jeudi 31 décembre 2020
mercredi 30 décembre 2020
Un Futur Déjà Trempe Dans Paris
mardi 29 décembre 2020
lundi 28 décembre 2020
LES NUITS DE CABIRIA Un film de Frederico FELLINI
dimanche 27 décembre 2020
vendredi 25 décembre 2020
LE CIRQUE DE DEMAIN
mercredi 23 décembre 2020
MODIGLIANI et ses Secrets sur arte.tv du 13-12-2020 au 17-02-2021
mardi 22 décembre 2020
SE GLANENT LES DANSES !!
dimanche 20 décembre 2020
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Où est-on exactement de la Démocratie en France ???
lundi 14 décembre 2020
EN FRANCE : L'inquiétude grandissante de l'audio-visuel face à ce qu'il faut bien appeler LA CENSURE Le monde.fr
dimanche 13 décembre 2020
samedi 12 décembre 2020
vendredi 11 décembre 2020
jeudi 10 décembre 2020
"LE CENERI DI GRAMSCI" Les Cendres de Gramsci par Pier Paolo PASOLINI Bilingue - 1ère et 3ème parties
Le 10-12-2020
« LE CENERI DI GRAMSCI »
LES CENDRES DE GRAMSCI
Poème de PASOLINI
Première partie
1) Non è di maggio questa impura aria --- 2) Est-il de mai, cet air impur
che il buio giardino straniero --- qui rend ce noir jardin étranger
fa ancora più buio, o l'abbaglia --- plus noir encore, où l'éblouit
3)con cieche schirite... questo cielo --- 4) d'aveugles éclaircies... ce ciel
di bave sopra gli attici giallini -- d'écume au-dessus des aigres terrasses
che in semicerchi immensi fanno velo -- dont l'amphithéâtre immense masque
5)alle curve del Tevere, ai turchini -- 6) les méandres du Tibre, les monts
monti del Lazio... Spande una mortale -- bleu sombre du Latium... C'est une paix
pace, disamorata come i nostri destini, -- mortelle, et résignée, tout comme nos destins
7) tra le vecchie muraglie l'autumnale - 8) que verse en ces vieux murs ce mois de mai
maggio. In esso c'è il grigiore del mondo - d'automne. Il porte en lui la grisaille du monde
la fino del decennio in cui ci appare - la fin des dix années au bout desquelles il semble
9)tra le macerie finito il profondo --- 10) que les ruines aient englouti le naïf
e ingenuo sforzo di rifare la vita ; -- et profond effort de changer la vie ;
il silenzio, fradicio e infecondo -- le silence humide et vain...
11)Tu giovane, in quel maggio in cui l'errore - 12) Jeune alors, en ce mois de mai où faire
era encora vita, in quel maggio italiano - erreur signifiait encore vivre, un mai italien
che alla vita aggiungeva almeno ardore, - qui ajoutait, du moins, à la vie, la ferveur,
13)quanto meno sventato e impuralente sano -14) bien moins insouciant, de santé moins grossière
dei nostri padri – non padre, ma umile - que nos pères – non point père, mais humble
fratello – già con la tua magra mano -- frère – ta maigre main, déjà,
15) delineavi l'ideale che illumina -- 16) esquissait l'idéal qui donne sa lumière
(ma non per noi : tu morto, e noi -- (mais non pour nous : car tu es mort, et nous
morti ugualmente, con te, nell'humido -- sommes morts, avec toi, dans ce jardin
17) giardino) questo silenzio. Non puoi, -- 18) mouillé) au silence. Il ne t'est permis,
lo verdi ?, che ripostare in questo sito -- ne le vois-tu pas, que de dormir en terre
estraneo, ancora confinato. Noïa -- étrangère, toujours banni. Un ennui
21) patricia ti è intorno. E, sbiadito, --- 22) patricien t'entoure. Seul te parvient,
solo ti giunge qualche colpo d'incudine --- étouffé, quelque bruit d'enclume
dalle officine di Testaccio, sopito --- depuis les ateliers du Testacccio, assoupi
23)nel vespro : tra misere tettoie, nudi --- 24) dans le soir : parmi de pauvres hangars,
mucchi di latta, ferrivecchi, dove --- des tas de tôle nue, de la ferraille, où
cantando vizioso un garzone gia chiude --- sournois, un manœuvre en chantonnant achève
la sua giornata, mentre intorno spiove. déjà sa journée, tandis que tout autour cesse la pluie.
FIN de la première partie
Troisième partie :
1)Una straccetto rosso, comme quello --- 2) Un chiffon rouge, comme celui
arrotolato al collo ai partigiani --- noué au cou des partisans
e, presso l'urna, sul terreno cereo, --- et, près de l'urne, sur le sol cendré
3)diversamente rossi, due gerani --- 4) deux géraniums d'un rouge différent
Li tu stai, bandito e con dura eleganza ---- Te voici donc, banni, en ta grâce sévère,
Non cattolica, elecanto tra estranei ---- non catholique, enregistré parmi ces morts
5)morti : le ceneri di Gramsci... Tra speranza 6) étrangers : les cendres de Gramsci... Pris entre l'es-
e vecchia sfiducia,ti accosto, capitato -- pérance et ma vieille défiance, je m'approche, venu
per caso in questa magra serra, innanzi ---- Par hasard en cette maigre serre, face à
7)alla tua tomba, al tuo spirito restato 8) ta tombe, et à ton esprit qui est resté ici-bas parmi
quaggiù tra questi liberi. (O é qualcoza -- ces gens libres ( ou bien c'est quelque chose
di diverso , forse, di più estasiato -- de différent peut-être, de plus extasié
9)e anche di più umile, ebbra simbiosa --- 10) et de plus humble aussi, ivre symbiose
d'adolescente di sesso con morte... ) --- d'adolescence, de sexe et de mort... )
E, da quest paese in cui non sebbe posa --- Et en ce pays, où jamais ne fut trêve
11) la tua tensione, sento quale torto --- 12) ta passion, je sens quel fut ton tort,ici,
qui nella quiete delle tombe- et insieme --- dans le repos des tombes et, en même temps
quale regione – nell'inquieta sorte --- combien tu eus raison – en notre inquiet
13) nostra – tu aversi stilando le supreme --- 14) destin – d'écrire tes ultimes
pagine nei giorni del tuo assassinio. --- pages pendant les jours de ton assassinat.
Ecco qui ad attestare il seme --- Je vois , ici, attestant la semence
15) non encora dispersa dell'antico dominio --- 16)non encore dispersée de l'antique pouvoir,
questi morti attaccati a un possesso --- ces morts attachés à une possession
che affonda nei secoli il suo abominio --- qui plonge au fond des siècles son abomination
17) e la sua grandezza : e insieme, ossesso --- 18) et sa grandeur : et aussi , obsédante
quel vibrare d'incudini, in sordina --- cette vibration d'enclumes, en sourdine,
suffocato e accorante – dal dimesso --- étouffée et poignante – depuis l'humble
19) rione – ad attestarne la fine. --- 20) quartier – pour en attester la fin.
Ed ecco qui me stesso... Povero, vestito --- Et me voici moi-même...Pauvre, vêtu d'habits
dei panni che i poveri adocchiano in vertrine --- que les pauvres lorgnent dans les vitrines
21) dal rozzo splendore, e che ha smarrito --- 22) au clinquant grossier , et qu'est venue faner
la sporcizia delle più sperdute strade --- la saleté des routes les plus ignorées,
delle panche dei tram, da cui stranito --- des banquettes de tram, qui dénaturent,
23) e il moi giorno : mentre sempre più rade --- 24)Pour moi, toute journée : alors que je puis
ho di queste vacanze, nel tormento --- de moins en moins connaître de tels loisirs,
del mantenermi in vita ; e se mi acade --- dans le tourment de survivre, et s'il advient
25)di amare il mondo non è che per violento --- 26) d'aimer le monde, ce n'est que d'un violent
e ingenuo amore sensuale --- et naïf amour sensuel,
cosi come , confuso adolescente, un tempo --- tout comme, adolescent incertain, autrefois,
27) l'odiai, se in esso mi feriva il male - 28) je l'ai haï, quand me blessait en lui, bourgeois
borghese di me borghese : e ora, scisso - mon propre mal, bourgeois : et si le monde est -
con te – il mondo, oggetto non appare - avec toi – maintenant divisé, n'est-ce point objet
29)di rancore e quasi di mistico - 30) de rancœur, de mépris presque
dispresso, la parte che ne ha il potere ? - Mystique, que la fraction qui en détient le pouvoir ?
Eppure senza il tuo rigore, subsisto - Pourtant, sans ta rigueur, je subsiste,
31) perchè non scelgo. Vivo nel non volere - 32) Car je ne choisis point. Je vis sans rien vouloir,
del tramontato dopoguerra : amando - en cet après-guerre évanoui : aimant
il mondo che odio – nelle sua miseria - ce monde que je hais – en sa misère
sprezzante e perso- per un oscuro scandalo della conscienza
méprisant et perdu- par un scandale obscur de la conscience
Fin de la troisième partie et fin provisoire de cette publication
Cette œuvre, Pasolini l'a écrite en 1954. Elle a été traduite par
José Guidi . Ed. Gllimard NRF Col. Poésie/Gallimard – Poésies 1953-1964 Pier Paolo Pasolini
mercredi 9 décembre 2020
lundi 7 décembre 2020
jeudi 3 décembre 2020
mercredi 2 décembre 2020
mardi 1 décembre 2020
lundi 30 novembre 2020
SUR LA "PLACE DE LA NATION" On prend ses marques Malgré les masques
A Paris Le 30-11-2020
SUR LA « PLACE DE LA NATION »
On prend ses marques
Malgré les masques
Au travers des rangs de nuages insistants
Le soleil mord – il tranche mais il prend son temps
Noire Marianne regarde Place en guetteuse
Soleil ! Tu lui lances ta lumière rieuse !
Marchand ambulant ! Tes fruits égayent mon banc
Autour duquel des passants tournent et retournent
Ronronnement de la ville où le trafic s'enfourne...
Vibre dessous – gronde : « Prolétaire Serpent » !
Travailleurs infatigables pressant leur vie
Pendant que vieillards au pas feutré la comptent...
Marchand ambulant ! Tu vends tes fruits à l'envie !
Ma ville ! Ta rumeur – d'un seul coup remonte
Sur le fond de résonance des boulevards...
2 Heure ! Je t'abandonne trace d'un humble art
dimanche 29 novembre 2020
POUR UNE AMIE - "La Délie" Disparue
Paris Le 30-11-2020
POUR UNE AMIE :
« La Délie » Disparue
Dans le froid blêmissant crépite la douleur
Pour un être si endurci au « Jeu de Paumes »
Qui semblait avoir assassiné son malheur
C'était sans compter l'unique étoile et son baume
Avait-elle joué l'exil et son errance
Toujours est-il que « Délie » avait disparu
« Rose de personne » - « De seuil en seuil » : perdus
Or la fontaine ne brûle dans son essence...
A moins que glacée ou asséchée – elle meurt
Et on n'aurait entendu aucune complainte
Mais l'amande ne tremble à l'écoute du cœur
Descendue d'yeux jaloux nourris de tant d'absinthe
Qui est blessé ? Corps se perdant en division ?
Le noyau de la nuit au-delà du froid blême
Appelle tout Paris à lever son bâillon
Toi ! D'où tu es : Unis ta lumière que j'aime
Pour « bête immonde » ne sera fécond le temps
Les amis de ta jeunesse crient toujours : « Gare » !
Et nul ne peut les séparer sauf s'il prétend
Couper la poire en deux et s'ériger en phare !
Mais quel amour resterait-il à partager ?
O Ma douce amie – Musique suave en guerre
Ferait à l'unisson tel ramdam enragé
Que ton étoile même en perdrait sa lumière !
OSSIP MANDELSTAM : Un poète russe à la mesure de son temps
Mandelstam (1)
Babel le Ven 3 Jan - 11:52
La poésie est un pouvoir, car pour elle on vous tue.
Pour qu’indifféremment il secoue sa torpeur
Et qu’avec la vague de châtaigniers aux boucles de lin
Il se lave dans le souffle du vers.
(...)Ce qui distingue la poésie de la parole machinale, c’est que la poésie justement nous réveille, nous secoue en plein milieu du mot. Ce dernier se révèle alors à nous d’une étendue bien plus vaste que nous ne l’imaginions, et nous nous rappelons soudain que parler veut dire : se trouver en chemin.
Nel mezzo del cammin di nostra vita (1)- au milieu du chemin de ma vie, j'ai été arrêté dans l'épaisse forêt soviétique par des bandits qui se disaient mes juges. C’étaient des vieillards au cou noueux, à la petite tête d’oie, indignes de porter le poids des ans. Pour la première et la seule fois de ma vie, la littérature eut besoin de moi, elle me pétrissait, me ballottait, me malaxait, et tout était terrible comme dans un rêve de jeune enfant. (...)
Je m'extirpe de ma pelisse littéraire et la piétine. Avec ma seule veste par un froid de moins de trente degrés je ferai trois fois le tour des boulevards circulaires de Moscou. Je me sauverai de cet hôpital jaune qu'abrite le passage Komsomol pour aller à la rencontre de la pleurite, d'un refroidissement mortel, pourvu que je n'aperçoive plus, boulevard Tverskoï, les douze fenêtres éclairées de l'obscène maison où vivent les Judas, pourvu que je n'entende plus sonner les deniers d'argent, ni le comptage des feuilles imprimées.
(L’Entretien sur Dante, traduction Jean-Claude Schneider - Éd. La Dogana)
(1) Il s'agit du premier vers de La Divine Comédie de Dante
______________
Ossip Mandelstam.
Né en 1891. Poète acméiste, proche d'Akhmatova, de Tsvétaïeva et de Pasternak.
La lecture de son poème sur Staline (cf. message précédent) lui vaut d'être envoyé en camp, en 1934, à Voronej, où il rédige trois cahiers de poèmes. Libéré en 1937, il est à nouveau déporté l’année suivante, et meurt le 27 décembre 1938 près de Vladivostok.
Ce n'est qu'après l’effondrement de la dictature bureaucratique stalinienne qu’une édition partielle de ses œuvres est réalisée en Russie.
Ajoutons que rien n’aurait été possible sans la ténacité et le courage de sa femme, Nadedja, qui apprit ses textes par cœur, les fit circuler clandestinement, et leur permit ainsi d’échapper à la destruction. La lecture de son livre de mémoires Contre tout espoir est vivement conseillée.
Dernière édition par Babel le Dim 5 Jan - 9:42, édité 1 fois
Babel- Messages : 1081
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Mandelstam (2)
Babel le Ven 3 Jan - 12:12
En me privant des mers et de l’élan et de l’aile,
en donnant à mon pied l’assise d’une terre violente
qu’avez-vous gagné ? Piètre calcul!
Vous ne m’avez pas pris ces lèvres qui remuent ".
mai 1935, Voronej.
Non, ce n'est pas la migraine, mais donne-moi le bâton de menthol,
Ni les langueurs de l'art, ni les couleurs de l'espace joyeux ...
Ma vie a commencé dans l'auge humide de grasseyantes paroles,
Elle a continué en tendre soie de lampes à pétrole.
Puis quelque part dans la datcha, dans le livre chagrin du bois,
Elle a pris feu dieu sait pourquoi, en énorme incendie lilas.
Non, ce n'est pas la migraine, mais donne-moi le bâton de menthol,
Ni les langueurs de l'art, ni les couloirs de l'espace joyeux ...
À travers des verres de couleur, ensuite, j'entrevois péniblement :
Une terre comme calvitie rousse, un ciel comme massue menaçant ...
Plus loin encore cela m'échappe, plus loin c'est comme en guenilles,
Une vague odeur de résine et comme d'huile de baleine rancie ...
Non, ce n'est pas la migraine, mais le froid de l'espace asexué,
Le cri de la gaze qu'on déchire, le roucoulis de la guitare phénolée ...
23 avril - juillet 1935, Voronej. (Traduction de Philippe Jaccottet.)
La mendiante
Je ne suis pas encore mort, encore seul,
Tant qu'avec ma compagne mendiante
Je profite de la majesté des plaines,
De la brume, des tempêtes de neige, de la faim.
Dans la beauté, dans le faste de la misère,
Je vis seul, tranquille et consolé,
Ces jours et ces nuits sont bénis
Et le mélodieux labeur est sans péché.
Malheureux celui qu'un aboiement effraie
Comme son ombre et que le vent fauche,
Et misérable celui qui, à demi mort,
Demande à son ombre l'aumône.
Janvier 1937, Voronej. (Traduction P. Jaccottet)
Ce cher levain du monde –
sons, larmes, labeurs –
les accents pluvieux
des malheurs qui commencent à bouillir
et les pertes phonétiques,
d’om, de quel minerai, les retirer ?
Première fois que dans la mendiante
mémoire tu pressens ces fosses
aveugles, pleines d’une eau cuivreuse –
et sur leurs traces tu marches,
de toi dégoûté, de toi inconnu –
à la fois l’aveugle et son guide
Voronej, janvier 1937. (Traduction de J-C Schneider.)
A mes lèvres je porte ces verdures,
Ce gluant jurement de feuilles,
Cette terre parjure, mère
Des perce-neige, des érables, des chênes.
Vois comme je deviens aveugle et fort
De me soumettre aux modestes racines,
Et n'est-ce pas trop de splendeur
Aux yeux que ce parc fulminant ?
Les crapauds, telles des billes de mercure,
Forment un globe de leurs voix nouées,
Les rameaux se changent en branches
Et la buée en chimère de lait.
30 avril 1937, Voronej - (Traduction de P. Jaccottet.)
Sur la terre vide clochant malgré elle
D'une démarche irrégulière et douce,
Elle va, devançant un petit peu
Sa rapide compagne et l'ami plus âgé à peine.
Ce qui l'entraîne est la légère entrave
De cette infirmité qui vivifie,
Et l'on dirait que voudrait s'attarder
Dans sa démarche le soupçon lucide
Que cette journée de temps printanier
Nous est l'aïeule de la voûte du tombeau
Et que tout commence éternellement.
Il est des femmes proches de la terre humide.
Et chacun de leurs pas est un sanglot sourd.
Leur vocation est d'escorter les morts
Et, les premières, d'accueillir les ressuscités.
C'est un crime d'en exiger de la tendresse.
Au-dessus de nos forces de nous en séparer.
Ange aujourd'hui, demain ver du tombeau,
Après-demain - simple contour, à peine.
Ce qui fut notre pas sera hors de portée,
Les fleurs seront immortelles. Le ciel d'un seul tenant.
Et ce qui adviendra : simple promesse.
4 mai 1937, Voronej. (Traduction de P. Jaccottet.)
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Mandelstam (3)
Babel le Sam 4 Jan - 17:08
Le 1 janvier 1924
Le temps - celui qui sur sa tempe meurtrie l'embrassa,
Avec une tendresse filiale ensuite
Il se souviendra que le temps, pour dormir, s'est couché
Sous la fenêtre dans l'amoncellement du blé.
Le siècle - celui qui en a soulevé les paupières malades
(Deux pommes somnolentes, lourdes)
Entend la rumeur, l'incessante, depuis que grondèrent
Les fleuves des temps mensongers, sourds,
Il a deux pommes somnolentes, le souverain-siècle,
Et une belle bouche d'argile,
Mais sur la main languide de fils vieillissant
Il se penche, agonise.
Je sais : le souffle de vie s'use chaque jour,
Encore un - et ils interrompent
Le chant simple qui parle des offenses d'argile,
Et les bouches, ils y coulent de l'étain.
Ô la vie argileuse ! Ô l'agonie du siècle !
Celui-là seul, je le crains, te comprend,
En qui habite le sourire impuissant de l'homme
Qui s'est perdu à lui-même.
Quelle douleur - chercher la parole perdue,
Relever ces paupières douloureuses
Et, la chaux dans le sang, rassembler pour les tribus
Étrangères l'herbe des nuits.
Siècle. La couche de chaux dans le sang du fils malade
Durcit. Moscou sommeille, une huche de bois.
Et aucun lieu où fuir le souverain siècle ...
La neige a une odeur de pomme, comme jadis.
J'ai envie de fuir loin de mon seuil.
Mais où ? La rue est sombre
Et, comme du sel répandu sur les pavés,
Ma conscience, étalée devant moi, blanchit.
Par les ruelles, entre les taudis, sous le rebord des toits,
J'avance, sans aller loin, tant bien que mal,
Caché, banal voyageur, dans ma fourrure de courant d'air,
Longtemps je m'efforce d'agrafer la couverture.
Défile une rue, une autre encore,
Craque comme une pomme le bruit gelé des traîneaux,
Et le nœud, trop serré, résiste,
Sans cesse échappe de mes mains.
Avec tout un chargement de quincaillerie, de ferraille,
La nuit d'hiver gronde dans les rues de Moscou.
Cogne à coups de poissons gelés, jaillit avec la vapeur
Des maisons de thé roses - on dirait l'écaille d'un gardon.
Moscou - une fois de plus Moscou : "Je te salue".
Je lui dis : "Pardonne, il n'y a plus de mal.
Comme autrefois, je les accepte pour frères.
Cette morsure du gel, ce verdict du brochet."
Flamme sur la neige, la framboise de l'apothicairerie,
Quelque part crépite l'underwood ;
Le dos du cocher, presque une archine de neige :
Quoi de plus ? On ne te touchera pas, te tuera pas.
La beauté de l'hiver, dans les étoiles un ciel de chèvre
S'est répandu, son lait brûle.
Et contre les patins gelés la couverture frotte
Sa crinière de cheval et siffle.
Mais les venelles boucanées au pétrole
Ont avalé neige, framboise, glace,
Pour eux tout pèle, rappelle la sonatine des Soviets,
Les fait se souvenir de l'année vingt.
Est-il possible qu'à l'ignoble médisance je livre
- Il a encore son odeur de pomme, le gel -
Cet étrange serment que je fis au quatrième était,
Lourdes promesses jurées jusqu'aux larmes ?
Qui d'autre vas-tu tuer ? Qui d'autre rendre illustre ?
Des mensonges, lequel inventeras-tu ?
Ce cartilage de l'underwood : plus vite arrache la touche -
Et tu trouveras la mince arête du brochet ;
La couche de chaux dans le sang du fils malade
Se dissipe, et de bonheur le rire gicle ...
Mais les machines à écrire - leur sonatine simple
Est l'ombre seulement de ces puissantes sonates.
Traduction de Jean-Claude Schneider.
Voici la futaie à vaisseaux et mâtures,
Les pins roses,
Jusqu'à la cime dépouillée de leur fardeau floconneux,
Bien dignes de grincer dans la tempête,
En arbres solitaires,
Dans un air furieux, déboisé ;
Rivés au pont dansant du navire,
Ils garderont leur aplomb sous les talonnades salées du vent.
Et le navigateur
Dans sa soif débridée d'espace,
Traînant par les cahots humides son frêle instrument de géomètre,
Confrontera à l'attirance du giron de la terre
La surface rêche des mers.
Et nous, humant l'odeur
Des larmes résineuses qui suintent à la coque du navire,
Admirant ces planches
Rivetées, composées en étanches cloisons
Non par le charpentier de Bethléem mais par l'autre
- père des voyages et ami du marin -
Nous disons :
Ils ont eux aussi connu la terre
mal commode comme l'échine d'un âne ;
Alors, de toutes leurs cimes, ils oubliaient leurs racines,
Sur quelque illustre cordillère
Et bruissaient dans l'averse fade,
Proposant vainement au ciel d'échanger contre une pincée de sel
Leur noble fardeau.
Par où commencer ?
Tout craque et tout tangue.
L'air frémit de comparaisons.
Nul mot qui n'en vaille un autre,
La terre gronde de métaphores
Et les agiles carrioles,
Attelées à des nuées voyantes d'oiseaux épaissies par leur effort,
S'émiettent
A vouloir rivaliser avec les favoris hennissants de l'antique hippodrome.
Heureux trois fois qui dans le chant fera entrer un nom ;
Parée d'un nom sa chanson
Vit plus longuement parmi ses compagnes,
Reconnaissable au bandeau de son front
Qui la préserve de la folie, de tout parfum entêtant,
De l'approche du mâle
Comme de la senteur laineuse d'une bête puissante
Ou de l'odeur du thym écrasé entre deux paumes.
Parfois l'air est obscur comme l'eau et toute vie y nage, poisson
Écartant des nageoires la sphère
Compacte et souple, à peine tiédie -
Cristal où se meuvent des roues et des chevaux s'effarouchent,
Humide terreau de Nérée, chaque nuit relabouré
A renfort de fourches et de tridents et de houes et de charrues.
L'air est pétri d'une pâte aussi dense que la terre -
On n'en peut pas sortir et il est dur d'y entrer.
Un frisson parcourt les arbres comme un battoir vert ;
Les enfants jouent aux osselets avec des vertèbres d'animaux morts.
Le comput de notre ère touche à sa fin.
Merci pour ce qui fut :
Moi le premier je me suis trompé, j'ai perdu le fil et le compte.
Notre ère tintait comme une boule d'or,
Creuse, lisse, que nul ne soutenait,
Et répondait au moindre attouchement par "oui" et "non".
C'est ainsi qu'un enfant vous répond :
"Je te donnerai" ou "je ne te donnerai pas cette pomme"
Et son visage est l'empreinte fidèle de la voix qui prononce ces mots.
Le son vibre encore quand la cause du son a disparu.
Le cheval gît dans la poussière, il hennit, couvert d'écume,
Mais la torsion violente de son cou
Garde mémoire de la course aux foulées gaspillées,
Lorsqu'il avait non pas quatre membres
Mais autant qu'il y a de pierres sur la route,
Quadruplement relayées
A chaque rebond sur la terre de son amble brûlant.
Ainsi l'homme qui trouve un fer à cheval
Souffle pour en chasser la poussière
Et le frotte avec de la laine jusqu'à le faire briller
Ensuite
Il l'accroche à sa porte
Pour lui donner du repos
Et ce fer n'arrachera plus d'étincelles au silex.
Les lèvres d'hommes
qui n'ont plus rien à dire,
Gardent l'image du dernier mot proféré,
Comme, dans notre main, demeure le sentiment d'un poids
Alors que la cruche s'est à demi vidée sur le chemin de la maison.
Ce n'est pas moi qui dis ce que je dis là,
Ce sont des mots extraits de la terre comme des grains
d'un froment pétrifié.
Certains sur des monnaies figurent un lion,
D'autres une tête ;
Cuivre ou bronze, ces pastilles
Ont même honneur dans la terre où elles gisent.
Le siècle, à vouloir les éprouver, y a imprimé ses dents.
Le temps me rogne comme une pièce de monnaie
Et je me fais à moi-même défaut.
1923, Moscou. Traduction de Louis Martinez.