dans une méritocratie. On impose un élitisme de fait. Je ne vois pas comment on peut promouvoir la démocratisation sans combattre la méritocratie. » Mais, au-delà, bouclant en quelque sorte ce numéro, il observe que s’est imposée « l’idée que la philosophie était juste une discipline critique. Pire, que la vocation de l’enseignement de la philosophie, c’était de propager l’esprit critique. Cet hypercriticisme conduit inévitablement à un hyperscepticisme qui se retourne contre l’enseignement de la philosophie et qui affecte la discipline tout entière ». Philosophes, encore un effort pour prendre pleinement au sérieux la philosophie !


Références bibliographiques

  • Adorno Theodor, Horkheimer Max, 1993 (1944), La Dialectique de la raison, Gallimard, « Tel », Paris.
  • Audi Paul, 2016, Le Pas gagné de l’amour, Galilée, Paris.
  • — 1994 (rééd. 2010), Créer. Introduction à l’esth/éthique, Verdier, Paris.
  • Boltanski Luc, 2009, De la critique, Gallimard, Paris.
  • Bourdieu Pierre, 1997, Méditations pascaliennes, Seuil, Paris.
  • Caillé Alain, Vandenberghe Frédéric, 2016, Pour une nouvelle sociologie classique, Le Bord de l’eau, Lormont.
  • Habermas Jürgen, 1978 (rééd. 1988), L’Espace public, Payot, Paris.
  • Joas Hans, 2016, Comment la personne est devenue sacrée, Labor et Fides, Paris.
  • Koselleck Reinhart, 1979, Le Règne de la critique, Minuit, Paris.
  • Marx Karl, Engels Friedrich, 1969, La Sainte Famille ou Critique de la critique critique, Éditions sociales, Paris.
  • Merlin Hélène, 1994, Public et littérature en France au xviie siècle, Les Belles Lettres, Paris.
  • Walzer Michael, 1996, La Critique sociale au xxe siècle, Métaillé, Paris.

Notes

[1]
Avec les vingt-cinq numéros du Bulletin du MAUSS et les seize de la Revue du Mauss trimestrielle, ce sont trente-cinq ans d’existence en tout. Ces bulletins et numéros trimestriels sont désormais disponibles en disques compacts (CD) (<www.revuedumauss.com.fr/Pages/BDM.html>, <www.revuedumauss.com.fr/Pages/LARTA93.html>). Voir également la page publicitaire à la fin de ce volume pour une commande (à prix sacrifiés !) de ces anciennes séries numérisées de notre revue.
[2]
Comme le rappelait Habermas, « c’est au sein des institutions de la critique d’art, de la critique littéraire, théâtrale et musicale, que prend corps le jugement profane d’un public majeur ou en passe de le devenir » [Habermas, 1978, p. 51].
[3]
La fameuse Dialektik der Aufklärung (1944) des deux grand maîtres en théorie critique, Adorno et Horkheimer, qui s’ouvre ainsi : « La terre, entièrement “éclairée”, resplendit sous le signe des calamités triomphant partout » [1993 (1944), p. 21].
[4]
Certes, on pourrait nous rétorquer qu’à la différence d’hier, c’est pour la bonne cause, non plus celle des dominants mais des dominés au nom, nous le rappelions, de leur émancipation. Mais à quel prix, notamment pour l’éthique de la discussion, lorsque la bonne cause justifie anathèmes et attaques ad hominem, appelle à perturber, voire à boycotter ou même à interdire des colloques, etc.
[5]
À l’instar de la figure foucaldienne de l’« intellectuel spécifique ».
[6]
On songe ici notamment aux divers procès en sorcellerie faits à Jean-Claude Michéa, soumettant son populisme orwellien à la fameuse reductio sinon ad hitlerum, du moins ad lepenum.
[7]
Comme le souligne Hans Joas, « il y a de bonnes raisons pour trouver fort suspects tous les herméneutes du soupçon ; mais cela ne signifie pas qu’il n’y aurait rien à apprendre d’eux ». La question est davantage de pouvoir se défendre face à eux « du soupçon de manque de réalisme » [Joas, 2016, p. 203].
[8]
Ainsi, Marx et Engels soulignaient, dans la Sainte Famille, combien, pour cette critique critique, « tout ce qui est réel, tout ce qui est vivant [i. e. tout ce qui relève de l’expérience sensible, plus généralement de toute expérience réelle] est non critique et massif, par conséquent n’est “rien”, et seules les créatures idéales, fantasmagoriques de la Critique critique sont “tout” ». D’où leur mépris pour la « masse », mais aussi, nous y reviendrons dans ce numéro, pour l’expérience amoureuse.
[9]
Et ainsi à appréhender en quoi ce qui est contient déjà, à titre de virtualité, ce qui doit être. Tel est, notamment, le sens de l’interprétation de la critique marxienne en termes de « reconstruction normative » que propose Axel Honneth dans ce numéro et dans son ouvrage Les Institutions de la liberté. C’est dans le même esprit que Hans Joas, dans une perspective pragmatiste, a proposé de développer, pour rendre compte de l’universalité des droits de l’homme et, plus généralement, de l’avènement des valeurs, une méthode tout à la fois antinaturaliste et antirelativiste, qu’il nomme « généalogie affirmative » et qui appelle à « s’ouvrir au sens incarné dans l’histoire » [Joas, 2016, chap. IV]. Ces deux démarches nous apparaissent plus fécondes que les hésitations de Luc Boltanski [2009] entre « sociologie critique » et « sociologie de la critique ».
[10]
Voir le précédent numéro de la Revue du MAUS semestrielle, « Quand dire, c’est donner. Parole, langage et don », n° 50, La Découverte, Paris, 2017 (2).
[11]
Ainsi La Bruyère, dans la préface de ses Caractères, écrivait : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage ; il est juste que, l’ayant achevé […] je lui en fasse restitution » [cité in Merlin, 1994, p. 271]. L’œuvre d’Henri Raynal tout entière, nous y reviendrons, est marquée par cette même exigence de rendre en retour tout ce que le monde nous donne, faisant notamment du poète ou du peintre la figure de ce qu’il nomme l’« apostolat pur ».
[12]
Dans une digression, intitulée « Critique de mes critiques », à son important article sur « Les trois formes de l’erreur scolastique », Pierre Bourdieu [1997, p. 75] ne proposait-il pas (et pas seulement pour qu’il soit appliqué à sa seule œuvre), de renommer « principe de générosité » le fameux « principe de charité » ?
[13]
Et c’est également à fleur de texte, souligne l’auteur, qu’« une fois le sous-texte du pouvoir dé/couvert, l’auteur laissera entendre d’autres voix qui attendent d’être libérées », celles des autres exclus, et pourtant présents, dans les « marges », dans les « fissures » mêmes du discours.
[14]
Mais aussi à une science sociale « postclassique », qui intégrerait pour en corriger leurs lacunes respectives, les Studies, la philosophie morale et politique ainsi que la théorie sociologique [Caillé et Vandenberghe, 2016].
[15]
Notamment en raison de la disparition progressive de ses terrains « exotiques » et de la nécessité de mener le travail ethnographique « at home ».
[16]
Sherry Ortner, « Dark anthropology and its others : theory since the eighties », Hau : Journal of Ethnographic Theory, vol. 6, n° 1, 2016, p. 47-73. Texte que nous a fait découvrir son traducteur bénévole, Simon Levesque, que nous remercions.
[17]
Et ainsi invoquer, comme y invite l’auteur : « Socrate (et non plus Lénine), réveille-toi, ils sont devenus fous ! »… pour paraphraser ce que de jeunes Tchèques écrivaient sur les murs lorsque les chars soviétiques et est-allemands du pacte de Varsovie pénétraient dans Prague – mettant fin à un printemps trop court dont nous fêtons aussi, cette année, le cinquantième anniversaire.
[18]
Voir notamment deux anciens numéros de la Revue du MAUSS semestrielle : n° 17, 2001, « Chasser le naturel … », et n° 19, 2002, « Y a-t-il des valeurs naturelles ? », La Découverte, Paris.
[19]
Où l’on retrouve un autre débat, plus contemporain que la querelle du nominalisme et du réalisme, celui qui oppose en France la sociologie critique, dans le sillage de Bourdieu, à la sociologie de la critique, la sociologie « pragmatique » initiée par Luc Boltanski et Laurent Thévenot.
[20]
Ces recherches appelleraient d’ailleurs à déconstruire la « norme sociale d’intérêt personnel », autrement dit la norme utilitariste elle-même… pour défaut de réalisme ! Et, plus encore, d’« optiréalisme », cette troisième voie que défend l’auteur entre le pessimisme anthropologique – postulant que l’être humain est naturellement égoïste et violent, et donc voué à la contrainte pour vivre en société – et l’optimisme anthropologique – fondé sur le postulat contraire de la bonté naturelle de l’homme et les effets corrupteurs des institutions sociales.
[21]
Très célèbre dans le monde anglo-saxon, bien moins connu en France que son frère Karl et, à la différence de son aîné, libéral convaincu, il fut le précurseur, avant Hayek, de la théorie de l’ordre spontané et, avec lui, membre fondateur de la Société du Mont Pèlerin. Mais son libéralisme n’est pas celui dénoncé ici par Dany-Robert Dufour dans la mesure où il repose sur la croyance en l’objectivité des valeurs. Au point de converger, partiellement et paradoxalement, avec sa thèse : la crise des sociétés libérales modernes serait notamment le résultat d’un scepticisme accordant valeur égale à la moralité et à l’immoralité, à la vérité et au mensonge, à la pitié et à la cruauté, etc., relativisme conduisant alors à la « route de la servitude ».
[22]
« On verra alors que depuis longtemps, le monde possédait le rêve d’une chose dont il suffirait de prendre conscience pour le posséder réellement […]. La critique a saccagé les fleurs imaginaires qui ornent la chaîne, non pour que l’homme porte une chaîne sans rêve ni consolation, mais pour qu’il cueille la fleur vivante », écrit Marx dans sa Critique de la philosophie du droit de Hegel.
[23]
Voir le n° 48 de la Revue du MAUSS semestrielle, « S’émanciper, oui mais de quoi ? », La Découverte, Paris, 2016, notamment l’article de Philippe Chanial : « Rendre justice à ce qui est ou l’émancipation comme parturition. »

Plan de l'article

  1. Ombres et Lumières ou la dialectique de la critique
  2. La critique en phase critique ?
  3. Au-delà de tout soupçon, le bon et le bien ?
  4. Reconnaître la générosité de ce qui est ou l’anti-utilitarisme comme anti-critique (critique)
  5. Libre revue
Aucun commentaire:
Articles plus récents Articles plus anciens Accueil
Inscription à : Articles (Atom)

TEXEDRE et JUDASMembres

Archives du blog

  • ►  2023 (418)
    • ►  octobre (1)
    • ►  septembre (120)
    • ►  août (130)
    • ►  juillet (32)
    • ►  juin (52)
    • ►  mai (49)
    • ►  avril (23)
    • ►  mars (11)
  • ►  2022 (1291)
    • ►  octobre (105)
    • ►  septembre (198)
    • ►  août (198)
    • ►  juillet (210)
    • ►  juin (377)
    • ►  mai (83)
    • ►  avril (49)
    • ►  mars (37)
    • ►  janvier (34)
  • ►  2021 (630)
    • ►  décembre (45)
    • ►  novembre (35)
    • ►  octobre (53)
    • ►  septembre (35)
    • ►  août (58)
    • ►  juillet (57)
    • ►  juin (55)
    • ►  mai (62)
    • ►  avril (73)
    • ►  mars (59)
    • ►  février (50)
    • ►  janvier (48)
  • ►  2020 (682)
    • ►  décembre (63)
    • ►  novembre (76)
    • ►  octobre (51)
    • ►  septembre (32)
    • ►  août (18)
    • ►  juillet (40)
    • ►  juin (53)
    • ►  mai (78)
    • ►  avril (123)
    • ►  mars (52)
    • ►  février (28)
    • ►  janvier (68)
  • ►  2019 (379)
    • ►  décembre (30)
    • ►  novembre (50)
    • ►  octobre (28)
    • ►  septembre (23)
    • ►  août (20)
    • ►  juillet (31)
    • ►  juin (27)
    • ►  mai (47)
    • ►  avril (28)
    • ►  mars (25)
    • ►  février (39)
    • ►  janvier (31)
  • ▼  2018 (204)
    • ►  décembre (25)
    • ►  novembre (30)
    • ►  octobre (35)
    • ►  septembre (24)
    • ►  août (14)
    • ▼  juillet (12)
      • Une belle et percutante analyse de l'effet-sujet d...
      • POUR QUI VIENT A LA FAVEUR DU SOIR : CE QUI TIENT ...
      • Denis Podalydès lit "Les Mots" écrits de J.P.Sartr...
      • TOUT POUR LA DISCRIMINATION ! RIEN POUR L'AUTRE : ...
      • L'ESSENCE DE LA VILLE LUIT DANS LA VACANCE COMME E...
      • "Le Petit Prince" opéra de Michael Lévinas
      • QUE LA TERRE TRACE DANS LA SAILLIE DU COEUR L'EVEN...
      • P'tite Terre Du Possible Où Se Pétrit La Chair Sen...
      • Pétition : On accorde à personne le droit de tuer ...
      • SOUS L'AZUR TORRIDE UN P'TIT VENT TIMIDE TRANCHE S...
      • Prise de position sur "la critique de la critique ...
      • PETIT VOYAGE - CORPS SANS BAGAGE - EN AURORE
    • ►  juin (7)
    • ►  mai (6)
    • ►  avril (8)
    • ►  mars (16)
    • ►  février (9)
    • ►  janvier (18)
  • ►  2017 (137)
    • ►  décembre (26)
    • ►  novembre (28)
    • ►  octobre (34)
    • ►  mars (7)
    • ►  février (18)
    • ►  janvier (24)
  • ►  2016 (560)
    • ►  décembre (9)
    • ►  novembre (66)
    • ►  octobre (50)
    • ►  septembre (7)
    • ►  août (14)
    • ►  juillet (54)
    • ►  juin (71)
    • ►  mai (79)
    • ►  avril (42)
    • ►  mars (65)
    • ►  février (46)
    • ►  janvier (57)
  • ►  2015 (577)
    • ►  décembre (89)
    • ►  novembre (71)
    • ►  octobre (32)
    • ►  septembre (8)
    • ►  août (21)
    • ►  juillet (57)
    • ►  juin (31)
    • ►  mai (53)
    • ►  avril (55)
    • ►  mars (42)
    • ►  février (49)
    • ►  janvier (69)
  • ►  2014 (387)
    • ►  décembre (67)
    • ►  novembre (74)
    • ►  octobre (26)
    • ►  septembre (23)
    • ►  août (14)
    • ►  juillet (33)
    • ►  juin (26)
    • ►  mai (25)
    • ►  avril (32)
    • ►  mars (28)
    • ►  février (19)
    • ►  janvier (20)
  • ►  2013 (177)
    • ►  décembre (23)
    • ►  novembre (34)
    • ►  octobre (28)
    • ►  septembre (19)
    • ►  août (9)
    • ►  juillet (25)
    • ►  juin (13)
    • ►  mai (17)
    • ►  avril (5)
    • ►  mars (4)
  • ►  2012 (76)
    • ►  décembre (4)
    • ►  novembre (2)
    • ►  octobre (16)
    • ►  septembre (6)
    • ►  août (18)
    • ►  mai (3)
    • ►  avril (6)
    • ►  mars (4)
    • ►  février (9)
    • ►  janvier (8)
  • ►  2011 (87)
    • ►  décembre (9)
    • ►  novembre (10)
    • ►  octobre (12)
    • ►  septembre (9)
    • ►  août (13)
    • ►  juillet (15)
    • ►  juin (8)
    • ►  avril (1)
    • ►  mars (5)
    • ►  février (5)
  • ►  2010 (4)
    • ►  décembre (3)
    • ►  avril (1)

Qui suis-je?

souffle au vent
Afficher mon profil complet
Thème Filigrane. Fourni par Blogger.