FIGURE POLITIQUE DU « MIGRANT »
Cécile Winter, Printemps 2018
L’es pèce humaine est voyageuse. Les migrations ont toujours existé. L’usage du mot
« migrant » est par contre récent, il date des dernières années, mettons, du début de ce
siècle : jusqu’aux années 90 du siècle dernier, on parlait « d’immigrés ». Comme mot du
discours dominant, le mot « migrant » s’est imposé. Nous voulons déplier son sens, préciser
ce qu’il charrie de propagande et proposer une contre-appellation. Nous le ferons en trois
temps/ 1 que signifie l’éviction du mot « ’immigré » au profit de « migrant » /2 « migrant »,
mot de l’oligarchie capitaliste et de la propagande d’état, contre prolétariat nomade /3
l’ambiguïté de type colonial du mot « réfugié » : pour un sujet politique mondial.
/1 Ce qu’indique le passage d’« immigré » à « migrant »
. Immigré a un sens vectoriel, indique une direction. L’immigré est celui qui vient d’ailleurs à
« ici » : ce qui indique qu’il doit y avoir un « ici ». Immigré se dit du point de vue d’un lieu
d’arrivée. Il y a sous-jacente la notion d’un « pays » (quelles que soient ses qualités
« d’accueil », ce n’est pas notre sujet).
. Le mot « immigré » est lié à la notion du travail, on dit d’ailleurs aussi « travailleur
immigré » : qu’on le mentionne ou pas, il est clair que « l’immigré » est celui qui vient pour
travailler.
° La disparition du mot « immigré » date des fameuses années 1980, années Mitterrand,
qualifiées dans la presse de « tournant néo-libéral » du capitalisme français. Mieux vaut dire,
pour être plus précis, l’intégration de la bourgeoisie française à l’oligarchie capitaliste
mondiale et , corrélat de cette fameuse mondialisation, la désindustrialisation rapide et
massive de la France : cette destruction rapide de l’appareil productif par la classe
dominante, on en parle peu – ou alors sous le vocable « délocalisation » (on déserte le lieu) :
souvenir de la rencontre récente d’un ouvrier africain qui parlant de l’époque me dit : ce
qu’on aurait dû faire, c’est démonter les ateliers et les emmener chez nous. (lui est au
courant du fond de l’affaire.) Au passage, cela signe la disparition – fin et déqualification
-d’une classe dominante nationale décidée à jouer ce rôle ( songer à 14-18, puis le pacte De
Gaulle communistes en 1945 masquant la massive trahison pétainiste , donc toute cette
période de nationalisations pacte et compromis social, service public, à l’achèvement de
laquelle Macron donne en ce moment la dernière main = privatisations, vente de tout ce qui
peut se vendre y compris routes aéroports service de santé et même prisons. En prendre
acte = pas de classe dominante mais collection d’individus qui « font leur beurre » = cela
l’oligarchie, voir la figuration des présidents, jusqu’à Mitterrand inclus ils parlent français et
ont des lettres, changement avec Sarkozy, assomption de la figure du malfrat – NB armes
drogue pornographie trois grandes ressources du capital-. Sarkozy qui utilise l’armée
française pour régler ses comptes personnels NB remarque de la dame à Château Rouge,
vous allez apprendre ce que nous connaissons, mot sur la Slovaquie. Puis Macron, figure
directe de l’envoyé employé de banque).
° ce qui nous intéresse directement dans ce processus c’est qu’il y a eu une lutte, bataille
des années 1980, et cette lutte a mis en jeu les significations sous-jacentes au mot
« immigré ». Lutte sur le signifiant, où est en jeu le signifiant. Dans cette lutte, il s’est agi de
porter au premier plan l ‘aspect du travail, soit mettre en avant « ouvrier » contre
« immigré ». Se défendre en portant en avant le mot ouvrier, qui est la vérité de
« l’immigré ». Sortir et nommer la vérité qui est sous le signifiant en usage.
Le plan – proposition de l’état s’appelait « aide au retour » = on vous a fait venir pour
travailler, maintenant les usines ferment vous repartez et on vous donne un petit billet pour
çà (moyennant quoi vous perdez vos droits sociaux, retraites sécurité sociale etc..) donc ce
n’est plus même immigrés mais aller-retour, force de travail dont on n’a plus besoin,
étrangers.. on s’approche du migrant.
Face à cela il y a eu non seulement résistance = refus massif de « l’aide au retour », mais a
été portée en avant la figure de l’ouvrier, et ses droits comme ouvrier.. Emblématique grève
de Talbot (décembre 83 janvier 84 voir vidéos) où les ouvriers (tous immigrés) mettent en
avant le point des droits de l’ouvrier = l’ouvrier en tant qu’ouvrier. L’usine ferme, l’ouvrier doit
toucher tant – un mois par année d’ancienneté -. En face, l’agression des cadres et maîtrise,
syndicat patronal ( les bougnoules au four, ils chantent la Marseillaise à l’arrivée des flics) et
la fameuse phrase du 1 er ministre socialiste Mauroy : « ce sont des chiites étrangers aux
réalités sociales de la France » ( commentaire sur l’identitaire, j’ai même le droit de me
tromper). Polarisation à partir de « immigré » en étranger – ouvrier . Noter le rôle de la
gauche dans cette affaire. Les « réalités sociales de la France », pour autant qu’il y en ait eu,
ce sont bien les ouvriers grévistes de Talbot qui les défendaient. A l’époque, nous avions
écrit deux tracts dont les titres étaient : « ouvrier, c’est son métier, c’est son nom : un mois
par année d’ancienneté pour tout ouvrier qui quitte l’usine », et « sans ses ouvriers, il n’y a
pas de pays ».
Sans ses ouvriers, il n’y a pas de pays, on peut voir aujourd’hui à quel point c’est vrai.
Disparition de la figure politique de l’ouvrier est corrélée à disparition du pays ( raison de la
faiblesse interne des mouvements actuels) Fin du signifiant immigré, lié à la
désindustrialisation, vous devenez des étrangers, a vu aussi, quand même l’émergence
d’une contre-offensive, petite contre-offensive, mettant en avant, à jour, la corrélation ouvrier,
pays, qui était recouverte par le mot immigré La vérité de cette corrélation qui dans les
années 1980 a été portée justement par cette fraction des ouvriers immigrés qui a mis en
avant la figure ouvrière comme telle, dans le temps de sa destruction, du fait de la
désindustrialisation massive et corrélativement de la précarisation et mise en invisibilité du
travail ouvrier avec l’expansion massive du travail intérimaire ( cf. réalité actuelle et même
les statistiques).
Donc une défaite mais une bataille. Mentionner aussi là le rôle du PCF – et syndicat CGTqui
a aussi mené bataille contre la désindustrialisation mais , avec le mot d’ordre
« produisons français » : donc un mot d’ordre qui faisait corrélation entre le pays et la
bourgeoisie, appel à la bourgeoisie à rester une bourgeoisie nationale, et du côté des
ouvriers c’était seulement « non aux licenciements » (mot d’ordre purement négatif,
contrairement à l’affirmation positive des droits et de la figure de l’ouvrier) on le voit même
dans la vidéo Talbot. Le solde de cela, çà a été la défaite subjective massive du côté des
ouvriers français = ils n’étaient rien, ils ont été niés, avec ses conséquences aujourd’hui (le
nord, le lepénisme, le « populisme « « etc..). Consentir à son effacement est une
catastrophe lourde. C’est différent, par exemple, des mineurs marocains du nord (les
chibanis, encore en conflit avec les houillères).
/2 Migrant - prolétaire
Mot d’aujourd’hui qui remplace l’immigré – et la corrélation ouvrier pays.
Le migrant est sans destination, le mot n’indique aucun sens du voyage, signifie une errance.
Le migrant, celui qui se déplace à la surface de la terre.
D’autre part, pas de corrélation directe entre le mot migrant et le travail.
Cela ne veut pas dire que le migrant ne travaille pas. S’il se déplace, c’est justement pour
travailler. Il se déplace précisément pour pouvoir vendre sa force de travail, la seule chose
qu’il possède, je vais y revenir. Mais son travail est généralement invisible dans la société,
précaire, sans statut, incertain, temporaire. Et il est recherché et employé pour cette raison
même. Par exemple, un camarade africain déjà âgé, manutentionnaire, me raconte qu’il doit
faire très attention, parce que la boite qui l’emploie cherche tous les prétextes pour se
débarrasser des « vieux » comme lui qui gagnent 1200 à 1300 euros par mois. Elle les
remplace par des « pakistanais », qui accepte de faire le même travail pour 800 ou 900
euros. Il ne leur en veut pas, il les comprend et comprend aussi la raison de cette mise en
concurrence. Il est aussi un prolétaire.
La vérité du migrant, la vérité cachée sous le mot migrant, c’est qu’il est un prolétaire, au
sens strict de la définition de ce mot, à savoir quelqu’un qui ne possède rien d’autre que sa
force de travail, qu’il cherche à louer, ou à vendre, pour survivre. S’il erre à la surface du
monde, c’est pour ce faire.
Arrêtons-nous sur le glissement de « ouvrier » à « prolétaire ». L’ouvrier est un prolétaire qui
a obtenu un travail, par-là l’accent est mis sur le rôle actif qu’il joue dans le procès de
production : de ce fait c’est quelqu’un qui possède ou peut prétendre à, ou lutter pour, un
statut, qui peut prétendre comme tel à des « droits », dont l’emploi est (relativement) fixe.
Ouvrier résonne avec « classe ouvrière », « mouvement ouvrier » (et derrière partis et
syndicats qui vont avec). On voit poindre là la classe ouvrière qui a obtenu des droits dans
les pays impérialistes, qui peut éventuellement relever de ces fameuses « réalités sociales »
et conquêtes sociales dont l’arrière-fond et l’assise fut la stabilité impérialiste fondée sur les
possessions coloniales. (un partage du monde à peu près stable et assuré, à « quelques
guerres » près).
Prolétaire est le mot générique qu’emploie Marx pour désigner celui qui ne possède que sa
force de travail qu’il doit louer ou vendre au bourgeois – au capitaliste, celui qui possède les
moyens de production, pour assurer sa survie.
Nous sommes au temps du capitalisme mondialisé – et donc mondialement dans la situation
que décrit Marx. Pas étonnant qu’il faille en venir à la précision du vocabulaire marxiste, et
donc au prolétaire. C’est le moment ou jamais de s’approprier les fondamentaux du
marxisme (remarque éventuelle sur la vigueur de la propagande bourgeoise antimarxiste,
étant donné sa brûlante actualité). Rappelons donc quelques lois de base :
. L’extraction de plus-value. Le capital n’a de sens que d’augmenter le capital – l’argent de
faire de l’argent-. La seule marchandise susceptible de produire de la valeur est le travail. En
achetant la force de travail, qu’il paie selon son prix sur le marché, le capitaliste ( celui qui
possède les moyens de production) se procure la possibilité – et l’unique possibilité- de
générer une plus-value = la valeur ajoutée par le travail , qui va être réalisée dans la
marchandise produite, valeur supérieure au prix de la force de travail. Le but du jeu va
toujours être d’augmenter autant que possible la plus-value, en achetant une force de travail
meilleur marché , en augmentant la durée du travail (commentaire là-dessus), en
augmentant la productivité. NB explique les délocalisations mais aussi le retour sur les « lois
sociales », les demandes de « flexibilité », (contrats sans obligation, recours généralisé à
l’intérim) la bataille continue sur la durée du temps de travail = précarisation continue du
travail (retour au 19 siècle après la défaite -provisoire- du mouvement communiste du 20 è
siècle : « ne jamais oublier la lutte de classes)
. La concurrence entre capitalistes (cf. propriété privée des moyens de production) :
nécessité de conquérir des marchés, baisser les prix, d’où mécanisation ➔ baisse
tendancielle du taux de profit (= profit réalisé par rapport à un capital investi), donc
concentration du capital et pression pour augmenter l’extraction de plus-value.
Une conséquence essentielle, déjà notée dans le « manifeste du parti communiste de Marx
et Engels « en 1848 : « la bourgeoisie est incapable de remplir le rôle de classe
régnante…Elle ne peut régner parce qu’elle ne peut plus assurer l’existence à son esclave,
même dans les conditions de son esclavage, parce qu’elle est obligée de le laisser tomber
dans une situation telle qu’elle doit le nourrir au lieu de s’en faire nourrir » est l’incapacité à
valoriser l’ensemble de la force de travail. Autrement dit, alors que le capitalisme continue à
fabriquer massivement des prolétaires, notamment en expropriant les paysans et vidant les
campagnes (voir l’achat massif de terres en Afrique et à Madagascar), elle n’est pas en état
de les intégrer dans le processus de production capitaliste – vous avez déjà compris le
non-paradoxe capitaliste qu’est le développement massif du sous ou non emploi associé à
l’aggravation de l’exploitation de ceux qui sont au travail. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, il y
a sur terre des centaines de millions – en fait aux moins deux milliards- de personnes qui du
point de vue du capitalisme sont « inutiles » : ni propriétaires ni salariés ni consommateurs,
ils sont des gens « en trop », promis, écrit Wamba Dia Wamba, à un « génocide capitaliste ».
Ceux que le discours de la bourgeoisie appelle « migrants » sont une partie de ces gens
« en trop » du point de vue du capitalisme, cad des prolétaires à la fois non engagés dans le
procès de production (dont la valeur en tant que force de travail tend vers zéro) et en même
temps réserve de force de travail employable à un prix plus bas et/ou à un plus fort taux
d’exploitation – ce qui maintient aussi la concurrence au sein du prolétariat ( cf. histoire
supra). D’où le rapport à eux en tant que « en trop », à éliminer, rapport purement policier qui
fait signe vers le « génocide capitaliste » dont parle Wamba dia Wamba (ce qu’on voit ici
avec les lois successives sur l’immigration, mais aussi tendanciellement le rapport à
certaines zones du pays)
Nous devons donc les appeler par leur vrai nom, selon la vérité de ce qu’ils sont, cad des
prolétaires, partie du prolétariat mondial qui se déplace à la recherche d’un travail plus ou
moins provisoire – pour cette raison, Alain Badiou les appelle le prolétariat nomade. « Les
prolétaires n’ont pas de patrie », « ils ont un monde... un monde à y gagner » disait Marx,
gagner à quoi : à être l’ossature politique de la suppression de la propriété privée de
l’oligarchie capitaliste, pour y gagner effectivement un monde , le monde de l’humanité
comme telle, cad, le communisme.
Il est exact que le prolétariat, comme le disait Marx, n’a pas d’autre issue que de se
constituer comme sujet politique porteur d’une alternative au capitalisme qui l’exploite ou le
nie ( l’exploite en le niant)
3/ Du prolétariat nomade au sujet politique mondial