1L’horreur des attentats du 11 Septembre a sorti instantanément les Américains de leur isolationnisme habituel et leur Président n’eut aucun mal à arracher l’accord du Congrès pour attaquer l’Afghanistan. L’invasion de l’Irak, en revanche, fit difficulté et l’équipe présidentielle dut soigner sa rhétorique. La décision de renverser Saddam Hussein fut prise au moins dès les attentats de septembre 2001, mais déjà dans les années quatre-vingt la presse dénonçait le danger qu’il représentait. Cependant, comment contrer les arguments des opposants à la première guerre préventive de l’histoire récente ? Le président Bush parvint pourtant très rapidement à convaincre la majorité des Américains. Ce ralliement derrière le chef après le traumatisme des attentats est compréhensible, et l’on peut imaginer qu’il aurait été aussi fort avec n’importe quel président. Toutefois, on peut également penser qu’il existe un facteur supplémentaire qui décuple l’empathie de la majorité des citoyens en ce moment avec George W. Bush. Président non élu par le vote populaire et médiocrement apprécié avant le 11 Septembre, celui-ci sut adopter le ton prophétique qui sied à l’Amérique, et parler à ses concitoyens le même langage qu’une grande partie d’entre eux entendent depuis toujours dans leurs églises, voire dans leurs écoles. Ainsi, il transforma cette intervention en une croisade des forces du bien contre les forces du mal, pour la première fois de manière explicite, lors du Message sur l’état de l’Union de janvier 2002, discours aux nombreuses références religieuses. Les auditeurs et les observateurs allaient retenir une expression étrange, « l’axe du mal », laquelle désignait désormais les pays accusés d’avoir aidé Ben Laden et les islamistes en général, c’est-à-dire l’Irak, l’Iran et, étrangement, la Corée du Nord : « Les Etats comme ceux-là, et leurs alliés terroristes, constituent un axe du mal, s’armant pour menacer la paix du monde [1][1]hhttp:// www. whitehouse.…. »
L’histoire d’une expression
2Dans The Right Man, David Frum, qui faisait partie de l’équipe des rédacteurs de discours présidentiels, explique qu’il cherchait une expression qui pourrait qualifier tous les pays du Proche- et du Moyen-Orient dont l’islamisme militant traduisait la haine de l’Occident et de ses succès matériels. A court d’inspiration, et la destruction des tours jumelles ressemblant à Pearl Harbour, il prit un livre de discours de F. D. Roosevelt, sauta sur le mot « axe » qui désignait l’Allemagne, l’Italie et le Japon, et inventa « l’axe de la haine ». Juif lui-même, et de surcroît canadien, Frum n’agit pas en tant qu’évangéliste ; et, à ses yeux, l’expression était historique et culturelle. Il précise que ce fut le rédacteur en chef des discours, Michael Gerson, qui « voulut utiliser le vocabulaire théologique que Bush employait depuis le 11 Septembre, et “l’axe de la haine” devint “l’axe du mal”. La Corée fut ajoutée pour faire bonne mesure puisqu’elle aussi fabriquait l’arme nucléaire [...] et avait besoin d’une mise en garde [2][2]David Frum, The Right Man : The Surprise Presidency of George… ».
3Le discours revint annoté de la main de Bush, qui en acceptait toutes les implications. Nous avons donc ici l’origine historique précise de l’expression « axe du mal ». Néanmoins, si elle a autant marqué les esprits aux Etats-Unis, c’est parce qu’elle correspondait à un archétype de la rhétorique politique et religieuse américaine, la croyance en la division morale binaire du monde ; et c’est exactement pour cette même raison qu’elle a choqué la Vieille Europe, où depuis fort longtemps il est inconcevable qu’un chef d’Etat puisse utiliser des arguments religieux. Il faut, en effet, comprendre que la scène religieuse américaine est à l’opposé de la nôtre. Plus de 90 % des Américains croient en Dieu ; 80 % se déclarent chrétiens. Les catholiques représentent environ 25 % de la population ; les protestants, 48 %, dont les quelque 30 % d’Américains évangélistes qui s’arrogent l’appellation de « chrétiens » et évangélisent en permanence leurs interlocuteurs. Enfin, 77 % d’Américains croient que la bonne marche de la nation dépend de sa santé spirituelle ; 72 % estiment que leur vie n’a de sens que parce qu’ils ont la foi [3][3]Adelle M. Banks. « Gallup Poll : Americans Link Faith to…. Le degré de pratique religieuse est à son zénith historique, car le taux d’adhésion religieuse suit une courbe exponentielle, unique en Occident, de 17 % en 1776 à 62 % en 1980 [4][4]Roger Finke and Rodney Stark, The Churching of America,…, courbe qui, appliquée à la France, traduirait l’évolution du taux de désaffection religieuse. La culture américaine majoritaire est d’imprégnation biblique, même si la sécularisation et l’immigration font diminuer cette influence. Que le discours politique de Bush ait des relents bibliques ne choque donc qu’une minorité très attachée à la séparation des Eglises et de l’Etat.
4Nous nous proposons ici de présenter l’électorat fortement religieux de ce Président, en nous penchant sur les origines, les activités et l’idéologie de la Droite chrétienne, qui unit divers évangélistes fondamentalistes à certains républicains conservateurs depuis la fin des années soixante-dix. A ce prix, seulement, nous saisirons la portée de la rhétorique de l’axe du mal.
Les « evangelicals » fondamentalistes
5La scène religieuse américaine est fluctuante, certains groupes périclitant, tandis que d’autres prennent le relais. L’ascension de l’évangélisme n’a pas faibli depuis deux siècles. Celui-ci se divise en de nombreuses mouvances, qui vont du libéralisme jusqu’au conservatisme le plus strict ; il ne concerne qu’environ 60 % des évangélistes. Dès 1876, des baptistes et des presbytériens se réunirent annuellement pour programmer un retour aux valeurs du christianisme primitif. De leurs rencontres à Niagara Falls sortit, en 1910, un livre, The Fundamentals : a Testimony to the Truth, sous la direction de Anzi Dixon et Reuben Archer Torrey. Ils devinrent ainsi « les fondamentalistes » au sens strict du terme. L’appellation s’applique désormais à tout groupe archiconservateur, et donc à la mouvance conservatrice non seulement des évangélistes, mais aussi des catholiques. Les evangelicals (terme différent de evangelist, fédérateur) apparurent dans les années quarante pour rassembler les conservateurs qui demeuraient dans des Eglises plus libérales.
6La base électorale de George Bush relève de ce fondamentalisme « générique », même si ses chefs ne proviennent pas tous du fondamentalisme historique. Politiquement, ils ont tendance à être républicains, tandis que les protestants libéraux tendent à être démocrates. Il y eut quelques exceptions avec les démocrates : Jimmy Carter, qui était membre de la Southern Baptist Convention, qu’il vient de quitter ; et Bill Clinton, également baptiste. La Southern Baptist Convention constitue le plus gros rassemblement protestant, avec 16 millions de membres, le plus dynamique, le plus conservateur, et le seul groupe religieux américain qui ait soutenu l’intervention en Irak.
7L’évangélisme fut porté au pinacle dans les années cinquante par Billy Graham. Organisateur de croisades, chantre de l’anticommunisme, il fut l’éminence grise de la Maison Blanche, jusqu’à la famille Bush. Son fils, Franklin Graham, lui a succédé. En 1986, il amena au Christ George W. Bush (dont le père est épiscopalien et la mère presbytérienne), devenu depuis un born again Christian (chrétien qui renaît au Christ), « adhérent individuel » à l’évangélicalisme à l’intérieur de la United Methodist Church, groupe pourtant libéral et qui s’est vigoureusement opposé à la guerre en Irak.
8Le fondamentalisme, au sens d’évangélicalisme conservateur, progressa fortement à partir des années soixante-dix, en partie en réaction contre la libéralisation des mœurs. Avant de présenter ses activités politico-morales, arrêtons-nous brièvement aux particularités de son message religieux. Ses dogmes relèvent du protestantisme traditionnel, mais certains sont plus radicaux : refus de la moindre interprétation symbolique de la Bible ; attente millénariste du retour imminent de Jésus qui ne sauvera que son propre peuple ; vision individualiste de la moralité exigeant que le chrétien se sépare physiquement de la société non régénérée. Et, traditionnellement, les fondamentalistes ne croient pas aux réformes sociales, leur seule activité altruiste passant par l’évangélisation. Ainsi, jusqu’aux années soixante-dix, ils étaient restés à l’écart de la société ; et, même s’ils se signalaient par la férocité de leurs attaques contre les catholiques, les communistes, l’immoralité, ils ne prônaient pas l’engagement politique. Puis, certains sortirent de leur isolement et se rapprochèrent de quelques républicains ambitieux, qui rejetaient aussi bien l’idéologie démocrate libérale que l’idéologie traditionnellement conservatrice des républicains (peu intéressés par les problèmes de morale individuelle), et inventèrent un nouveau conservatisme, celui de la Nouvelle Droite, appelée aussi Droite chrétienne [5][5]Pour une analyse complète, voir Mokhtar Ben Barka, La Nouvelle….
L’engagement politique des fondamentalistes
9Pour faire triompher leur programme politique, qui n’était pas religieux de prime abord, ces conservateurs allaient se servir des évangélistes, qui virent là, à leur tour, le moyen de réaliser leur idéal moral, la construction de la Cité de Dieu, tout comme les Pères pèlerins au xviie siècle qui se voyaient construire la Nouvelle Jérusalem en Amérique.
10Le fondamentalisme est en effet un héritier du puritanisme, au moins sur deux plans : l’importance du respect de la loi divine au niveau de la communauté, et le destin manifeste du peuple élu prédestiné. Les théologiens imaginèrent que la qualité spirituelle de la vie que l’on menait et les fruits matériels que l’on récoltait pouvaient être le signe du salut, de l’individu, mais aussi — et c’est capital — de la communauté des saints. La brebis galeuse risquait de prouver que le troupeau n’était pas sauvé. C’est bien cette même crainte qui incite les fondamentalistes à vouloir nettoyer la vie morale, privée et publique, des Américains, et il n’est pas fortuit que G. W. Bush se soit présenté comme l’anti-Clinton et qu’il ait annoncé qu’il fallait « laver le bureau ovale » (Frum intitule l’un de ses chapitres sur Bush : The Un-Clinton).
11Le rapprochement avec les évangélistes entrait dans la stratégie de reconquête du pouvoir des républicains sous Jimmy Carter, entre 1976 et 1980. Celui-ci, baptiste convaincu, déçut ses coreligionnaires qui l’avaient fait élire, car il refusa d’utiliser sa religion à des fins politiques. Les fondateurs de la Nouvelle Droite en sont encore aujourd’hui les piliers : Richard Viguerie, Paul Weyrich, Howard Phillips, soutenus par Phyllis Schlafly, Armstrong, Billings, McAteer… Ils ne sont ni membres du Congrès, ni des élus locaux, mais des militants pragmatiques, sachant porter au pouvoir — ou y maintenir — les figures de proue du parti, grâce à leur parfaite connaissance des milieux politiques, évangélistes, et des affaires.
12Il convient ici d’établir une distinction entre ces individus, dits autrefois « nouveaux conservateurs » mais maintenant aussi « paléoconservateurs », et les « néo-conservateurs », souvent cités aujourd’hui dans les médias ; ils n’ont pas les mêmes origines, ni les mêmes intérêts, bien qu’ils partagent en ce moment les mêmes alliances, afin d’atteindre leurs objectifs. Ceux-ci sont essentiellement des juifs et des catholiques, à l’origine démocrates, souvent socialistes, trotskistes ou communistes, issus des milieux intellectuels new-yorkais. Ils ont fui ce qu’ils estiment être les dérapages de l’idéologie libérale des années soixante pour rejoindre les tenants d’un certain ordre moral au sein du parti républicain, sans nécessairement renier en bloc l’idéologie libérale de leurs débuts.
13Du côté des télévangélistes, Pat Robertson et Jerry Falwell furent les grands maîtres de l’alliance. Le premier est aujourd’hui encore le porte-parole de la Droite chrétienne. Il monta dès 1960 une chaîne de télévision, Christian Broadcasting Network (CBN), devenue l’un des réseaux câblés les plus importants du pays. Il inventa ensuite la célèbre émission de télévision, le 700 club, qui bat des records de popularité et de longévité. Il fut lui-même candidat à la présidence en 1988, contre Bush père. Il prend régulièrement position en public sur toutes les questions importantes.
14Le révérend Jerry Falwell, quant à lui, est intimement associé à la Moral Majority [6][6]Pour une analyse détaillée, voir Bernadette Rigal, « La “Moral…. Il fonda à Lynchburg, en Virginie, la Thomas Road Baptist Church, qu’il transforma en église électronique. Il écrivit : « Dieu voulait que je regarde au delà de Lynchburg. Nous ne pouvons être isolationnistes. Nous devons nous préoccuper du monde entier [7][7]« Politicizing the Word », Time, October, 1st, 1979, p. 70.. » On voit bien dans ces paroles se dessiner la nouvelle évolution de ces nouveaux conservateurs, qui vont chercher à orienter les choix gouvernementaux.
Les Associations
15Venons-en maintenant aux associations politico-religieuses mises sur pied par ces pionniers. La Moral Majority fut fondée en 1979, et Falwell en prit la présidence peu après. Elle fut l’organisation la plus célèbre, mais était entourée de nombreuses autres. L’une de leurs activités principales était, et est toujours, même si elles ont changé de nom ou de direction, de chapeauter des PACs, Political Action Committees, qui opèrent auprès des milliers de personnes inscrites sur les listes d’adresses des télévangélistes. Ces PACs, organisés au niveau local, permettent de financer les campagnes électorales. Ils offrent des séminaires d’éducation politique, incitent les gens à s’inscrire sur les listes électorales. Les associations informent le public du Morality Rating des candidats, en publiant le relevé de leurs votes sur tel ou tel point jugé capital par les conservateurs, le vote au Congrès n’étant pas secret. Les fidèles verront leur soutien financier à l’action des PACs comme des occasions de fortifier leur pratique religieuse. La frontière est donc excessivement ténue entre le discours des politiciens et le sermon prononcé en chaire par les pasteurs, retransmis dans des millions de foyers, sermon qui, à côté d’explications de passages bibliques, insiste longuement sur les problèmes moraux qui sont devenus l’ossature du discours politique dominant, mélange des genres qui se pratique dans divers groupes religieux américains.
16Ainsi, les démocrates se voient accusés de tous les maux de la société américaine : perte d’autorité dans le monde à cause du détachement de Dieu, visible dans l’adoration des pratiques de Sodome et de Gomorrhe, défaite du Viêt-nam vue en termes moraux. On lia la nécessité de reconstruire la force militaire à celle de reconstruire la morale et le moral du pays ; et la guerre du Golfe fut interprétée comme la preuve d’une saine évolution. Depuis l’arrêt de la Cour suprême qui légalise l’avortement (Roe v. Wade, 1973), la Droite chrétienne organise des croisades contre les cliniques qui le pratiquent, et cela demeure l’enjeu majeur du remplacement, par Bush père, du juge suprême, qui devrait partir dès 2003 (il pourrait y en avoir deux). Les évangélistes fustigent le gâchis des impôts dans les programmes d’aide sociale et réclament une augmentation du budget de la Défense. On voulut voir leur travail derrière le succès de Reagan en 1980. Diverses études tendent à démontrer que, même sans eux, il aurait été élu, car la société américaine redevenait conservatrice. Reagan leur accorda quelques faveurs, puis les oublia. Falwell se retira de la politique officielle en 1987. La Droite chrétienne fourbit alors ses armes au niveau local. Les bénévoles s’organisèrent pour expurger les livres scolaires des impuretés humanistes et féministes, réclamer le retour de la prière dans les écoles, exiger l’enseignement du créationnisme (la conviction que le récit de la Genèse est historique et que Dieu créa la Terre il y a 6 000 ans), etc.
17Au niveau institutionnel, Pat Robertson fondait en 1989 la Christian Coalition of America, dont la mission est de représenter le point de vue « pro-famille » devant les conseils municipaux et scolaires, les législatures des Etats, le Congrès fédéral, de former des leaders pour l’action sociale et politique, et de protester contre les attaques antichrétiennes. Ralph Reed en fut le premier président, et la quitta en 1997. Il est actuellement conseiller à la Maison Blanche. La Coalition a lutté avec succès contre le projet de sécurité sociale de Hillary Clinton. Robertson explique [8][8]Pat Robertson, The New World Order, Dallas, London, Vancouver,… comment sa Coalition permit, par exemple, au sénateur archiconservateur Jesse Helms de se maintenir en Caroline, alors qu’il était derrière son concurrent dans les sondages. Les deux dimanches avant l’élection, elle fit distribuer 750 000 bulletins paroissiaux décrivant la position des candidats sur les questions majeures, ce qui permit à Helms de gagner haut la main. Puis, en 1995, elle dépensa un million de dollars pour soutenir le programme conservateur, « Contrat avec l’Amérique », proposé par Newt Gingrich, président de la Chambre des représentants jusqu’en 1998. Aux élections de 2000, elle distribua 70 millions de guides pour les électeurs de tous les Etats, dont plusieurs millions en espagnol. Les attentes de la Droite chrétienne furent satisfaites fin 2000 par l’arrêt Bush v. Gore. Même si, techniquement, il a pu être interprété comme étant constitutionnel, le doute subsiste quant à la partialité de la Cour Renhquist notoirement conservatrice. L’attentat de septembre 2001 confirma les imprécations des prédicateurs sur l’état moral de la nation et de sa défense. Falwell et Robertson profitèrent de la tragédie pour réoccuper l’espace médiatique.
Millénarisme et messianisme
18Après ce tour d’horizon de la montée en politique des fondamentalistes, il nous faut revenir à « l’axe du mal ». L’expression relève du vocabulaire du millénarisme [9][9]Voir Henri Madelin, « Le millénarisme et ses métamorphoses »,…, qui a toujours été très prégnant en Amérique, où il remplit une fonction sociale et politique capitale. Sa rhétorique apocalyptique impose une vision particulière de l’histoire et incite ses adeptes soit au séparatisme, soit au prosélytisme et à l’activisme, pour se prémunir contre les abominations de la fin des temps imminente, et c’est cette dernière option qu’ont choisie les fondamentalistes actuels. Le millénarisme est lié au messianisme, l’attente du Retour du Messie. Le terme s’applique également à la croyance dans la mission particulière d’une personne, d’une communauté, d’un peuple. Le messianisme américain est une construction idéologique qui considère les Etats-Unis en tant que nation élue et donc supérieure, voire parfaite. Millénarisme et messianisme divisent ainsi le monde entre les élus et les damnés, et invitent à la croisade pour éliminer les derniers. La fondation de l’Etat d’Israël en 1948 rentre parfaitement dans cette vision, puisqu’elle constitue la pénultième étape avant l’Armaggedon, la condition essentielle à sa réalisation étant le retour des tribus d’Israël en Palestine.
19Dans le scénario des années quatre-vingt, les Arabes s’alliaient aux communistes du Nord et de l’Est, formant un « axe du mal » correspondant aux royaumes menaçant les Hébreux dans l’Apocalypse de Daniel. On voyait en 1981 Jerry Falwell arpenter le champ de l’Armaggedon, près de Jérusalem, et commenter le déroulement de la bataille entre les Alliés et les Soviétiques, soutenus par les Syriens et leurs voisins. Il est alors logique que les déclarations de solidarité des fondamentalistes envers Israël fassent la « une » de la presse américaine depuis plusieurs mois. Non dupes sur les visées eschatologiques de leurs nouveaux amis, les Juifs ne les réprouvent pas, car, si les communistes ont déserté le champ de bataille de l’Armaggedon, les armées arabes et islamistes sont bien au rendez-vous, et l’influence des évangélistes sur la politique étrangère américaine n’est pas à négliger.
20La furie de l’attentat du 11 Septembre eut une résonance bien particulière aux Etats-Unis. En premier lieu, parce que le pays était attaqué pour la première fois sur son sol continental, mais aussi parce que cette attaque venue du ciel, démolissant les tours orgueilleuses du temple matérialiste du commerce international — à l’image de celle de Babel, tour édifiée par des hommes voulant instaurer un gouvernement mondial sans Dieu —, correspondait parfaitement au scénario apocalyptique auquel les millénaristes américains se préparent depuis 1620. Il n’est pas fortuit que, dès les jours suivants, Falwell et Robertson aient accusé les Américains athées, immoraux, avorteurs, pornographes et homosexuels, d’avoir provoqué l’ire de Dieu sur les tours jumelles.
21La diabolisation de l’ennemi interne ou étranger fait partie intégrante de l’arsenal idéologique américain à la fois religieux et politique. Le vocabulaire du millénarisme, du dualisme entre les forces du bien et les forces du mal, ou axe du mal, s’applique à toute circonstance nationale, afin d’imposer un sens à l’événement et de canaliser l’agressivité du peuple dans une direction bien précise. Il s’agit là d’un instrument redoutablement efficace pour terrifier une population et l’obliger à accepter telle ou telle décision politique dans la mesure où le chef charismatique qui l’annoncera se présente comme investi d’une mission prophétique. Cela suppose un travail constant de prédication religieuse, accompagné de la surveillance des programmes scolaires — deux activités dont les fondamentalistes sont les grands champions. Que le Président s’entoure de plusieurs membres de la Droite chrétienne démontre son intérêt à la fois pour sa doctrine et pour son poids électoral.
22Pour en revenir à la Bête de l’Apocalypse actuelle, Saddam Hussein, sa diabolisation date au moins de 1990. C’est peut-être pour cette raison qu’on s’est attaqué très vite à lui, et que l’on délaisse, du moins en apparence, Ben Laden, dont les médias n’ont pas vraiment réussi à orchestrer la diabolisation iconographique. L’axe du mal dont Saddam Hussein est l’Antéchrist a une longue histoire derrière lui… et encore « de beaux jours » devant lui.
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