jeudi 29 juin 2023

IL N'Y A ¨PAS DE "JEUNES" HORS-MONDE OU "HORS-SOCIETE" : NI NORME NI MARGE NI RELEGATION NI ASSIMILATION FORCEE : C'EST AVEC CONCEPTION NEO-COLONIALISTE CACHEE PAR DU PATERNALISME DE BON ALOI ( Où "Pere fouettard" violent et régalien tue et mange) ) QU'IL FAUT ROMPRE ET LIBERER LES MEMOIRES TOUT EN APPUYANT L'EXPRESSION DE CES DITS "JEUNES" POUR BON DROIT ET CONTRE TOUTE DISCRIMINATION QUELLE QU'ELLE SOIT QU'IL FAUT : OUI : SE BATTRE MAIS PARTOUT ( territoires, logements, cités, travail, école, santé etc.) : QUICONQUE VEUT IGNORER CELA : APPUIE L'EXERCICE DE LA PIRE VIOLENCE ET BIEN SÛR LA NIE TOUT EN OCCULTANT LA GRANDE MISERE QUI ELLE NE TOMBE PAS DU CIEL !

 

1Jeudi 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois, Bouna (15 ans) et Zyed (17 ans) meurent électrocutés dans un transformateur edf. Ils revenaient d’un match de football lorsqu’un contrôle de police a dispersé le groupe. Les jeunes gens, effrayés, ont fui et ont escaladé le mur d’enceinte du transformateur pour se cacher. Dès la nouvelle de la mort des deux adolescents connue, deux cents jeunes gens du quartier du Chêne-Pointu, où vivaient Zyed et Bouna, s’en prennent aux camions des pompiers venus récupérer les corps. Deux cents policiers sont alors mobilisés pour les repousser ; les affrontements durent sept heures. C’est le prélude, brutal, de vingt jours de violence.

2L’explosion de violence, inédite par son ampleur et sa durée, interroge le modèle social français, l’intégration sociale des jeunes habitants ainsi que les inflexions sécuritaires ou préventives des politiques touchant aux « banlieues ». Les limites de l’ensemble sociopolitique, son degré de tolérance, ses inégalités, ses frontières internes, ses exclusions et sa dynamique sont interrogés ; comme le seront, ensuite, les représentations médiatiques. « Construisant les événements » (Veron, 1981), les médias élaborent des représentations qui permettent aux sujets sociaux d’intégrer ceux-ci dans leur existence commune et qui se fondent sur les normes structurant le social et le politique. Les discours de presse sur les violences doivent donc être interrogés au regard des conceptions de l’État et de la société qui les sous-tendent. Quelles sont les normes qui permettent aux journaux de dire la déviance ; comment s’articulent, par exemple, les couples tolérance-intolérance, prévention-répression, compréhension-rejet ? Comment, enfin, les discours inscrivent-ils, de façon prépondérante, la nature des violences et l’être de leurs auteurs dans le champ symbolique démocratique ?

3C’est cet ensemble de questions que cet article envisage, en examinant les récits de plusieurs journaux français – l’Humanité, Libération, la Croix, Le Monde, Le Figaro, Le Parisien – et d’un journal suisse, la Tribune de Genève. Les journaux retenus constituent un corpus exemplaire, mais non-exhaustif ; il inclut un quotidien régional, des quotidiens nationaux et un quotidien étranger. Ces journaux ont des positions diversifiées sur le spectre politique. Seuls les récits des trois premiers jours ont été analysés, pour comprendre ce qui se jouait dans le « temps chaud » de la crise. Nous avons fait ce même choix dans d’autres travaux, car le cadrage événementiel qui se met en place immédiatement n’est que peu modifié par la suite, sauf si d’autres faits impliquent une reconfiguration forte de l’événement. Il est évident que de nombreux événements, traités à chaud, font ensuite l’objet d’un « retour sur », qui donne aux journalistes l’occasion d’approfondir, de confirmer ou d’infirmer les discours initiaux. Mais le discours initial peut être compris comme le discours exemplaire de la position d’un journal face à un événement.

4Dans la lignée des travaux de sémiotique textuelle, nous recherchons comment les « personnages » du récit médiatique sont construits (les jeunes gens, auteurs de violences) et comment une « figure » particulière, celle de l’espace de l’action (le territoire), s’instaure à la fois comme élément du parcours figuratif des personnages et comme élément du jugement porté par le narrateur. « Les figures de discours apparaissent dans les textes comme un réseau de figures lexématiques reliées entre elles. À cet étalement de figures, à ce réseau relationnel, on réserve le nom de parcours figuratif […] En suivant ces réseaux de figures étalés dans un texte, nous constatons aussi qu’ils contribuent à désigner, à définir les “personnages” dont nous suivons la progression et l’évolution dans le récit » (Groupe d’Entrevernes, 1979, p. 94-98). Le repérage lexical identifie les termes qui désignent et qualifient les « causes » de ces violences, leurs auteurs, ainsi que leurs « territoires ». Il permet de comprendre comment les récits s’établissent, par les qualifications proposées, sur des perspectives axiologiques et des catégories d’interprétation, établies au fil du temps et des événements, mais non interrogées comme telles.

5En 1996, par exemple, l’analyse de la médiatisation d’un événement en banlieue montrait déjà que « les quartiers périphériques apparaissent comme des lieux de concentration des problèmes de société tels que le chômage, la délinquance, l’insécurité, la mixité ethnique, l’échec scolaire » (de Lataulade, 1996). Les événements de novembre 2005 s’inscrivent bien dans ce processus répété d’assignation qui pèse sur les récits de presse, sur leurs désignations et sur leurs qualifications. Mais, les premiers jours, les journaux se concentrent sur un phénomène dont l’irruption surprend, à nouveau. À l’exception du Figaro, qui dénonce les hésitations entre prévention et répression « depuis 20 ans », et de la Tribune de Genève, qui évoque des jeunes issus de l’immigration « toujours pas arrivés à bon port depuis 30 ans », les journaux accumulent les précisions factuelles ; aucun ne rappelle, par exemple, les événements des Minguettes, puis de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise, ou du Mirail à Toulouse. L’histoire n’est donc pas convoquée explicitement, même si elle est présente dans la mémoire collective et partagée des journalistes et des lecteurs, permettant aux récits médiatiques d’user de qualifications – dont celle de « jeunes de banlieue » – qui n’ont pas, ou plus, besoin d’être explicitées.

Les « causes » des émeutes : violences sociales ou violences urbaines ?

6Le lendemain du drame initial, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, parle d’une « nuit d’émeutes, une de plus » et avance deux éléments qui seront infirmés par les témoignages, l’enquête judiciaire et celle de « la police des polices », l’Inspection générale des services (Davet, 2006). Pour le ministre, le contrôle de police, à l’origine du drame, faisait suite à une « tentative de cambriolage » et les jeunes gens « n’étaient pas poursuivis physiquement » par la police. Ces déclarations, à peine atténuées par celles du Premier ministre, Dominique de Villepin, sont ressenties comme une injustice supplémentaire.

7Les premiers jours, les journaux font tous état de la mort des deux adolescents et d’une rumeur autour de la poursuite policière initiale. Mais cette évocation partagée ne conduit pas aux mêmes explications de ce qui a pu déclencher les émeutes. Une ligne de fracture apparaît rapidement entre les journaux qui situent l’origine des émeutes dans la poursuite – et dans les dénégations officielles quant à la réalité de cette poursuite – et ceux qui ancrent leurs récits dans le constat – ou la dénonciation – d’une violence urbaine récurrente et suffisante pour expliquer la crise.

8Pour dénoncer la violence policière, l’Humanité cite un Conseiller régional communiste : « il n’y a rien d’acceptable dans les violences exercées par les jeunes, mais les violences qui leur sont exercées n’ont aucune excuse ». Le récit fait ensuite état du caractère infondé de la rumeur, mais il donne aussi la parole à un jeune homme, dont les propos résument la position du journal : « il n’y a pas de logement, pas de travail, pas de budget pour la mairie de Clichy, on nous met dans des caves, et ça, il faut le dire à Monsieur Sarkozy. Nous voulons être reconnus, intégrés ». L’article, paru dans la rubrique « Société », permet au quotidien d’identifier, comme cause de l’événement, une situation sociale et politique dégradée face à laquelle, selon le titre, la réaction des jeunes gens mérite d’être soulignée : « La marche qui fait reculer la violence » (l’Humanité, 31 octobre 2005).

9Le quotidien Libération établit aussi un lien direct entre la poursuite policière, la mort des deux adolescents et les violences. Paru dans la rubrique « Société », le premier article s’ouvre sur un titre et un sous-titre explicites : « Violences à Clichy-sous-Bois après la mort de deux jeunes » ; « Ziad et Banou [sic] se sont électrocutés après avoir fui une interpellation policière ». Le surlendemain, le quotidien évoque la « rumeur », mais dénonce la succession de déclarations du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur qui semble avoir « envenimé la situation ». L’éditorial débute ainsi : « Parler sans savoir, ça fait partie du mécanisme même de la rumeur mais c’est en principe exclu de l’exercice gouvernemental. Malheureusement, si la machine à rumeurs a fonctionné pour enflammer les esprits des jeunes habitants de Clichy-sous-Bois, Sarkozy, mais aussi Villepin se sont empressés de répercuter des accusations infondées ». La violence trouve donc son origine, selon le quotidien, dans les deux rumeurs, mais la seconde, alimentée par des déclarations officielles, relève de la faute politique. Libération titre donc en une : « Comment Clichy s’est embrasé. Retour sur la mort de Bouna et Zyed, jeudi, et sur une colère attisée par les déclarations erronées du gouvernement » (Libération, 29-30 et 31 octobre 2005).

10L’Humanité et Libération ancrent leur récit des violences dans la mise en cause de ce qui paraît être une violence policière initiale et dans la dénonciation des impasses sociales – et politiques – dans lesquelles sont enfermés les jeunes habitants des communes de banlieue. Leurs discours opposent donc, dans l’examen des causes des émeutes, deux violences, l’une sociopolitique et sécuritaire, l’autre juvénile. Pour les deux quotidiens, les affrontements relèvent ainsi d’une confrontation problématique puisqu’elle réduit le processus démocratique à un rapport de forces ; leurs discours pointent ainsi le caractère a minima contre-productif d’un acte relevant de la geste sécuritaire.

11Le lien entre les deux violences est également établi, de façon plus nuancée, par la Tribune de Genève et Le Parisien. Les deux journaux font état de la rumeur qui circule et gagne les esprits, mais ils précisent que le drame intervient dans une commune où la violence urbaine préexistait. Dans sa rubrique « Enjeux », la Tribune de Genève indique qu’après « un drame, la rumeur a fait exploser un territoire certes fragile, mais sans gros problème d’insécurité ». L’article explique également que « la rumeur n’attendra pas les résultats de l’enquête de l’Inspection générale des services » et donne la parole à un jeune homme doutant des versions officielles : « Vous croyez vraiment qu’ils ont escaladé le mur de la centrale électrique et franchi des barbelés pour rigoler entre copains ? Ils étaient traqués. Les keufs, je les connais assez. » L’éditorial précise par ailleurs que « les policiers et leurs autorités dans un premier temps [ont] nié toute responsabilité ». L’article conclut sur « une délinquance endémique qui, à la moindre étincelle, menace de se transformer en affrontement généralisé » (Tribune de Genève, 1er novembre 2005). La cause des émeutes se situe dans le décès des deux adolescents et dans la gestion politique du drame. Le discours caractérise une faute sécuritaire et une faute politique, mais ces fautes ne sont pas les seuls facteurs déclencheurs des violences ; celles-ci surgissent de façon récurrente et constituent une trame de fond susceptible d’élargir le registre causal de l’événement.

12Dans ses pages régionales et départementales, Le Parisien, le quotidien francilien, explique aussi les émeutes par ces deux motifs. Le journal titre sur « Clichy [qui est] toujours sous tension après la mort de deux jeunes » et l’article précise que « de nouvelles violences ont éclaté […] après la mort jeudi de Bouna (15 ans) et Zied (17 ans) ». De façon évidente, pour le quotidien, « le drame a fait surgir la colère, l’angoisse, l’incompréhension ». Le lien établi entre la mort des deux jeunes gens et les émeutes semble incontestable. Pourtant, dans le même article, Le Parisien précise qu’« aucun démenti officiel n’aura réussi à tordre le cou à la rumeur ». Le lendemain, le quotidien explique, en citant les propos de jeunes Clichois, que « la rumeur selon laquelle une course-poursuite serait à l’origine du drame persiste dans le quartier » et que cette rumeur « suffit, aux yeux de certains, à justifier les débordements de ces deux nuits ». Pour le journal, le lien établi entre les deux événements est donc fondé sur une erreur dans l’interprétation du drame initial ; et cette erreur interprétative est d’autant plus dommageable qu’elle permet à certains jeunes gens de légitimer leur violence. Tout en reconnaissant la relation entre le contrôle policier, la mort des deux jeunes gens et les émeutes, le quotidien régional privilégie une interprétation plus large ; celle d’un « profond malaise dans les quartiers difficiles qui se propage désormais dans les zones semi-urbaines » (Aujourd’hui en France – Le Parisien, 29, 30 et 31 octobre 2005) ; celle d’une violence diffuse qui se développe. La Tribune de Genève et Le Parisien pointent donc l’existence d’un facteur déclencheur ponctuel ; les rumeurs entourant les conditions de la mort des deux adolescents et la responsabilité éventuelle de la police. Mais ils mettent l’accent sur une situation de violence urbaine constante, soulignant un problème sociopolitique plus large au regard duquel les jeunes gens violents ne sont pas seulement les victimes d’une violence sociale et sécuritaire. Leurs discours identifient donc une situation de sécurité quotidienne chancelante, cause plus large de l’événement.

13L’identification des « causes » des émeutes est un peu différente dans les trois autres journaux du corpus car, s’ils font état des versions contradictoires de la mort des deux adolescents, ces journaux mettent surtout en avant le caractère « sensible » de ces communes où les violences urbaines – et juvéniles – sont fréquentes.

14En une page rubriquée « Violences », Le Monde relie le drame initial et les violences par un titre, « Nuit d’émeute à Clichy-sous-Bois après la mort de deux adolescents », et un sous-titre, « deux garçons de 14 et 16 ans [se sont] électrocutés dans un transformateur edf où ils s’étaient réfugiés pour échapper à la police ». L’article mentionne ensuite les diverses versions relatives au contrôle policier et à la poursuite. Pour le quotidien du soir, si les « affrontements » sont bien consécutifs à la mort des jeunes gens, il n’est cependant pas possible de comprendre le contrôle policier comme une violence sécuritaire qui aurait directement engendré les violences des jeunes gens. Il y a disjonction entre les deux types de violences, étatique et juvénile, et ce dernier est à comprendre dans un cadre explicatif plus large, celui des « violences urbaines » qui, comme l’indique un second article, constituent un « phénomène difficile à quantifier » (Le Monde, 29 octobre 2005). Dans cette perspective explicative, Le Monde qualifie ensuite les auteurs des violences survenues depuis deux nuits.

15Le quotidien la Croix précise, en deux courts paragraphes, que les affrontements ont commencé « à la suite de la mort, par électrocution, de deux adolescents » et ajoute que « la préfecture et le parquet de Bobigny ont démenti certaines rumeurs selon lesquelles les deux adolescents auraient escaladé le mur d’enceinte du transformateur edf pour échapper à une course-poursuite avec la police ». Aucune mention n’est faite des déclarations ministérielles diverses – et contestées – et le quotidien ne se prononce pas quant à l’effet éventuel des variations officielles sur les jeunes habitants de Clichy. Il faut noter que les deux paragraphes consacrés à l’origine des émeutes trouvent leur place, au sein d’un ensemble de quatre pages, dans un article titré : « Les violences touchent de multiples périphéries urbaines » (la Croix, 31 octobre 2005). Comme Le Monde, mais plus explicitement, la Croix fonde son récit sur une interprétation qui fait des violences urbaines récurrentes la cause de l’événement.

16Dans le sous-titre du premier article traitant des émeutes, Le Figaro évoque un lien éventuel entre la mort des deux adolescents et les violences : « À l’origine de graves violences, les circonstances de la mort de deux jeunes sont étudiées par la police ». L’énoncé introduit cependant deux éléments notables. La gravité des violences est soulignée d’emblée, tandis que les circonstances de l’accident sont décrites comme prises en charge par les autorités. L’article indique ensuite, en plusieurs paragraphes disjoints, que le parquet a ouvert une enquête et que le ministre de l’Intérieur a réfuté l’accusation de poursuite. « Aucun lien n’a pour l’heure été établi entre ce contrôle policier et la mort des jeunes » précise le quotidien, citant la préfecture. Le récit met donc l’accent sur le fait que les circonstances, fussent-elles troubles, ne sont pas ignorées ; il peut ensuite pointer, mais en creux, le caractère illégitime des « graves » violences survenues et réaffirmer la nécessité et la légitimité de l’action sécuritaire (Le Figaro, 29-30 octobre 2005).

17Ces trois derniers quotidiens insistent sur les problèmes généraux de violences, qui touchent des communes de banlieue et qui symbolisent une remise en cause marquée du contrat social et politique ; contrat au terme duquel l’État est le seul détenteur du « monopole légitime de la violence » (Weber, 1959). À cet égard, la cause ne suffit pas à expliquer l’événement, lequel doit être aussi compris comme constituant un phénomène de transgression majeure – et récurrente – de l’ordre social et politique.

Les auteurs des violences : des « jeunes » et leurs territoires

18La qualification des jeunes émeutiers s’ancre, les premiers jours, dans les axiologies interprétatives proposées par les journaux dans leur identification des causes. Mais des éléments discursifs apparaissent, qui infléchissent ces axiologies, tandis que les lieux des émeutes sont dotés de désignations diverses.

19La désignation principale employée par l’Humanité pour nommer les auteurs des violences est l’adjectif substantivé « jeunes », qui constitue une catégorie floue mais qui est précisé, dans l’article, par deux expressions plus longues. Les « jeunes révoltés » réagissent à la mort de leurs camarades et les « jeunes issus de l’immigration » se « sentent exclus » et « enfermés dans des ghettos ». La désignation du quartier où vivaient les jeunes gens – un « ghetto » – qualifie la violence sociopolitique qui leur est faite – celle de l’enfermement – et le discours réduit le flou du terme « jeunes » en précisant les raisons qui peuvent pousser les jeunes gens à faire usage de la violence. La qualification initiale des jeunes auteurs des violences par l’Humanité fait donc d’eux des victimes de la violence, à la fois policière et sociopolitique, qui est parallèlement identifiée comme étant à l’origine des émeutes.

20La désignation par l’âge se retrouve dans Libération, qui emploie presque exclusivement le terme « jeunes ». Là encore, le flou de la catégorie est précisé, mais de façon plus diverse que dans le quotidien communiste. Libération mentionne à la fois les actes commis par les jeunes gens qui « caillassent les camions de pompiers », les causes de ce qui « les enrage » – le fait qu’ils « sont jugés à l’avance » – et leur ancrage territorial, les « jeunes habitants de Clichy » ou les « Clichois ». À cet égard, l’éditorial titré « Ghettos » renvoie à la même situation de violence sociopolitique, subie par les jeunes habitants, que celle dénoncée par l’Humanité. Le quotidien qualifie les jeunes gens comme les victimes d’un jugement social préétabli et stigmatisant, et l’affirmation de ce statut de victimes permet au journal de ne pas juger les jeunes gens seulement à partir de leurs violences.

21Les deux quotidiens précisent donc le « personnage » des jeunes auteurs des violences, faisant également d’eux des victimes d’un enfermement dans une condition sociale et politique inacceptable ; c’est ce que condense et dénonce le terme « ghetto ». Ce faisant, les discours identifient la relégation des communes où vivent ces jeunes gens mais, en la dénonçant, ils en renforcent également la pesanteur symbolique.

22Pour les journaux qui ancrent leur récit dans la récurrence des violences urbaines, les jeunes auteurs de violences sont qualifiés plus directement à partir de ce qui relève de la déviance. La Tribune de Genève les désigne par le terme « jeunes », rejoignant ainsi la catégorisation floue constatée dans les autres quotidiens ; mais ce flou est réduit par les citations des habitants qui parlent, eux, de « délinquance ». « Maria » affirme ainsi qu’il y avait « seulement de la petite délinquance » ; tandis qu’un « Français d’origine marocaine […] déplore (le fait) que les jeunes se croient tout permis ». Le même habitant ajoute qu’il « suffirait d’une petite présence policière pour dissuader les voyous ». Pour le quotidien suisse, qui cite également les propos de jeunes habitants dénonçant le racisme ambiant, les jeunes gens, s’ils ne sont pas tous délinquants, vivent dans un espace « fragile », où la délinquance est « endémique ». Les propos des habitants interrogés dessinent bien le portrait d’une jeunesse dont les actes participent de cette délinquance, et il n’est donc pas surprenant que le discours utilise le terme « émeutiers » pour qualifier les jeunes gens à partir de leurs actes. Par ailleurs, même si Clichy ne fait pas partie des communes les plus « touchées », les violences urbaines participent de la qualification d’un territoire spécifique, comme l’indique le titre de la une : « Clichy-sous-Bois se transforme en Bronx. » Soulignons, en passant, cette référence à un quartier new-yorkais dont les représentations communes font l’archétype d’un territoire urbain violent. L’article est ensuite plus nuancé, mais l’accroche de la titraille construit, de façon très spectaculaire, l’événement comme l’histoire de ces territoires spécifiques – et spécifiés – que sont des « banlieues ». Celles-ci renouent, par là même, avec leur origine étymologique ; les lieux du ban, stigmatisés et périphériques.

23La qualification des auteurs des violences par Le Monde repose, comme dans tous les autres journaux, sur le terme « jeunes », mais ce terme est complété par les expressions « groupes de jeunes gens », « bandes de jeunes gens » ou « émeutiers ». Les jeunes gens agissent en « incendiant », en « caillassant » et en « vandalisant ». Les « jeunes » sont donc qualifiés par des termes qui identifient leur déviance et rejettent le caractère collectif de la violence. La mention des « bandes » indique en effet une forme d’organisation dans l’exercice de la violence. Or la dénonciation de ce type de violence appelle, en creux, la répression ; la société et l’État ne pouvant tolérer la formation de groupes violents organisés. Il faut noter, cependant, que le quotidien cite deux adultes qui nuancent cette qualification. Un enseignant du collège de Clichy indique que le « quartier n’est pas dangereux [mais] se distingue seulement par un taux de chômage plus élevé qu’ailleurs », tandis qu’un imam précise – et ses propos sont repris en intertitre – que « tout est parti d’un contrôle de police, [que] les arrestations sont souvent musclées et [que] les jeunes se sont sentis humiliés ». Les émeutes racontées par Le Monde peuvent donc être expliquées par le heurt entre violence sociale et violence sécuritaire. Elles n’en sont pas pour autant justifiées et le récit les ramène à l’existence d’une déviance urbaine plus générale. L’évocation d’une « carte des “banlieues à risques” », produite par la Direction générale de la gendarmerie nationale, et la désignation, sans guillemets, des « quartiers sensibles » semblent par ailleurs authentifier, comme dans la Tribune de Genève, la spatialisation spécifique des violences survenues.

24Le Parisien utilise les termes « jeunes » ou « adolescents » pour désigner les jeunes gens, mais il y ajoute les termes « assaillants », « émeutiers », « jeunes du quartier du Chêne-Pointu » ou « jeunes des cités ». La catégorie « jeunes » est donc centrale, mais le terme est précisé par la mention de l’appartenance territoriale ou par celle de la violence des comportements. Cette mention, ajoutée aux descriptions des « scènes de guérilla urbaine », des « explosions », des « affrontements » et des jeunes qui « montent à l’assaut », construit le personnage de jeunes gens dont les actes de violence sont l’agir principal. Dès lors, c’est bien l’écart à la norme des actes acceptables en démocratie qui constitue le cœur de la qualification, même si le quotidien régional donne aussi la parole à ces jeunes gens. Ceux-ci sont qualifiés comme déviants parce qu’ils agissent selon des logiques de conflit qui mettent à mal l’ordre social. L’écart à la norme coïncide, dans le discours du Parisien, avec un écart à la centralité urbaine, qui permet de désigner les jeunes gens comme « jeunes des quartiers » ou « jeunes des cités » vivant dans les « quartiers difficiles ». La qualification de leur territoire de vie charge le portrait des jeunes gens, même s’il faut préciser que Le Parisien use finalement assez peu, étant donné son statut de quotidien régional, de qualifications négatives des territoires pour leur préférer la désignation des communes et des quartiers par leurs noms propres.

25Ce qui peut être interprété comme l’« asocialité » des jeunes gens violents constitue également l’axe fondateur du récit de la Croix. Ouvrant une de ses premières éditions consacrées aux émeutes par un éditorial titré « Défiance réciproque », le quotidien propose un discours qui renvoie aux images « d’émeutes, de voitures brûlées, de casseurs encagoulés, [et] de policiers en état de guerre » mais qui veut éviter, tout à la fois, de « minimiser les faits », en créant « l’amalgame entre toutes les cités et tous les jeunes de ces quartiers », et de « grossir démesurément les événements », en déduisant que « la violence s’est emparée de toutes les banlieues, devenues zones de non-droit ». L’éditorial ajoute que les violences témoignent d’une « impossibilité à juguler certains éléments ultraviolents qui font leur affaire de l’insécurité » et il fait état de son inquiétude relative à la méfiance qui règne non seulement entre « la minorité délinquante » et les autorités, mais aussi, et surtout, entre « les habitants des cités et les autorités ». En pages intérieures, dans une rubrique « Les violences urbaines », le quotidien interroge de nombreux habitants et responsables associatifs qui dénoncent « l’insécurité quotidienne », les « bagarres », « les bandes », « les violences sexuelles imposées aux filles », « les caïds du quartier » et les « délinquants de plus en plus jeunes ». Dans ce long article consacré aux habitants des communes touchées par les violences, la Croix dresse un état des lieux dont la gravité n’est pas atténuée par l’apparente neutralité du terme « jeune » employé, ensuite, dans un récit plus rapide des violences en cours. Ce récit, qui oppose « jeunes » et policiers, est celui de « violences urbaines » dont le théâtre est celui des « quartiers difficiles », des « banlieues sensibles », des « cités » et des « cités sensibles ».

26Focalisant son discours sur « la vie gâchée des habitants des cités », le quotidien propose une qualification négative des jeunes gens et des communes touchées par les violences. Les actes de violence, quotidiens, font des victimes et constituent une transgression majeure de l’ordre sociopolitique ; les « jeunes » – dont le quotidien a cependant rappelé qu’ils n’étaient pas tous délinquants – incarnent un personnage menaçant, dont les actes n’ont plus de lien avec la mort des deux adolescents. Le discours de la Croix refuse aux auteurs des violences une quelconque légitimité, tandis que leur appartenance territoriale fait l’objet d’une qualification qui renforce leur altérité menaçante. Il faut souligner, cependant, le paradoxe du jugement du quotidien, qui vise la dénonciation des conditions de vie des habitants des « quartiers sensibles », devenus « citoyens de seconde zone » et ayant « perdu confiance dans les autorités policières et politiques », mais qui insiste, ce faisant, sur la relégation desdits « quartiers ». La césure symbolique entre les habitants et les jeunes gens recoupe celle tracée entre la norme et la déviance ou entre la compréhension et le rejet. Ainsi, cette césure symbolique relègue doublement les jeunes gens ; leurs lieux de vie sont relégués en marge d’un espace socio-politique pacifié et les jeunes gens ajoutent à cette exclusion celle liée à leur violence.

27Cette césure est également proposée par Le Figaro qui qualifie négativement et sans détours les jeunes gens, en dénonçant le caractère injustifiable de leurs actes violents. Ayant rappelé le fait que le décès des deux adolescents faisait l’objet d’une véritable prise en charge policière et judiciaire, le quotidien décrit, en citant des propos d’habitants, de « violentes émeutes », des « jeunes “pleins de haine” [qui] ont dévalé les rues en cassant sur leur passage » et une nuit « d’anarchie ». Dans un second article, Le Figaro revient sur une « justice [qui] reste inopérante » face aux violences urbaines. La description des jeunes auteurs de violences – très nettement dénonciatrice – est légitimée par la citation des propos de magistrats. « Les violences urbaines ont souvent lieu la nuit, opérées par des bandes encagoulées » indique un représentant du parquet de Bobigny, tandis que d’autres magistrats expliquent que « des mineurs de plus de 16 ans sont régulièrement placés en détention provisoire ». La succession des deux articles, dans la même page, dessine donc le portrait de jeunes gens qui transgressent la loi. De même, les « jeunes » dont parle Le Figaro, reprenant la catégorie floue des autres journaux, sont souvent « mineurs » et cela constitue un axe de jugement – et d’inquiétude – fondamental du discours. Dans la même perspective, l’édition du lendemain revient sur les « violences urbaines » qui ont pris pour cibles l’école et la maison des associations, « vandalisées ». Mais elle propose également, dans un article qui jouxte celui qui est consacré à Clichy, le récit d’une agression survenue à Épinay-sur-Seine. Au cours de cette agression, trois jeunes adultes ont tué un homme qui s’était arrêté, avec sa famille, pour photographier du mobilier urbain. Cet article est l’occasion de faire la description des deux « délinquants récidivistes » interpellés, « connus des services de police pour de multiples vols, recels […] et autres déclenchements d’incendie ». Le quotidien précise également que « les deux jeunes » ont été arrêtés après avoir été identifiés grâce aux images d’une caméra de vidéo-surveillance. Même si les deux événements – les émeutes de Clichy et l’agression d’Épinay – n’ont rien en commun, ils sont traités dans la même page, occupent la même surface et usent exactement des mêmes polices de caractère. La juxtaposition permet ainsi de regrouper les deux types de violences sous un seul et même angle ; celui de la délinquance des « jeunes », même si l’agression survenue à Épinay est le fait d’adultes qui ont tué. Cet angle interprétatif fait des jeunes gens de Clichy des figures proches de ceux qui ont tué à Épinay.

28Le Figaro (31 octobre 2005) titre son éditorial : « L’éducation ou la sauvagerie », affirmant que « les habitants de Clichy-sous-Bois ont vécu ces jours-ci à l’heure de la guérilla urbaine » et que « les déchaînements constatés ici et là en France portent davantage l’empreinte de la barbarie et de la sauvagerie gratuite que celle de la vengeance et du désespoir ». Les jeunes auteurs des violences sont des « sauvages [1][1]« Sauvageon » a été réhabilité en mars 1998 par un ministre de… » ou des « barbares » ; ils sont relégués, par le discours, en marge de l’ensemble sociopolitique. Pour Le Figaro, l’éducation et la répression, que l’éditorial justifie en rappelant le « fond » de vérité des propos du ministre de l’Intérieur sur la « racaille [2][2]Le ministre a repris le terme d’une habitante, qui… » et sur le « nettoyage au Kärcher », constituent les seules alternatives. Il faut remarquer, par ailleurs, que le quotidien qualifie l’espace des affrontements en décrivant des « quartiers sensibles » et une « banlieue sensible ». Mais cette qualification demeure peu marquée. L’essentiel du discours instruit le procès de jeunes gens qualifiés de délinquants « par nature ».

Des récits et des normes

29Les trois premiers jours de discours consacrés aux émeutes permettent de dégager les éléments de jugement qui fondent les récits médiatiques ; ces éléments sont d’autant plus cruciaux qu’ils structurent des récits factuels et se donnent comme des cadres normatifs structurants, mais implicites et indiscutés. Nous n’avons cité, en effet, que quatre éditoriaux, de Libération, la Tribune de Genève, la Croix et Le Figaro, et nous avons mentionné les éléments discursifs qui étaient issus de ces discours spécifiques et engagés. L’essentiel des éléments analysés est extrait des récits factuels qui, à la différence des éditoriaux, n’ont pas pour vocation explicite d’être des espaces d’engagement éditorial. La narration permet l’affirmation de normes que trois éléments, au moins, manifestent.

30Un premier élément renvoie à la compréhension plus ou moins manifestée à l’égard des actes de violence commis par les jeunes gens. Cette compréhension est très présente dans l’Humanité et Libération ; elle est beaucoup plus restrictive dans la Tribune de Genève. Elle tend à s’effacer dans Le Monde et Le Parisien, et se transforme en rejet dans la Croix et Le Figaro. Ces différences peuvent être interprétées à partir de deux conceptions de l’ensemble sociopolitique. La première repose sur une nécessité de fonder cet ensemble sur la participation active des individus à leur histoire commune. Cette participation ne peut être acquise par la seule contrainte. La répression de la violence doit s’articuler avec la compréhension de son origine (Spinoza, 1965) ; le progrès démocratique repose sur cette meilleure compréhension. La seconde conception fait de la sécurité commune le fondement de l’État et de la société (Hobbes, 1971). La violence est ce contre quoi le processus politique se fonde ; elle doit être rejetée et réprimée.

31En novembre 2005, les journaux présentent toute la palette des positions possibles. L’Humanité et Libération ancrent leur discours dans une compréhension maximale, tandis que la Croix et Le Figaro proposent des discours qui rejettent sans ambages les violences et leurs auteurs. Leurs représentations insistent en effet sur la menace que constituent les jeunes violents et proposent, en creux, une conception fortement répressive de la société. Cette conception, comme celle plus compréhensive de l’Humanité et Libération, constitue la trame non dite des récits factuels. Entre compréhension et répression s’affirme une norme sociale et politique majeure, celle de la sécurité. La majorité des journaux dénoncent la transgression de cette norme, marquant ainsi l’intolérance première de la société à l’exercice des violences individuelles.

32Liée à ces différentes positions éditoriales, à ces différentes conceptions sociopolitiques, les représentations des jeunes gens constituent le second élément qu’il convient de remarquer. Dans certains quotidiens – la Croix, Le Figaro ou Le Monde –, des termes apparaissent qui établissent l’« altérité menaçante » des individus violents. Leur désignation par le terme générique « jeunes » se double de précisions contextuelles qui tracent le portrait de jeunes gens dont la délinquance ne peut que les reléguer hors du social. Cette délinquance des individus – dont nous pouvons rapidement noter qu’elle est renforcée par les photographies nombreuses et impressionnantes des dégâts – permet aux journaux d’insister, en creux, sur l’exercice nécessaire du contrôle social et sécuritaire ; la répétition des actes violents rendant « acceptable l’ensemble des contrôles judiciaires et policiers qui quadrillent la société » (Foucault, 1975). Nettement opposés à cette conception répressive, l’Humanité et Libération font des jeunes gens les premières victimes de la violence et relativisent leur statut d’auteurs de la violence.

33Entre ces deux pôles, Le Parisien et la Tribune de Genève oscillent, portés par des logiques un peu différentes ; celle de la proximité, pour le quotidien régional et celle du regard extérieur, plus distant des enjeux de politique intérieure, pour le quotidien suisse. Cette oscillation entre les différentes conceptions n’est pas explicitée non plus. Le quotidien suisse est cependant très loin de la thématique de la « guerre civile » proposée par d’autres médias étrangers.

34Comme nous avons pu le vérifier dans d’autres travaux sur la violence des jeunes, leur représentation comme figure de l’altérité menaçante et celle « de leur inadaptation fondamentale à la vie en société constituent […] la réalité tout entière des événements ; et cette réalité est suffisamment signifiante pour occulter, provisoirement ou plus durablement, tout autre cadre d’interprétation. De fait, la construction de cet univers de référence (la sauvagerie des jeunes) s’impose ici comme une évidence » (Garcin-Marrou, 2003). Entre tolérance et intolérance, prévention et répression, les journaux penchent, de façon dominante, vers le second terme des alternatives.

35Un dernier élément notable des discours tient à la qualification des lieux et pèse sur celle des jeunes gens. Tous les journaux évoquent la spatialisation spécifique des violences dans des « ghettos », des banlieues « sensibles » ou « difficiles ». Cette qualification, qui vise, dans l’Humanité, Libération ou la Croix, à dénoncer les conditions de vie des habitants, indique la difficulté des médias à parler des violences s’exerçant dans des quartiers désignés comme des espaces publics distincts. Même si cette conséquence symbolique est explicitement refusée, les récits produisent une représentation qui instaure une double relégation : du centre vers la banlieue et des jeunes hors de l’ensemble sociopolitique. C’est peut-être là le trait le plus marquant des discours, car il superpose une frontière territoriale à une frontière sociale. Ces frontières coïncident par ailleurs avec une relégation symbolique, que les discours de Libération et l’Humanité dénoncent de façon centrale.

36Les éditions suivantes, que nous ne pouvons pas présenter ici, confirment cette relégation symbolique, mais insistent sur l’attention due aux habitants victimes des violences. Là encore, le même clivage est repérable entre des journaux comme Libération, l’Humanité et, de façon moins marquée, Le Monde et la Tribune de Genève, qui fondent leurs récits sur une conception compréhensive, soulignent et soutiennent la prise en charge de la situation par les habitants eux-mêmes, et ceux, comme la Croix, Le Parisien et Le Figaro, qui, ancrés dans une conception répressive, dénoncent la « terreur » de ces habitants et affirment la nécessité primordiale de leur rendre la sécurité.

37La qualification des territoires de la violence, qu’elle relève de la compréhension ou de la relégation, s’ancre dans la distinction d’espaces publics « spécifiques ». Les journaux ne définissent pas explicitement ces espaces publics comme distincts mais en les qualifiant spécifiquement, ils les instaurent comme tels. La stigmatisation n’est donc pas argumentée ; elle résulte de l’imposition d’une catégorie qui n’est fondée sur rien d’autre que sur le discours qui désigne ces espaces publics comme spécifiques. Ainsi, entre compréhension et relégation, se mettent en place des récits qui donnent forme aux représentations que la société et le politique peuvent se faire des événements. La majorité des journaux propose une qualification des jeunes gens fondée sur le rejet de leur violence. Cette figure de l’altérité, liée à leur exclusion sociale et spatiale, rend problématique l’appartenance symbolique des jeunes à l’ensemble social, notamment lorsque leur déviance est naturalisée. Face à cette altérité, les lecteurs sont constitués comme le référent au nom duquel les journaux s’expriment et demandent à l’instance politique d’agir. Certains discours en appellent à une reconnaissance des violences dont sont victimes les jeunes, mais ces discours sont minoritaires au regard d’une tonalité d’ensemble nettement plus sécuritaire. Le discours dominant peut être socialement et politiquement interrogé, car si les positions éditoriales ne sont pas contestables en tant que telles, elles se livrent « en creux », dans l’organisation des récits factuels, rendant leur légitimité presque impossible à discuter. En novembre 2005 et, comme cela a été le cas depuis 30 ans, à chaque explosion de violence juvénile, les normes sociopolitiques – l’ordre et la sécurité comme cœur du processus démocratique – sont réaffirmées, les jeunes gens sont symboliquement relégués et les banlieues à nouveau assignées à leur périphérie sociale et politique, même si cela est dénoncé.

Notes

  • [1]
    « Sauvageon » a été réhabilité en mars 1998 par un ministre de l’Intérieur de la gauche,
    J.-P. Chevènement.
  • [2]
    Le ministre a repris le terme d’une habitante, qui l’interpellait sur la « racaille ».
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2007
https://doi.org/10.3917/esp.128.0023

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