DANS LA CITADELLE
Dans cette bouche glacée de la ville
On est comme baigné
Au cœur de citadelle
On est dedans-dehors
Silence …
Et le vide qui vous porte
Est grimé
Par des yeux blancs et sauvages
Catapultés hors des lèvres du désir
Ce jardin – votre amphithéâtre –
Le gardien de votre veille
Votre regard s’y enfile
Entre les mille feux qui l’enserrent –
Chien et loup
Vous rencontrez des gens de bohème –
Pauvres reclus dans l’ombre –
Ils sont le château de vos étreintes
Quand l’humanité se terre
Derrière un univers de pierre
Vous secouez le temps
Il vous arme de ses conquêtes
Il ne se loge pas dans l’horloge
Qui – en face – pourrait stupéfier
Vos sens –
Ce temps « moderne »
Qui rythme le mépris
Et accélère le démembrement
De l’Homme Commun
Dites – Poètes … !
La voyez-vous venir cette histoire mécanique
Qui broie les respirations
Et les colle au mur de son ombre –
Mordant ainsi de ses spasmes de machine
La tendresse et la chair de ses combats
On ne peut oublier ses monstres
Habillés par la puissance virtuelle
Du calcul automatique
On ne le peut …
Mais que grandisse l’espace des pas
Au cœur de la citadelle
Où plonge le verbe séparé … :
Ce sont mille et mille sources
Où puisent les renaissances
Incarnant des acteurs sans mur -
Où fléchit la courbe de l’histoire …
On y accroche la grande palme
D’un charme mystérieux –
Celle – vibrante-palpitante
De cœurs audacieux
Là – au creux de l’épaule :
Remontant le sang de la misère
Dans la chaleur resserrée
D’un corps rassemblé …
Là – exténuant les mains
Qui tiennent le gouffre captateur
Comme un seul et même arbre du savoir
Levé vers l’horizon
Relevant la lumière
A la pointe du jour
Pour faire oublier
Le gel de la mémoire
Et la clairière du souvenir
Éclairera les forêts précaires
Elle dira les fleurs qui s’en dégagent
Comme celles
De nos histoires défaites
Et entrera
Dans la puissance universelle
De l’aimer …
Et son infini ouvert
Se dégage du gel
Avec chaleur – ouvrant
Les portes de tous les seuils
Avec des fontaines bruissantes –
Elle écartera les bras –
O leur tintamarre ! –
Qui étranglent –
Au vif de leurs places fortes
Envahissantes mais séparées –
La pensée – le poème …
Elle – fondue dans la chair de la beauté
Et de la justice –
Ouvrira les vannes
Et tracera dans la terre des égaux
De la grande différence
Oubliée dans la citadelle –
Celle du pauvre –
Du pauvre-« canaille »
Du pauvre « étranger »
Celui que n’éclairent pas
Les feux de la rampe
Celui-ci qui aveugle
Mais n’existe dans aucun compte
Puisqu’ici toute veille est un guet
Nous accorderons l’ombre de notre bohème
Avec un grand soleil généreux
Et la longue nuit – et le silence
Retentissent de la lueur
D’un cri modulé :
Celui de la longue nuit des oubliés
Qui garantit l’excroissance parasitaire
Des monstres froids
Celui de l’horizon blafard
Où la richesse fait ses comptes
A part – dans l’ignorance crasse
De la pensée
Celui de la perte de sens
Où s’abandonnent
Les phares du monde
Et par-dessus tout :
Celui de la liberté
Qui accuse ses assassins
Dans une longue nuit d’indifférence
Et cela jusque dans notre pays –
Dans notre citadelle !
Poètes – qu’êtes-vous si vous
Compatissez avec les difficultés
Des puissants ?
Qu’êtes-vous si vous n’entendez
Rien que l’appel du pouvoir et des places et des prébendes ?
Non – vous n’existez qu’à donner voix
Qu’à libérer paroles
Cela pour réenchanter
Cela pour faire source
Avec le verbe
Aujourd’hui vous portez sens et mémoire
Ici et maintenant votre monde
Est le monde
Où s’entend sourdre
Le souffle des humiliés – des bafoués
Des déshérités et …
Par-dessus tout – celui qui – parmi eux –
Bat entre les murs des places fortes
Pour lever le grain de l’aurore
Sans rien attendre
Que l’écho des gens du peuple !
Dans cette nuit parisienne où s’entend
Le froissement du silence
Sous les mille lumières
Qui mouchettent dans la citadelle
Dans les confidences chuchotées
De la pauvre bohème –
Le temps de la liberté sonne autrement
Que comme représentation
Il rentre effronté
Dans la chaleur d’une voix
Qui désenchaînée de la puissance
A résonné poétiquement
Dans notre voix
Il y eut d’autres voix
Qui firent concert
Elles ont dégelé la présence
Au pays et au monde !