Peinture : STUART DAVIS : "LE FASCISME"
EXIT HISTOIRE ET MÉMOIRES REELLES : ALORS VIENDRA LA KOLLABORATION ET LA MONSTRUEUSE “RÉVOLUTION NATIONALE” POUR LA DITE “UNION SACRÉE”
VOIR L’ENORME CONFUSION SUR NATURE SANG ANTISEMITISME REVENDIQUE, ORGANICISME EUGENISTE,ULTRA CHAUVINISME, RACISME DANS CET ARTICLE QUI REVISE NOTRE HISTOIRE EN NE METTANT QUE BESOINS ET INSTINCTS DANS L’HUMAIN ! O LA BELLE “REVOLUTION NATIONALE” DÉFENDRA CELA POUR LE PIRE !
"Le peuple français chez Maurice Barrès : une entité insaisissable entre unité et diversité" dixit ce prétendu "intellectuel" !
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- Le Barrès nationaliste a beaucoup été étudié ; l’idée est de déplacer la perspective vers Barrès penseur du fondement du lien social qui s’interroge sur les modalités de formation et de survie d’un peuple, en l’occurrence le peuple français. Conscient de l’hétérogénéité anthropologique et sociologique d’une communauté humaine, Barrès remet en question la logique rousseauiste du contrat et la capacité autoconstituante dévolue au peuple rassemblé autour de principes partagés. Dans la mouvance de Taine ou de Burke, il définit le peuple comme l’aboutissement d’un processus d’assignation héréditaire qui assemblent les diversités en complémentarités et solidarités (vision organiciste). Barrès prend place dans la lignée des penseurs du XIXe siècle qui s’efforcent de refonder le lien social dans les sociétés démocratiques menacées d’atomisation.
Texte
Communication présentée lors de la journée d’étude « ’Peuple’ et ’Volk’ : réalité de fait, postulat juridique » organisée à l’Université de Paris X-Nanterre le 10 décembre 2005
Le nom de Barrès est traditionnellement associé à ce que les historiens ont appelé nationalisme des nationalistes, nationalisme fermé ou nationalisme d’exclusion, sur fond d’affaire Dreyfus et de ligne bleue des Vosges. Tous les travaux, qui font autorité, de Zeev Sternhell1, Michel Winock2, Raoul Girardet, Pierre-André A. Taguieff3 ont explicité les fondements herdero-fichtéens de cette conception de la nation et en ont souligné les paradoxes : l’outillage mental nécessaire à la Revanche se forge à partir de références empruntées à la philosophie allemande, mais les prolongements du contentieux théorique et géopolitique de l’Alsace-Lorraine empêchent malgré tout une pleine adhésion au modèle de la Kulturnation et une franche rupture avec la conception dite « politique » dominante en France. A tous ces égards, l’œuvre de Barrès occupe une place centrale dans l’histoire politique de la IIIe République et des avatars de la « crise allemande de la pensée française »4, mais aussi dans les relations intellectuelles France-Allemagne, marquées par des phénomènes de transferts et d’acculturation réciproques5.
Je souhaiterais déplacer la perspective des historiens et interroger Barrès à la lumière du glissement sémantique entre peuple et nation, amorcé par Sieyès et la Déclaration du 26 août 1789. Au « peuple », concept chargé des apories du Contrat social, se substitue alors la « nation », bénéficiaire du transfert émotionnel et juridique qui fait passer les attributs de la souveraineté de la personne du roi à cet être collectif nouveau. La nation « s’impose ainsi au centre du droit public, sans qu’il soit nécessaire ou possible de la définir »6. Ainsi assiste-t-on à une inversion des sens : le « peuple » est à présent doté d’une dimension historique, tandis que la « nation » acquiert une dimension politique, celle, peu ou prou, dévolue au peuple dans Le Contrat social : l’ensemble des contractants du pacte social titulaires de la souveraineté.
Mon hypothèse est que Barrès s’efforce de reformuler la question centrale du Contrat Social : « qu’est-ce qui constitue un peuple en peuple ? », et que ce faisant, il prend à contre-pied l’ordre généalogique établi par Rousseau et inscrit depuis la Révolution dans les fondements de la culture politique française : le point de départ est le peuple comme donnée naturelle de la diversité, le point d’arrivée est le peuple comme institution contractuelle titulaire de la souveraineté. Or les fluctuations et les « saisons » du nationalisme barrésien s’articulent, me semble-t-il, autour d’une idée-force : définir le peuple non pas à partir de l’acte fondateur du contrat mais de l’institutionnalisation politique du lien social, non à partir des principes, mais des circonstances, pour reprendre la distinction de Benjamin Constant7.
Barrès prend place ainsi dans une lignée intellectuelle, illustrée par Le Play et Taine, où prévaut une logique sociologique qui, à l’instar du modèle républicain, prétend elle aussi régénérer, mais du bas vers le haut ; sa démarche s’inscrit dans les débats sur la nature de la démocratie et les fondements du lien social. Sur fond de généralisation du suffrage universel et de controverses sur le droit de la nationalité dans les années 1880, la démocratie, ou pouvoir du peuple, constitue un impératif tout à la fois politique et sociologique ; le problème de la représentation du peuple, dans ses deux acceptions (mandat et figuration)8, rend manifeste la tension entre la définition politique de la démocratie et les conditions historiques et sociologiques de son institutionnalisation.
Barrès, en effet, partage la certitude tocquevillienne que la démocratie, au sens étymologique et au sens sociologique de l’égalité des conditions, constitue désormais l’horizon de la pensée et de l’action politiques : « Voilà pourquoi la cause de la démocratie moderne est désormais indiscutable. Elle est la force, il faut que nous lui accordions, contre nos prédilections aristocrates, contre notre goût de la grande culture, la qualité de justice »9. Comment, dès lors, fonder le lien social dans une société individualiste démocratique guettée par l’atomisation et l’anomie ? Dans le problématique cheminement intellectuel de Barrès qui, déchiré d’incertitudes et de contradictions, est à la recherche d’un point d’appui, d’un fondement immuable l’aidant à lutter contre la tentation du nihilisme, le nationalisme émerge peu à peu comme réponse possible, mais qui exige que soit au préalable établie une définition commune et consensuelle de la nation, ou plus exactement de ce qui en constitue le principe premier et générateur, le peuple10. Le national-populisme de Barrès se démarque volontairement de la conception universaliste des « néfastes métaphysiciens », adossée sur un substrat individualiste : le clivage se fonde sur une perception différente de la relation entre l’unité et la diversité, linguistique ou régionale, qui induit chez Barrès une définition divergente du peuple, d’inspiration sociologique et qui aboutit à la construction d’un modèle d’organisation sociale à prétention holiste.
Le peuple, fruit d’un processus d’assignation héréditaire
Barrès part d’une constatation qui relève non de la déduction, mais de la révélation intuitive : le peuple ne se décrète pas, n’est pas constitué par un acte contractuel de volonté et ne procède pas de la raison abstraite, de ce que Barrès appelle des principes « discutés, préférés, décidés »11. Le peuple n’est donc pas doté de capacité auto-instituante, il est une réalité donnée dont les constituants sont le sol, l’histoire (institutions, conditions de vie, situation matérielle) et la tradition (les morts). La vision organiciste à coloration holiste, résumée dans cette formule des Déracinés « l’Individu n’est rien, la société est tout »12, combine plusieurs influences. Tout d’abord, celle de Taine qui avait, au nom du déterminisme régissant l’univers, défini l’individu comme un maillon dans la chaîne des générations, le fruit d’un processus déterminé par le « milieu » et la « race » dont l’épanouissement et le bonheur ne pouvaient résulter que d’un consentement lucide à cette dépendance, aux rebours des illusions d’une prétendue « liberté individuelle » : Barrès insiste sur la relation hiérarchique entre l’arbre et la feuille et sur l’interdépendance des anneaux de la chaîne, en reprenant la célèbre image de la Démocratie en Amérique 13. S’y ajoute la critique de l’universalisme des Lumières, en particulier du kantisme, principe corrupteur car “déracinant”, le déterminisme physiologique de Jules Soury14, la philosophie politique allemande, souvent connue de seconde main, Fichte et Hegel dont Barrès a lu certains textes entre 1895 et 1898, en s‘intéressant en particulier à la notion d’individualité. « Ce qui est individuel ne peut pas durer comme tel parce que l’individu ne peut réaliser l’idée et par conséquent ne vient au jour que pour faire place à un autre, pour faire nombre dans cet ensemble d’existences particulières dont la totalité représente seule l’idée15. »
Préalablement à toute définition, le peuple est posé comme une réalité de fait, accessible non à la logique intellectualiste, mais à la perception empirique spontanée et l’instinct, il est une nécessité antérieure et étrangère à la raison individuelle16. Le peuple ne relève donc pas d’une essence prédéterminée, il est la résultante d’une continuité dans l’histoire (Hegel). L’appartenance au peuple ne se détermine pas par un acte d’adhésion volontariste, elle est au contraire une détermination objective, la résultante d’une adéquation entre le passé (les morts, les ancêtres) et le présent17. La référence obsédante au culte de la terre et des morts relève moins d’une vision passéiste que d’une interprétation qui fait de la tradition historique, ce que Barrès appelle la « nécessité de maintenir les conditions qui formèrent nos ascendants »18 la condition sine qua non de l’identité individuelle et collective, laquelle relève d’un processus d’assignation héréditaire ancré sur la longue durée et non d’une construction juridique et symbolique. C’est dans ce sens qu’il convient, me semble-t-il, d’interpréter l’idée énoncée par Barrès que le nationalisme n’est pas tant une théorie que la « biographie » des Français »19.
Ce qui revient à dire que l’identité d’un peuple est le fruit d’une dynamique de sédimentation géologique, comparable à un « pudding de pierre »20, un conglomérat où chaque élément prend sa place et son sens en fonction du tout, où la substance n’existe qu’en tant que réalité empirique sociale et historique. Le peuple, ou la nation, n’est pas une « race », mais une dynamique continue animée par la volonté de se conformer aux traces laissées par l’histoire : ce qui permet de nuancer le caractère innéiste et essentialiste habituellement assigné au nationalisme barrésien. On est ici plus proche, à mon sens, d’une conception héritée de Michelet et de Vico21, celle d’une histoire produit séculaire du « travail » des hommes, ou du traditionalisme historiciste d’Edmund Burke.
Le peuple est l’entité collective façonnée par des habitudes accumulées dans des circonstances territoriales et historiques particulières22. La conscience d’appartenir à un peuple exige l’acceptation inconditionnelle des déterminations résultant de ses « conditions de vie » propres, matérielles et immatérielles (institutions, coutumes, langue). Se reconnaître membre du peuple français, assumer sa nationalité française, c’est entériner la légitimité, fondée sur la durée, d’un ordre établi, c’est accepter la conformité de l’individu à la tradition23, c’est aussi bénéficier de droits acquis par prescription, ce n’est pas déclarer son adhésion à des principes24. Etre un peuple, c’est se reconnaître comme une communauté déjà constituée.
Cette conception du peuple revendique la force et la légitimité de l’enracinement, c’est-à-dire d’une vision « réaliste » que Barrès oppose au patriotisme idéaliste des métaphysiciens de l’absolu25. La rupture de la continuité historique, l’abandon de la tradition au profit d’une idée à vocation universelle désagrège le peuple qui n’existe que par et dans la continuité. De là cette angoisse obsédante de la dissociation, de la « décérébration », de l’anéantissement qui vide le peuple de sa substance même26.
Cette angoisse se nourrit de la conviction que le peuple, en particulier le peuple français, est une entité qui menace à chaque instant de se dérober, de s’effacer. Le peuple, en effet, est marqué par la diversité, ce qui rend l’existence d’une « race française » plus que problématique. Il est d’autant plus crucial de le protéger, face à des collectivités homogènes comme l’Angleterre ou l’Allemagne27, mais en tenant compte de ce qui constitue son caractère spécifique, une diversité qui est celle de la réalité empirique consacrée par la tradition. Or protéger le peuple, c’est pérenniser les relations d’appartenance qui le constituent en peuple, c’est affermir et légitimer le lien social, ce que Barrès, en bon disciple de Taine, appelle « affinités » (de préférence à « solidarités »), c’est-à-dire les besoins propres d’une société donnée, ou plus précisément des éléments divers du corps social dotés d’intérêts spécifiques. La logique traditionaliste est ici à l’œuvre : dans l’organisation sociale holiste, ce sont les différences qui constituent le facteur de l’intégration, dans la mesure où les différences sont assemblées en complémentarités et solidarités. Reprenant une expression de Taine (Les Origines de la France contemporaine 28) qui oppose les « corps spontanés », doués d’initiative aux « corps factices », Barrès récuse la logique du contrat social, détachée du milieu et du passé qui, pour citer Taine, fait de chacun, par le mécanisme de la volonté générale, un « fonctionnaire du peuple »29.
La référence, inspirée de la sociologie holiste de Le Play, au droit historique des peuples opposé aux « règles arbitraires du droit » 30 , s’accompagne corrélativement d’un différentialisme relativiste31 qui se démarque de l’héritage chrétien et de la philosophie idéaliste : il ne saurait y avoir de relations justes qu’entre des hommes appartenant à la même communauté de sang, le même groupe ethnique ou historique, car s’il existe une vérité, c’est une vérité française, celle qui est la plus utile à la consolidation du lien social. « Faute de sang grec dans mes veines, je ne comprends guère Socrate et Platon ».
La relation diversité/unité : une superposition et non une résorption d’appartenances
Comment faire pour que les forces constitutives ne soient pas contradictoires ? Comment faire du « caravansérail de peuples »32 qui forment la France un peuple ? Création politique travaillée par des forces centrifuges, la France du modèle jacobin s’est fourvoyée en imposant une centralisation administrative et politique d’inspiration rousseauiste censée résorber la variété ethnique des provinces. Or le modèle unitaire, dont le substrat anthropologique est l’individualisme source d’atomisation, renforce les défauts qu’il prétend corriger : « Notre mal profond, c’est d’être divisés, troublés par mille volontés particulières, par mille imaginations individuelles. Nous sommes émiettés, nous n’avons pas une connaissance commune de notre but, de nos ressources, de notre centre »33. En effet, selon Barrès, la centralisation marque une rupture avec la tradition française, fondée sur le fédéralisme34, contrairement à ce que croyaient Tocqueville et Taine.
Car si le peuple est un produit de l’histoire, qui compose la France « réelle », c’est-à-dire composée, « comme dans la réalité, de familles, de communes et de provinces : tous éléments non point contraires ou divisés entre eux, mais variés, sympathiques et convergents »35, il importe de substituer au patriotisme administratif « déraciné » de la « France idéale », artificiel et déclamatoire, un patriotisme terrien soucieux de préserver la diversité. Il est significatif que pour Barrès, le terme de « nationalité » ait un sens aussi bien local (nationalité lorraine) que national (nationalité française)36 : le sentiment d’appartenance à une collectivité « s’élargit de la famille à la cité, à la province, à la nation »37. Loin de s’opposer, unité et diversité, nationalisme et fédéralisme se renforcent ; les passions particulières, c’est-à-dire les besoins matériels, l’attachement instinctif à l’horizon de la « petite patrie » forment la matrice du patriotisme : il faut soutenir de « provincialisme le patriotisme »38, superposer les loyautés pour les renforcer. « Au sentiment national, ne craignez pas de surajouter le sentiment local. Donnez à chacun deux patries à servir : la grande patrie, la petite patrie. Et puis doublez moi le moi individuel d’un moi plus large : installez nous dans un groupe, dans une association professionnelle, dans une personne morale que nous ayons intérêt à aimer comme nous-mêmes »39. Les notions d’intérêt et de besoin sont ici essentielles40: le lien social n’existe que dans la mesure où il entérine des relations d’interdépendance poursuivant un objectif concret, il se définit comme le besoin moral qui n’est que le produit du besoin matériel. Le peuple se constitue sur une base sociologique, économique et historique par élargissement successif de loyautés, de passions particulières absorbées dans une passion plus vaste41, dans la tradition de Burke ou de Frédéric Le Play : « le point essentiel, c’est « que le village, parce qu’il est une création naturelle, garde son existence, qu’il soit fédéré avec ses voisins et non assimilé au profit d’une autre conscription »42. A comparer avec le célèbre passage des Réflexions sur la Révolution de France : « On n’a jamais connu d’hommes attachés par la fierté, par un penchant ou un sentiment profond à un rectangle ou un carré ( …) C’est au sein de nos familles que commencent nos affections publiques (…). De nos familles, nous passons au voisinage, aux gens que nous fréquentons et aux séjours que nous aimons dans notre province »43.
Par la prise en compte de la diversité des intérêts et la superposition d’allégeances44, Barrès veut résoudre le problème de la figuration du peuple ; le bien commun (ou l’intérêt général) n’est pas le produit d’une construction délibérée, mais d’activités qui en elles-mêmes visent simplement la satisfaction d’un intérêt particulier. Seule une décentralisation effective des pouvoirs, fondée sur l’idée que seul est légitime le pouvoir qui garantit la satisfaction des intérêts et des besoins45 – inspirée de Burke et non de Rousseau-, permet de figurer le peuple, de le représenter sous ses multiples visages. Le bon gouvernement n’est donc pas établi en vertu de droits naturels, mais d’un système de droits et de devoirs destiné à pourvoir au bien-être des hommes, système qu’en se risquant à l’anachronisme, on pourrait rapprocher du principe de subsidiarité : Barrès fait l’éloge de l’organisation administrative de l’empire d’Autriche et du IIe Reich, où les assemblées locales possèdent tous les droits et l’assemblée centrale seulement ceux qui sont délégués par statut constitutionnel.
Le respect de la diversité n’a toutefois de sens que dans la mesure où il soutient la conscience d’appartenir à une collectivité nationale toujours prête à se dérober. Barrès insiste beaucoup sur les dangers de l’uniformité du modèle républicain qui corsetant de principes artificiels les énergies spontanées, maintient la dissociation et la décérébration, formes barrésiennes de l’atomisation et de l’anomie. Il s’est en revanche peu expliqué sur les modalités du processus de superposition et de convergence d’appartenances. On peut toutefois suggérer que le recours à l’homme providentiel émanation et expression de l’instinct populaire constitue le pendant de la décentralisation : si un «peuple est un centre maintenu par la volonté. »46, la personnalisation du pouvoir s’impose comme une nécessité susceptible de donner une « unité » et une direction commune47, tout à l’opposé de la démocratie libérale dont Barrès fustige le caractère antisocial. Le national-populisme de Barrès qui, au nom de l’intuition infaillible des masses, plaide pour la restitution de la souveraineté populaire et le gouvernement direct, grâce à la décentralisation et au référendum d’inspiration suisse48, est contraint de postuler l’existence d’une unité morale, une unanimité de sentiments ancrées sur l’hérédité partagée et l’assentiment aux injonctions de la Terre et des Morts. Une place stratégique est dévolue à l’antisémitisme comme facteur de cohésion dans un contexte marqué par la nécessité, pour les droites, d’élaborer la plate-forme idéologique d’un mouvement de masse49 .
On reconnaît là le grand mythe politique de l’unité, caractéristique du nationalisme selon Girardet : mais Barrès lui donne une coloration originale qui le démarque de son maître Michelet. Là où l’auteur du Peuple, dans le livre III de son Histoire de France, plaide pour la résorption des différences et intérêts locaux au sein du « grand tout » symbolisé par Paris, le centre constitué qui « boit la vie brute » des provinces et la « transfigure »50, le point de convergence et fusion autour duquel s’affirme la réalité de la patrie, Barrès ne dissimule pas sa méfiance envers la capitale, ce gouffre qui engloutit les types régionaux pour en faire des métis51.
Barrès s’efforce d’apporter une réponse au problème posé aux héritiers de Rousseau : la forme pratique que prend un gouvernement d’origine populaire dans une société trop étendue pour la démocratie directe. A aucun moment, il ne remet en cause le principe démocratique du suffrage universel et de l’égalité des conditions ; il en dénonce en revanche l’un des corollaires, l’avènement d’un ordre sériel 52 qui concrétise le sacre juridique de l’individu, mais inévitablement, désubstantialise le peuple, ce maître tout à la fois impérieux et insaisissable. La démarche de Barrès, nourrie d’incompréhension face à la société moderne industrielle – il partage la vision, chère à Michelet, du « petit peuple » de modestes propriétaires terriens et d’artisans -, apparaît dans ses fluctuations et contradictions comme un « bricolage » holiste, sur fond de modernité individualiste désenchantée qui menace au plus profond le lien social.
Barrès, M. Le Roman de l’énergie nationale (Les Déracines, L’appel au soldat, Leurs figures) R. Laffont Bouquins, 1994.
Barrès, M. Scènes et doctrines du nationalisme 2 Tomes, Paris, Plon, 1925.
Barrès, M. Mes Cahiers (XIV volumes), Paris, Plon, 1929-1957.
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Digeon, C. La Crise allemande de la pensée française 1871-1914, Paris, PUF, 1959.
Girardet, R. Le Nationalisme français 1871-1914 ,Paris ,Armand Colin, 1966.
Girardet, R. Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986.
Nicolet, C. L’Idée républicaine en France. Essai d’histoire critique, Paris, Gallimard, 1982.
Rosanvallon, P. Le Peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, 1998.
Sternhell, Z. Maurice Barrès et le nationalisme français, Bruxelles, Complexe, 1985.
Taguieff, P. A. « Le nationalisme des « nationalistes ». Un problème pour l’histoire des idées politiques en France ». In Théories du nationalisme, sous la direction de G. Delannoi et P. A. Taguieff, Kimé, 1991.
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Taveneau, R. « Barrès et la Lorraine » in Actes du Colloque Barrès organisé à la Faculté des Lettres de Nancy, Annales de l’Est, Nancy, 1963.
Winock, M. Le Siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997.
Brigitte Krulic, professeur à l’Université de Paris X, travaille sur l’histoire des idées politiques (théories de la nation, de la modernité démocratique). Parmi ses publications figurent :
La Nation, une idée moderne, Ellipses, 1999.
Dossier « La Nation » Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, 1999.
Ecrivains, identité, mémoire : Miroirs d’Allemagne 1945-2000, Autrement, 2001.
Nietzsche penseur de la hiérarchie. Pour une lecture tocquevillienne de Nietzsche, L’Harmattan, 2002.
Europe, lieux communs (sous la direction de BK), Autrement, 2004.
« Aux sources du concept de laïcité : les néokantiens français » (article à paraître dans un collectif édité en RFA chez Logos, fin 2006).
Roman du peuple, roman des peuples : le roman historique en Europe XIXe-XXe siècles, Autrement, (à paraître 2007).
- Z. Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Bruxelles, Complexe, 1985. ↩
- M. Winock, Le Siècle des intellectuel, Paris, Seuil, 1997. ↩
- P.A. Taguieff, « Le nationalisme des nationalistes. Un problème pour l’histoire des idées politiques en France » in Théories de la nation, sous la direction de Gil Delannoi et de Pierre André Taguieff, Paris, Kimé, 1991. ↩
- Claude Digeon, La Crise allemande de la pensée française 1871-1914, Paris, PUF, 1959. ↩
- Cf. Michel Espagne, Les Transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999, et Louis Dumont L’idéologie allemande. France-Allemagne et retour, Paris, Gallimard, 1991. ↩
- Claude Nicolet L’Idée républicaine en France. Essai d’histoire critique, Paris, Gallimard, 1982, p. 16. ↩
- Cf. la distinction opérée par B. Groethyusen entre « moment juridique » et « moment sociologique » in Philosophie et Histoire, Albin Michel, 1995. ↩
- Pierre Rosanvallon, Le Peuple introuvable Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, 1998. ↩
- Maurice Barrès, Mes Cahiers, T1, 1896-98, Paris, Plon, 1929, p. 97. ↩
- Cf. Scènes et doctrines du nationalisme Paris Plon 1925, Tome 1 p. 84 sq. : La France est une entité difficile à définir, et ce qui en donne la preuve, c’est que, selon les « publicistes, écrivains, artistes », les Français sont définis tantôt comme Latins, tantôt comme Gaulois. Comment être nationaliste, c’est-à-dire « résoudre chaque question par rapport à la France », si une définition et une idée communes de la France s’avèrent impossibles ? (p. 86). ↩
- Les Déracinés (Roman de l’énergie nationale I), in Romans et voyages, R. Laffont Bouquins, 1994, p. 503. ↩
- Ibidem, p. 615. ↩
- L’Appel au Soldat (Roman de l’énergie nationale II), p. 935. ↩
- « L’individu ! (…) Il faut en rabattre. Nous ne sommes pas les maîtres des pensées qui naissent en nous. Elles ne viennent pas de notre intelligence ; elles sont des façons de réagir où se traduisent de très anciennes dispositions physiologiques (…). La raison humaine est enchaînée de telle sorte que nous repassons tous dans les pas de nos prédécesseurs », Scènes et doctrines du nationalisme Tome 1, p. 18. ↩
- Scènes et doctrines…, I, p. 210. ↩
- Les intellectuels, pour lesquels « la patrie, c’est une idée », ne se sentent plus spontanément d’accord avec leur groupe naturel et ils ne s’élèvent pas jusqu’à la clairvoyance qui leur restituerait l’accord réfléchi avec la masse » (Scènes et doctrines… I, p. 49). ↩
- « Nous sommes la continuité de nos parents, ils pensent et parlent en nous (…). C’est tout un vertige où l’individu s’abîme pour se retrouver dans la famille, dans la race, dans la nation » (Scènes et doctrines…, T.1, p. 19) Voir la célèbre formule : « Un nationaliste, c’est un Français qui a pris conscience de sa formation. Nationalisme est acceptation d’un déterminisme » (p. 10) ; l’idée même de “naturalisation”, c’est-à-dire d’intégration de Français de fraîche date au sein de la communauté “de souche” constitue donc une aberration. A la Chambre, Barrès plaida constamment pour une conception très restrictive des procédures de naturalisation. ↩
- Scènes et doctrines…, T. 1, p. 65. ↩
- Ibidem, p. 9. ↩
- Scènes et doctrines…, T.1, p. 20-21. ↩
- Herder et Vico (Michelet traduit en 1827 sa Scienza Nova, à peu près à l’époque où il découvre Herder via Edgar Quinet) ont un point commun: l’idée qu’il existe une collectivité humaine dotée d’une existence propre, une Raison de tous supérieure à la raison individuelle, qui détermine la validité des croyances des sociétés données. L’idée force de Vico est que le monde social est l’œuvre des hommes résultant d’un puissant travail de soi sur soi ; la création de choses nouvelles s’effectue à partir de matériaux préexistant. ↩
- Appel au soldat, p. 890 sq. (chapitre XI « La vallée de la Moselle. Sturel et Saint-Phlin recherchent leurs racines nationales »). ↩
- « Je ne puis accepter que la loi à laquelle mon esprit s’identifie », Scènes et doctrines…, T. 1, p. 68. ↩
- Appel au soldat, p. 906-907. ↩
- Scènes et doctrines…, T.1, p. 89. ↩
- « Je suis Français et je désire, j’ai besoin que ce groupe social se continue parce que c’est dans ce groupe que je trouve les conditions de ma vie (façon de sentir, honneur, clarté et analyse, langue) ». La logique politique et dynastique est « secondaire », in Mes Cahiers II, 1898-1902, Plon, 1930, p. 194 (lettre à Maurras). ↩
- Sur la notion de « race » chez Barrès, Scènes et doctrines…, T.1, p. 20 : « Nous ne sommes point une race, mais une nation ; elle continue chaque jour à se faire et sous peine de nous diminuer, de nous anéantir, nous, individus qu’elle encastre, nous devons la protéger ». Et aussi : « Il y a un type français, un type anglais, un allemand, mais non une race. Les peuples sont des produits de l’histoire. Les races, tout ce qu’on peut mettre sous ce nom, ce sont des produits sociaux, des « sentiments et des pensées incarnées » (Fouillée). Certaines races enfin arrivent à prendre conscience d’elles-mêmes organiquement. C’est le cas des collectivités anglo-saxonnes et teutoniques qui sont de plus en plus en voie de se constituer comme race. (Hélas ! il n’y a point de race française, mais un peuple français, une nation française, c’est-à-dire une collectivité de formation politique.) », in Scènes et doctrines…, T.1, p. 85. ↩
- Taine, Les Origines de la France contemporaine, 2 Tomes, Robert Laffont Bouquins, 1986, Le Régime moderne, T 2 p. 454. ↩
- Taine, op. cit., p. 459. A comparer avec Barrès (Notes prises vers 1895 in Scènes et doctrines… T.2, p. 221) qui parle de l’ « effort spontané du corps social ». « Pourquoi, au reste, une loi générale ? L’égalité ne consiste pas dans l’uniformité, comme nos bureaucrates le croient, mais dans une égale reconnaissance des nécessités différentes » ; p. 224-25. « Nous n’aimons pas les maîtres, et ceux-ci, délégués, non des groupes corporatifs, mais du corps social tout entier et d’une si vaste étendue de territoire, sont incompétents dans presque tous les sujets dont ils ont à s’occuper ». ↩
- Déracinés, p. 559. ↩
- « Qu’est ce que la vérité ? Ce n’est point des choses à savoir, c’est de trouver un certain point, un point unique, celui-là, nul autre, d’où toutes choses nous apparaissent avec des proportions vraies. (…) Il me faut m’asseoir au point exact que réclament mes yeux tels que me le firent les siècles, au point d’où toutes choses se disposent à la mesure d’un Français. L’ensemble de ces rapports justes et vrais entre des objets donnés et un homme déterminé, le Français, c’est la vérité et la justice françaises ; trouver ces rapports, c’est la raison française. Et le nationalisme net, ce n’est rien d’autre que de savoir l’existence de ce point, de le chercher et l’ayant l’atteint, de nous y tenir pour prendre de là notre art, notre politique et toutes nos activités ». Scènes et doctrines…T.1, p. 13. ↩
- Appel au soldat, p. 889. ↩
- Scènes et doctrines…, T.1, p. 85. ↩
- Assainissement et fédéralisme, texte de 1895 cité in Sternhell, op. cit. p. 325. ↩
- Scènes et doctrines…, T.2, p. 208. ↩
- La nationalité française, selon nous, est faite des nationalités provinciales. Si l’une de celles-ci fait défaut, le caractère français perd un de ses éléments », in Scènes et doctrines…, T2, p. 232. ↩
- Voir aussi Conférence de Bordeaux citée par Maurras, Scènes et doctrines, T.2, p. 211 « Familles d’individus, voilà les communes ; familles de communes, voilà la région ; familles de régions, voilà la nation ; une famille de nations, citoyens socialistes, voilà l’humanité fédérale où nous tendons en maintenant la patrie française et par l’impulsion de 1789. » ↩
- Appel au soldat, p. 961. Cf. aussi « La Normandie, la Bourgogne, la Lorraine, la Gascogne, etc. ont une existence aussi légitime que la France » (Scènes et doctrines…, T2, p. 226). ↩
- Scènes et doctrines…, T2, p. 235. ↩
- Cf. « l’effort libre des besoins » in Scènes et doctrines T.2, p. 229. ↩
- Appel au soldat, p 961. ↩
- Scènes et doctrines… T2, p. 224. ↩
- E. Burke Réflexions sur la révolution de Franc,e Hachette Pluriel, 1989, p. 252. ↩
- « A la commune, les intérêts communaux ; à la région, les intérêts régionaux ; à la nation, les intérêts nationaux » Scènes et doctrines…., T.2, p. 227. ↩
- Appel au soldat, p. 899 sq. ↩
- Mes Cahiers, T2, 1898-1902, 1930 p. 54. ↩
- Appel au soldat, p. 901. ↩
- Cf. la Suisse, « ce petit pays » qui est « le véritable modèle des nations républicaines », Scènes et doctrines… T.2, p. 227. ↩
- Z. Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, p. 230. ↩
- Cf. R. Girardet Mythes et mythologies politiques, p. 155 sq., Michelet parle de la fonction d’ingurgitation/régurgitation dévolue à la capitale. ↩
- Mes Cahiers Tome III 1902-1904, Plon, 1931, p. 112. ↩
- Pierre Rosanvallon Le Peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France Paris Gallimard 1998, p. 12 sq. ↩
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