Annales de l’Université de Moundou, Série A - Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, Vol.1(1), Oct. 2013, ISSN 2304-1056 175
Lecture de l’exil intérieur dans quelques
textes de Tierno Monenembo
Par Yambaïdjé MADJINDAYE
Université de N’djaména (Tchad)
Email : madji_genial@yahoo.fr
Résumé : Cet article se propose de montrer que l’exil intérieur constitue la toile de
fond de la plupart des textes1 de Tierno Monénembo. Il se veut une étude de la vie
sociale et psychologique des personnages. Pour ce faire, il vise à démontrer qu’en
dehors de l’exil comme distance ou exil géographique et l’exil linguistique, il y a l’exil
intérieur qui se représente de deux manières sous la plume de l’auteur guinéen. Il se
définit, d’une part, par rapport à l’espace compris entre les frontières d’un pays ou le
pays lui-même et est le fait d’être étranger sur son propre sol et, d’autre part, en
rapport à l’état d’esprit ou à la vie psychologique du sujet. Il est, à ce titre, un repli
sur soi ou une distance par rapport à la réalité, c’est-à-dire un retrait ou simplement
une fuite dans l’imaginaire. Aussi cette réflexion aboutit-elle au résultat analytique
global selon lequel l’exil intérieur est le pire de toutes les formes d’exils.
Mots-clés : exil intérieur, état d’esprit, mémoire, traumatisme.
Abstract: The purpose of this Article is to show that the inner exile constitutes the
background of the majority of Tierno Monénembo’s texts. As such, it is a study of the
social and psychological life of the characters. For this reason, it aims to depict that
apart from the distance or the geographical exile and the linguistic exile, the interior
exile appears in two different manners under the pen of the Guinean author. It is
defined, on the one hand, as compared to the space ranging between the borders of a
country or the country itself and the fact of being foreigner on one’s own motherland
and, on the other hand, in connection with the state of mind or the psychological life of
the subject. It is, for this reason, a shrinking on one’s self or a distance compared to
reality, i.e. a withdrawal or simply an escape in the imagination. Still, the reflexion leads
to the global analytical result according to which the inner exile is the worst of all sots of
exile.
Key words: interior exile, state of mind, memory, trauma.
1 Dans cet article, nous désignerons les textes de MONÉNEMBO
respectivement par CB (Les Crapauds-brousse), EC (Les Écailles du ciel), APE
(Un Attiéké pour Elgass) et PEL (Pelourinho). Toutes les références de ces
œuvres seront marquées par ces sigles, suivis des numéros des pages, et
directement intégrées dans le corps du texte entre parenthèses.
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Introduction
Forme d’exil qui n’implique pas nécessairement un itinéraire de
l’ici à l’ailleurs et vice versa, l’exil intérieur domine aujourd’hui
la littérature négro-africaine d’expression française. Il y
apparaît de deux manières. D’une part, il est le fait d’être
étranger sur son propre sol et constitue la conséquence de la
confiscation de certaines libertés fondamentales des citoyens
par des pouvoirs dictatoriaux. On parle de l’exil chez soi.
D’autre part, l’exil intérieur désigne ce qui se rapporte
essentiellement à l’esprit ou à la vie psychologique. Cet exil est
un repli sur soi, une distance par rapport à la réalité. Il est un
retrait ou simplement une fuite dans l’imaginaire. Dans le cas
d’espèce, l’individu se dérobe ou fuit et cherche un refuge qu’il
trouve souvent en son for intérieur. C’est ce que nous appelons
« exil psychologique »; en effet, dans de telles circonstances, le
sujet devient insensible à tout ce qui l’entoure et perd le contrôle
de sa personne.
Mais, en fait, comment l’exil intérieur se représente-t-il dans les
œuvres de Tierno Monénembo tant au plan de la vie sociale
qu’à celui de la vie psychique ?
1. L’exil chez soi
Le pouvoir politique, tel qu’il s’exerce dans de nombreux pays
d’Afrique, conduit, non seulement au délabrement moral et
physique de la communauté, elle procède aussi à
l’institutionnalisation du mensonge et à l’instrumentalisation du
vice. Autrement dit, il provoque l’exil intérieur au point de
transformer les citoyens en des étrangers sur leurs propres sols ;
car ils se sentent toujours menacés, traqués, séquestrés et
terrorisés. C’est le cas de la plupart des personnages
monénembiens : ils ne sont pas présents à l’espace qu’ils
habitent et qui les entourent en réalité. Privés de libertés
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fondamentales, ils étouffent dans leurs propres pays. Ils sont des
exilés de dedans.
Dans Les Crapauds-brousse, le régime totalitaire de Sâ Matrak
extermine, broie ou étouffe systématiquement les opposants. Ce
pouvoir politique déliquescent est émaillé, à intervalles
réguliers, de complots entraînant arrestations et procès,
internements et exécutions. Le redoutable Daouda y est la
métaphore, l’incarnation et/ou l’icône de la mort. Il taraude
indéfiniment l’esprit de ses concitoyens. Non seulement, il se
contente de multiplier les aliénations et les frustrations, il les
contrôle et les oriente en leur fournissant des exutoires. Il
déploie la terreur dans tout le pays avec une souplesse inouïe. Il
patrouille. Il épie. Il arrête. Il viole. Il violente. Il écroue. Il
torture. Il tue sans complaisance. Souvent, il envoie ses amis en
prison et s’occupe de leurs épouses. Cette scène de viol de Râhi,
l’épouse de Wouri Diouldé, enlevé par les sicaires de Sâ
Matrak, montre bien que Daouda est foncièrement cynique :
Si ça ne te gêne pas, je dormirai là". En même temps,
il mit un doigt sur la bouche de Râhi pour l’empêcher
de dire un mot qui se dessinait sur ses lèvres et lui prit
les épaules pour l’empêcher de choir. Sa main ne
quitta pas ses épaules jusqu’au lit. Sans un mot, il se
déshabilla ; il intima à Râhi l’ordre de faire de même.
Elle ne répondit pas ; elle pleurait. Il lui enleva lui-
même la camisole et le pagne, la poussa dans le lit et
s’allongea à côté d’elle. Il éteignit la lumière et
murmura presque avec gentillesse : "enlève ton slip".
Elle fit un petit recul, rétive comme un animal
schizophrénique et se replia au coin du lit,
malheureuse rebelle. "Enlève ton slip, répéta-t-il plus
sourdement". Elle enleva son slip avec une main
tremblotante (CB, 136-137).
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Mais, ce prédateur n’est pas le seul. Il fait partie de nombreux
autres citoyens qui procèdent quotidiennement au musellement
et à l’élimination, politique ou physique, de l’élite afin de
continuer à se maintenir au pouvoir ou, au besoin, à s’y
éterniser, comme le dit Kaliva à Wouri Diouldé : « Tu rêves, si tu
penses qu’ils s’en iront ainsi. Ils ont le pouvoir et ils s’y
accrochent comme des bigorneaux sur un roc. Pour les dégager,
il faut les brûler. J’ai parlé d’armée, il nous faut une armée
» (CB, 59). Ainsi, beaucoup d’exilés de dedans, pour les
appeler comme Jacques Chevrier, soutiennent que la solution à
leurs multiples maux est dans le maquis, la rébellion. Pour eux,
fuir est lâche. Il faut organiser des complots, résister et, quand
plus rien ne marche, montrer au bourreau la place du cœur; car,
à leurs yeux, la bonne façon de refuser un mal, de le fuir, c’est
de l’extirper, le dynamiter.
En revanche, les soucis de Wouri Diouldé sont tout à fait
différents. Timoré et timide, puis n’ayant appris que l’électricité
en Europe de l’Est, plus particulièrement en Hongrie, il ne voulait
pas du tout s’immiscer dans les affaires politiques de ce régime
littéralement totalitaire. A propos, il s’interroge :
Qu’a donc une poule à discuter le prix d’un
couteau ? Non… A vous, je vous le dirais
franchement puisque vous êtes des frères : je
m’occupe de mon travail. La politique, je ne dis pas
que je n’en fais pas, mais je préfère faire comme le
caméléon : mettre mon pied sur un terrain dont j’ai
pu d’abord m’assurer qu’il était stable. Il serait
ridicule que la terre s’effondre sous mes petits
pas (CB, 59).
Wouri Diouldé a été bruyamment soutenu par Tiéba dont toute
la préoccupation se résume à ceci : supporter la présence
inquiétante de ces gouvernants, de ces vampires : « Je ne me
mêlerai pas de leurs magouilles politiciennes. Mon problème est
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tout autre. Mon problème est de supporter la présence de ces
régnants. Si seulement on avait d’autres lieux pour travailler ;
mais non il faut travailler sur leurs genoux, sous leur contrôle »
(CB, 60). Nous comprenons donc que Wouri Diouldé et ses pairs
apparaissent comme des prototypes de l’exilé de l’intérieur. Ils
sont honnis. On se méfie d’eux et eux-mêmes ne veulent pas du
tout communier avec le régime de Sâ Matrak. Cependant, ils
sont contraints de pactiser avec le régime dont ils rejettent les
normes et condamnent, avec la dernière énergie, les multiples
exactions odieuses. Wouri Diouldé, par exemple, est embarqué.
Sans le savoir et sans le vouloir, il intègre le groupe des tueurs
clandestins et s’inscrit dans le clan des agents politiques, des
hommes de main du président sanguinaire Sâ Matrak. Il doit
désormais, malgré lui, participer à toutes les opérations
ignobles et à la perpétration des actes de vandalisme,
orchestrées et dirigées par Daouda, « un être de silence et
d’inertie, qui glaçait l’atmosphère » (CB, 95). Wouri Diouldé se
doit dorénavant de tout voir, de tout entendre, mais de savoir
tenir sa langue, comme le lui dit clairement Daouda après
l’assassinat du vieux Alkali : « Il reste entendu que personne n’a
rien vu. Rien n’attire autant d’ennuis à un homme que sa
langue » (CB, 104). Puis, il ajoute : « Tu as goûté au fruit en
quelque sorte, Diouldé. Et qui y goûte une fois y goûte toujours.
Tu es devenu un témoin qui ne peut plus en rester là ; à long
terme, tu pourras devenir dangereux. Alors, on ne peut plus te
laisser en dehors. Considère-toi comme un intégré » (CB, 109).
Homme frêle et pusillanime, que dominent à la fois sa mère et
son épouse, Wouri Diouldé est enrôlé dans les arcanes du
pouvoir despotique de Sâ Matrak. Peu méfiant et toujours prêt
à rendre service, il devient l’homme à tout faire de ce
personnage de l’ombre que tout le monde nomme Daouda. Il
n’est plus un homme libre. Il n’appartient même plus totalement
à sa famille et à lui-même. Toutes ses actions et réactions sont
désormais épiées. Partout et à tout moment, il est surveillé. Tout
cela le plonge dans un profond désarroi. Il vit hors de lui. Un
mal intérieur l’étreint. Angoissé et mélancolique, donc malade
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psychologiquement, le protagoniste de Les Crapauds-brousse se
refuse cependant de pointer du doigt son mal. Il n’en parle ni à
sa femme, ni à sa mère, ni à lui-même. Mais, cette attitude ne le
protègera pas longtemps. L’angoisse le creuse, l’étouffe et/ou
l’isole partout où il se présente.
Pourtant, ce premier roman de Tierno Monénembo présente un
chapelet de projets et de rêves de Wouri Diouldé et ses
compagnons. Hélas, tous ces projets se noient ; en effet, il est
difficile pour ces jeunes, qui ont été formés en Occident,
d’intégrer les schémas d’une administration qui ne procède au
recrutement de ses agents que sur la base du régionalisme, du
clanisme, du népotisme, et des affinités diverses. Ils sont à ce
titre systématiquement rejetés, réduits au silence et trop souvent
simplement supprimés. Wouri Diouldé lui-même en est un
exemple parlant : le féroce Daouda le fera accuser d’avoir
participé à un complot contre « l’inqualifiable président » (CB,
117), l’innommable tyran, Sâ Matrak. Le bourreau causera
ensuite l’arrestation du fils d’Alfâ Bakar, puis sa mort. Mais,
comme se questionne le narrateur, « quel est donc cet absurde
destin qui broie des hommes, encore des hommes ? Pourquoi
tant de gens sont-ils victimes de ces manœuvres sans génie ?
Seraient-ils mutilés du cerveau, ces hommes qui butent sur la
même pierre où, quelques instants plus tôt, d’autres ont buté de
la même manière » (CB, 121) ?
La situation de ces jeunes intellectuels de retour de l’Occident
n’est pas vraiment différente de celle des étudiants guinéens
dans Un Attiéké pour Elgass où le pouvoir guinéen et sa langue
de bois condamnent et rejettent tout discours incompatible avec
ses plans de musellement de la masse. Il s’agit là d’un exil
verbal, d’une réduction au silence, dans la mesure où les propos
du rebelle, de l’opposant, du contestataire, sont retenus contre
lui. Tous les étudiants guinéens exilés en Côte-d’Ivoire avaient la
langue bridée, quand ils étaient en Guinée. Ils sont mal vus
parce qu’ils développent un discours contestataire, un discours
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de déconstruction de l’ordre qui, systématiquement, les honnit et
les crache.
Cet aspect d’exil oppose donc asymétriquement un monde de
bruit à un monde de silence. Et cette asymétrie est récurrente
dans l’œuvre de Tierno Monénembo. Çà et là, on peut repérer
les binômes bruit/silence, ordre/désordre, discours/contre-
discours, etc. Par exemple, le climat de la cité Mermoz s’oppose
à l’effusion d’Abidjan. Pour ce faire, l’exil comme rejet signifie
donc la mise à l’écart, le bannissement ou la condamnation au
statut de paria, de l’être gênant.
Dans Les Écailles du ciel, Cousin Samba vit une situation similaire.
Il essuie un exil harassant sur le sol où il « vit le jour, dans un
village qui se tasse entre le flanc du Mont Koûrou et la
grenouillère du fleuve Yalamawol » (EC, 34) : Kolisoko, fondé
par l’aïeul Koly. Si Koulloun, le chroniqueur, clame sans cesse son
attachement à cette terre natale, Cousin Samba, lui, vit en
étranger partout, en ville comme au village, la nuit comme le
jour. Rejeté et honni dès la naissance par les siens, le « fils de
Hammadi, lui-même fils de Sibé » (EC, 89) porte une identité
confuse, une humanité refusée. C’est ce que déclare son grand-
père, Sibé : « Dès sa naissance, j’ai su que ce bébé-là n’était
pas comme les autres » (EC, 36). Oui, Cousin Samba n’est pas
comme les autres. Aussi est-il très mal accueilli par les siens. Il vit
constamment l’isolement et l’égarement dans un monde qui l’a vu
naître et qui refuse catégoriquement de l’intégrer. Partout, il
essuie impitoyablement des rebuffades et des affronts. Il est
rejeté par son père qui ne supporte pas son apparence
étrange, sa monstruosité à la fois indescriptible et indicible : «
Le mari (père de Cousin Samba et mari de Diaraye), dit le
narrateur, montrait "la chose" et vociférait au bord de
l’hystérie » (EC, 37). Mais, Hammadi n’est pas le seul à hurler à
la vue de cet enfant immonde et parfaitement laid. Tous les
siens le haïssent et se méfient de lui, tel un pestiféré : « Ça là,
ça s’est trompé de chemin, murmurait-t-on dans toutes les cases.
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Êtes-vous sûrs que son destin est sur cette terre ? Et pourquoi
parents qui m’êtes chers, je vous le demande, pourquoi
Kolisoko ? Oui, pourquoi à KOLISOKO ? La fatalité nous veut
quelque chose » (EC, 36).
Comme nous le constatons, parfaitement hideux, Cousin Samba
est haï de tous. Tous le méprisent et le rejettent. Taciturne et
renfermé, il est exclu du cercle de jeu des enfants de son âge.
Étranger à son temps et à son milieu, il ne répond guère aux
traits identitaires de sa lignée. Tout en lui étant profondément
rompu, il est, dès l’abord, destiné à quitter sa terre natale.
Cousin Samba, né à Kolisoko, de père et de mère, citoyens
légitimes de Kolisoko, n’a plus désormais de place, de race, ni
de nationalité sur la planète terre. Tout Kolisoko pense que
Cousin Samba ne mérite pas d’appartenir au genre humain.
Au regard de l’analyse de ces textes, nous comprenons que
l’exil intérieur jaillit d’un rapport conflictuel à autrui ou à l’ordre
régnant, mais aussi du malaise social qui en découle.
2. L’exil psychologique
La question de l’exil ne saurait se réduire, de nos jours, à un
simple problème d’avoir ou de perte, mais également à celui
d’être ou de non-être. Il n’est plus intéressant de rattacher à ce
concept toute la négativité qui l’encadre d’habitude au niveau
physique et par rapport à la distance. Elle dépasse
considérablement cette dimension pour atteindre le niveau
psychique. A cet effet, s’impose alors à nous l’analyse de l’exil
sous un angle littéralement psychique, psychologique et/ou
psychanalytique.
L’exil psychologique est plus que l’éloignement. Il met souvent en
jeu toute une série d’événements ou de faits pouvant affecter le
psychisme du sujet, notamment le déracinement, la construction
ou reconstruction identitaire et les conséquences des exactions
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perpétrées par les régimes totalitaires. Autrement dit, l’exil,
n’importe lequel, ne s’effectue pas sans traumatisme. Il implique
généralement un certain degré de dépersonnalisation allant
parfois jusqu’à la lisière de la psychose : souffrance psychique
accompagnée de désordres somatiques. Aussi l’esprit humain
flotte et se tourmente-t-il sans cesse.
2.1. Le traumatisme de l’exilé
Le traumatisme de l’exilé se présente dans la plupart des textes
de l’auteur guinéen. Mais, dans cet article, nous allons focaliser
notre analyse sur le seul cas de Leda dans Pelourinho.
Héroïne et narratrice de Pelourinho de Tierno Monénembo au
même titre qu’Innocencio1, Leda est à la fois victime de l’exil
comme distance, de l’exil carcéral et de l’exil psychologique. Si
ces trois exils la plongent finalement dans un profond exil
intérieur, toute la narration de son histoire alterne avec celle
d’Escritore développée par Innocencio. Noire, donc d’origine
africaine résidant sur le sol brésilien, la jouvencelle ploie sous un
lourd fardeau moral qui l’écrase. Aussi espère-t-elle, avec
beaucoup de pénibilité et de lassitude, qu’elle pourra, un jour,
grâce à Exu, retourner en terre natale. Pour elle, le Brésil est cet
asile douloureux qui ne cesse de la tarauder et de la maintenir
captive. Mais, à l’intérieur de cet exil, Leda vit engluée,
enfermée, dans un autre exil plus exécrable : l’exil carcéral.
Aveugle, elle se claquemure, à longueur de journées et de nuits,
dans sa petite chambre, un lieu profondément carcéral, exigu et
incongru. Ainsi, presque tous les personnages de cette œuvre la
présentent comme un être littéralement hybride à l’image de
1 Dans Pelourinho comme dans Un Attiéké pour Elgass, les histoires sont
racontées par deux narrateurs : Innocencio et Leda, d’un côté et de l’autre,
Badio et Akissi. Ce couplage de narrations et de narrateurs permet à Tierno
MONÉNEMBO de développer un discours binaire. Les voix de Leda et
d’Akissi viennent compléter celles d’Innocencio et de Badio.
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« ce vicelard d’Exu, le dieu de la perfidie, de l’ironie et des
métamorphoses » (PEL, 128). A la fois frêle et frivole, elle
souffre d’un triple traumatisme : la culpabilité de la castration
du père, le poids de la trahison de la sœur et le remords de
l’abandon du fils.
D’une part, Leda ploie sous le faix d’un événement majeur. Elle
est à l’origine de la castration de son propre père, Zeze-le-
minotier, qui a surpris sa mère, Madalena, en flagrant délit
d’adultère avec son amant, Fernando. Sous l’empire de la
colère, Zeze, le géniteur de Leda, perd le contrôle de sa
personne. Il tue Fernando, son rival, puis menace de supprimer
aussi la vie de son épouse, Madalena : «J’ai refroidi ton salaud.
En voilà un qui ne te coïtera plus. Je vais te tuer aussi. Tu te
souviendras de moi, là où tu te prépares à aller » (PEL, 98).
Mais, stupéfaite, celle-ci demeure de marbre. A-t-elle perdu le
souffle ? Que lui est-il arrivé ? Elle ne réagira que quand elle
aura reçu l’aide de sa fille :
Madalena ne disait toujours rien. Moi, je m’étais
levée, je criais, je sautillais. Mon père butait contre
la banquette, le chaudron, le mur, il essayait de
recharger son arme. D’instinct, je fis le geste animal
qu’il fallait : je jetai un coup d’œil au plateau de
bananes. Le couteau était posé dessus. Mon père
comprit. Pour me barrer le chemin, il tenta de se
relever de la banquette où il avait fini par tomber
(PEL, 98).
Ainsi, avec l’appui de Leda, Madalena réussit à poignarder son
époux entre les jambes, broyant ses testicules et tout ce qui
l’entoure : « Prends le couteau, maman ! Tue-le ! » (PEL, 98). Ces
emplois impératifs ne trompent pas. Leda est coauteur, sinon le
principal auteur, du forfait. C’est elle qui a pris le couteau pour
le donner à sa mère. C’est encore elle qui a intimé l’ordre à sa
mère de tuer son père. C’est enfin elle qui a empêché son père
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de se défendre. Autrement dit, sur cette scène fatale, la vraie
actrice est Leda ; sa mère n’en est qu’une exécutante. Et c’est ce
qu’affirme Noémie Auzas : « Sans en être directement
responsable, Leda n’en est pas moins à l’origine de la castration
de son père » (Auzas, 2004 : 135). Aussi la fille va-t-elle
cruellement souffrir de cette faute. Elle se désole d’avoir
contribué à la mutilation de son propre père par sa propre
mère, quoiqu’en vérité elle déteste Zeze-le-minotier, son père :
elle n’hésite pas à l’insulter et à le qualifier de « chien » (PEL,
93), puis à le nommer « Zeze-pied-villebrequin-au-cul » (PEL,
96). Tel un animal schizophrène, elle ne se contrôle plus. Un mal
étrange, mélange de rage et de culpabilité, l’envahit et
l’étrangle soudainement. Non seulement, la castration du père
occasionne immédiatement la rupture généalogique du lien du
sang, elle entraînera l’égarement, l’aveuglement et la castration
de la mémoire, de l’héroïne. Finalement, à ses yeux, le monde
devient irrémédiablement incohérent, pervers et trouble, et le
sol littéralement meuble sous ses pieds.
Dès lors, en racontant sa propre histoire et ses écarts de
conduite, Leda, qui, en coupant les liens avec les siens, n’assume
plus le rôle de la fille et ne parvient pas non plus à tenir ni celui
de femme ni celui de mère, essaye de reconstituer en même
temps sa généalogie et de redéfinir son identité. Elle tente ainsi
de réparer sa faute, de redevenir la fille de son père, c’est-à-
dire de se racheter.
D’autre part, Leda a conquis le fiancé de Lourdes, un Anglais du
nom de Robby, provoquant ainsi le suicide de sa sœur après le
départ du couple pour l’Angleterre. A son retour à Salvador de
Bahia au Brésil, Leda apprend la mort de Lourdes par Ignacia :
« Oui, Leda, ma petite Lourdes est morte ! Tu comprends, elle
n’a pas pu supporter. Elle a sauté par-dessus la balustrade du
Q.G sitôt que vous êtes partis. Le chagrin, ma petite Leda …» Il
est clair que cette aventure amoureuse et incestueuse a conduit
finalement Lourdes au suicide. Et cette fois-ci, c’est Leda elle-
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même qui n’arrive plus à supporter la nouvelle du suicide de
Lourdes. Le suicide de sa compagne et amie d’enfance l’enrôle
dans un exil intérieur sans précédent, puis lui rappelle ce
paisible royaume de l’enfance à Baixa de Cortume où l’une
disait bruyamment à l’autre : « Alors tu prendras le mien. Moi,
j’en prendrai un autre » (PEL, 209). Elle s’aperçoit enfin de son
statut de volage et en reste psychologiquement mutilée.
Mais, la fille de Zeze-le-minotier ne s’arrête pas là : lorsqu’ils
étaient en Angleterre, elle a également trompé Robby avec
Guilherme dont elle aura un enfant. Cette relation
extraconjugale alourdit sa culpabilité : il en résultera la rupture
avec Robby, le retour précipité au Brésil et l’abandon du fils
qu’elle a eu avec Guilherme, reconnaissable à sa tête en « pain
de sucre » (PEL, 198). Ce dernier acte de Leda est un autre
forfait plus criminel : elle rejette son fils (« Je ne veux pas qu’il
soit mon fils », PEL, 208) et refuse de lui donner un nom. Leda
rompt, une fois de plus, les liens qui la rattachent aux siens, à
son père. L’abandon de cet enfant tout à fait candide constitue
un autre traumatisme plus atroce pour la jeune mère qui ne se
reconnaît plus. Elle n’arrive même plus à s’identifier en tant que
sujet de ses souvenirs, c’est-à-dire en tant que sujet parlant et
agissant, au point de parler d’elle-même à la troisième
personne du singulier. Racontant sa propre mésaventure
amoureuse, elle dit : « Ils n’avaient pas pris la peine d’aller
jusqu’au lit. Tout s’était passé sur le sofa. Elle avait relevé sa
robe, ramené le slip au niveau des genoux. Après quoi, elle
s’était relevée pour empocher les billets » (PEL, 195-196). Ce
pronom personnel "elle" désigne justement l’héroïne : Leda.
Autrement dit, elle ne parvient plus à croire que c’est d’elle qu’il
s’agit dans le récit qu’elle déploie et que c’est d’elle qu’elle
parle.
Ce sera plus tard, dans le douzième chapitre du roman, que la
fille de Madalena et de Zeze-le-minotier parviendra à se
réaliser, à se définir et à s’approprier le souvenir et en devenir
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le sujet, la matière. Elle rapporte ainsi les propos de Guilherme,
son amant : « Regarde bien ceci, dit Guilherme en me montrant
une liasse de billets quand nous fûmes sortis de son lit. Je t’en
donnerai un bon paquet chaque fois que tu viendras me voir »
(PEL, 201). A la lumière de ce texte, nous nous apercevons que
le schéma de la culpabilité et de la faute se reproduit tristement
de génération en génération : Madalena avait un amant
(Fernando) ; Leda en a eu aussi un (Guilherme). Madalena a
trompé Zeze-le-minotier avec Fernando, tandis que Leda a
trompé Robby avec Guilherme. Bref, la vie de Leda, comme
d’ailleurs celle de sa mère, est faite d’une suite de nœuds de
culpabilité : castration du père, trahison de la sœur, d’où
mariage incestueux, infidélité et adultère, abandon du fils et
refus de le baptiser, sont autant d’objets de remords.
Leda est, à ce titre, victime d’un profond exil intérieur. Elle se
perd, se noie et vit hors d’elle. Tout en elle et autour d’elle est
vide et incertitude. Elle s’affole. A longueurs de journées et de
nuits, elle s’apitoie sur elle-même sans savoir exactement
pourquoi tout cela lui arrive et pourquoi à elle et non à
quelqu’un d’autre. Elle ne sait pas pourquoi elle est devenue
subitement le déclic d’une suite de catastrophes. Elle ne sait plus
de qui et à qui elle parle. Elle se prend pour une autre
personne à qui elle parle et de qui elle fait le portrait tant
moral que physique. Bref, l’héroïne perd sa normalité : elle
devient soudainement étrangère à elle-même. Sous le poids de
la double culpabilité, elle fuit l’espace immonde et accusateur
du dehors pour trouver refuge dans son for intérieur. Ses
attitudes déviantes et criminelles se retournent contre elle tel un
boomerang. Le remords l’accable. Des regards accusateurs
l’assaillent. Un silence étourdissant l’étouffe. Elle se torture,
quoiqu’elle vive « sous le manteau d’Exu » (PEL, 97). Plus rien ne
lui plaît comme elle l’affirme : « Mon cœur est devenu froid, je
vis comme une pierre à l’extérieur de la vie. Tant mieux :
n’ayant pas goûté au fruit du désir, je n’en ai plus la moindre
envie » (PEL, 97). Leda sombre désormais dans la nuit de la
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naïveté et de la faute. En contribuant à la castration de son
père, elle a provoqué en même temps la castration de sa
propre mémoire. Conséquence : elle finit par en devenir
aveugle.
Au regard de cette attitude, nous comprenons que la crainte
existentielle de l’exilé repose souvent sur une culpabilité des fois
inconsciente qui le conduit à s’accuser d’être à l’origine de sa
situation et lui fait porter le poids de sa solitude infinie. Une
telle personne refuse toujours les contacts de peur de
recommencer ce qui, pour elle, s’apparente à un travail
destructeur de tout lien social. Roman de culpabilité, Pelourinho
est également un roman de traumatisme. Aussi, pour continuer à
exister, les personnages, qui le peuplent, doivent-ils apprendre
à vivre avec leur passé, leur histoire. C’est la raison pour
laquelle Tierno Monénembo explique, dans son entretien
enregistré par Éloïse Brézault à Caen, le 17 juin 1998, que
« [ses] personnages sont obsédés par la mémoire parce qu’ils
vivent tous un passé lourd et insupportable, un passé difficile à
porter sur les épaules. Ils savent bien, complète-t-il, qu’ils ne
peuvent pas aller de l’avant sans avoir réglé ce passé »1. Il y a,
à ce niveau, pour Leda et les autres personnages de Pelourinho,
la nécessité impérieuse de se confronter à leurs fautes et de les
assumer, s’ils tiennent à continuer à mener une vie saine et sans
gêne.
Mais, le cas de Leda est pire. Elle n’est pas seulement
physiquement aveugle. Elle l’est aussi psychologiquement
puisqu’elle vit en réalité dans un autre monde que celui dans
lequel elle vivait. « Enfermée à double tour » (PEL, 97) et
incapable de quelque action que ce soit, elle se résigne à suivre
le cours de son destin, à accepter son sort et à le supporter. Les
chocs de la culpabilité l’assaillent de plus belle quand elle se
1 Propos de Tierno MONENEMBO cités par Noémie AUZAS, 2004 : 132-
133.
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sent délaissée, esseulée, isolée. En proie au désespoir et au
remords, l’héroïne est donc, dans son isolement abyssal,
parfaitement malheureuse.
2.2. Un mal récurrent
Ce qui est arrivé à Leda n’est ni nouveau ni surprenant ; en
effet, bien des protagonistes monénembiens ont essuyé de telles
mésaventures et, en de pareilles circonstances, l’exilé perd
toujours la sensation du corps et vit une vie confuse, absurde, qui
le dépasse et le pousse à aller à la recherche de son propre
être. Il éprouve, à longueur de journées et de nuits, un sentiment
de profonde claustration et de réel anéantissement. Même au
milieu d’un bal intensément joyeux, il se sent seul, si seul, qu’il ne
peut s’identifier à personne et ne suit en réalité rien de tout ce
qui se passe autour de lui. Il vit un profond exil intérieur.
Comme Leda, Innocencio, ami et guide d’Escritore, héros
posthume de Pelourinho, éprouve, à la mort de son hôte de
marque, les mêmes sentiments de confusion, de regret et de
culpabilité. C’est ce qui peut être lu dans les phrases liminaires
du roman : « Maintenant que tu es mort, Escritore, il ne me reste
plus qu’à mesurer le coût de mon étourderie. Je ne trouverai
jamais assez de force pour en surmonter le choc » (PEL, 11).
Ainsi, dès l’incipit, le narrateur annonce avec beaucoup
d’amertume et de trauma la mort du héros : Escritore. Narrateur
omniscient, donc témoin de tous les faits ayant occasionné la
mort du héros de cette autobiographie édulcorée, Innocencio
s’en meurt de remords. Il exprime plus clairement sa culpabilité :
« Je n’ai jamais su être convivial pour attirer la parentèle. Je
suis un mauvais aimant, je n’attire que les ennuis » (PEL, 11). Et
plus loin, il ajoute : « Bien triste, tout ça, Escritore, d’autant que
je n’ai pas fini de porter ton deuil, déjà que je porte la faute
de ton assassinat » (PEL, 17). En d’autres termes, si, dans la
même œuvre, Leda ploie impuissamment sous le fardeau du
sort, notamment sous le triple faix de la castration de son père,
Annales de l’Université de Moundou, Série A - Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, Vol.1(1), Oct. 2013, ISSN 2304-1056 190
de la trahison de sa sœur et de l’abandon de son fils, si elle se
noie éperdument dans ses multiples tares, Innocencio, lui, porte
et assume courageusement le deuil et la responsabilité de la
mort de son ami et compagnon Escritore. A l’image de Leda, qui
a aidé sa mère, Madalena, à castrer son propre père,
Innocencio a provoqué la mort d’Escritore en le présentant à ses
propres cousins : les frères Baeta. Ces derniers sont tous des
sans-cœur et Innocencio le sait très bien qui l’a fait exprès. La
preuve en est qu’il se désole et se reproche finalement de s’être
mal comporté en provoquant le rendez-vous avec ces bandits
de Salvador de Bahia et, par ricochet, l’immolation d’Escritore
sur l’autel de la fraternité ennemie.
En de pareilles conditions, l’exilé se perd, perd tout, et n’arrive
plus à se définir ou à se catégoriser. Il devient étranger à lui-
même. Il perd la conscience, la seule chose qui garantisse
l’intégrité psychique de l’individu. Cela dit, lorsque le soi
échappe au soi, le soi n’est plus soi. Il s’annule. Il perd tout. Il
devient autre et peut se regarder comme autre. C’est ce qui a
fait dire à Lya Tourn : « L’exil met l’exilé en position de sujet de
perte, mais aussi d’objet perdu » (Tourn, 1997 : 24). Dans son
œuvre sur l’exil, Lya Tourn cherche à interroger, en des termes
cliniques, les conséquences de l’exil sur l’individu. Il pose alors,
dans sa lecture psychanalytique, la question de l’implication du
« surmoi » et de l’idéal du « moi », deux instances
particulièrement impliquées dans les processus identificatoires
du psychisme de l’homme. Pour lui, l’exil est, au niveau
historique, perçu comme une forme d’anéantissement psychique
lié à la disparition de tous les liens socioculturels et idéologiques
qui soutiennent l’identité.
L’exil peut mettre en péril l’intégrité psychique du sujet ou de
l’individu. Il peut la détériorer et la décrédibiliser. La preuve en
est que traumatisé et angoissé, l’exilé va souvent à sa propre
recherche, à sa propre rencontre. Pour son salut, il se replie
dans l’espace intérieur et procède à une intériorisation
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systématique des faits. Étranger aux yeux des autres et rejeté
par eux, il se replie constamment sur lui-même, sur son for
intérieur. C’est le cas de beaucoup d’habitants du pays de Sâ
Matrak qui, gagnés par la peur et l’angoisse et ne sachant où
aller et comment fuir, se noient dans l’alcool dans l’antichambre
du "Paradis". Là, ils se consolent :
Ainsi, fous d’être des victimes et des bourreaux, fous de ne
pouvoir être que victimes ou bourreaux, fous enfin d’être de
perpétuels exilés et errants, les personnages monénembiens sont
presque tous schizophrènes de quelque manière. Ils se lassent de
tout et de tous. Tout leur échappe, même ce qui se trouve en eux
comme dans leurs environnements immédiats.
Conclusion
La lecture de l’exil intérieur dans les textes de Tierno
Monénembo révèle des faits intéressants, voir. Elle montre que
dans la plupart des œuvres, que nous avons étudiées, l’exil n’est
pas exprimé par le franchissement des frontières
géographiques ou des lignes mitoyennes. Il est exprimé par le
dépassement psychique ou la transgression des limites
intérieures, c’est-à-dire de celles qui séparent les états d’âme
normaux des états d’âme pathologiques. Quoique moins
perceptible par rapport à « l’exil géographique » ou «exil
comme distance », cet exil est souvent le plus pénible. Il creuse
et plonge dans l’amertume, la mélancolie la plus douloureuse. Il
conduit, des fois, l’exilé aux abords du bannissement et de la
démence. Véritable drame psychologique, l’exil intérieur conduit
l’individu à prendre conscience de l’absurdité ou du non-sens de
sa vie, mais aussi de la vie.
Références bibliographiques
Corpus
Monénembo, T., 1979. Les Crapauds-brousse, Paris, Éditions du Seuil.
Monénembo, T, 1986, Les Écailles du ciel, Paris, Éditions du Seuil.
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Monénembo, T, 1993, Un Attiéké pour Elgass, Paris, Éditions du Seuil,.
Monénembo, T, 1995, Pelourinho, Paris, Éditions du Seuil.
Ouvrages critiques et théoriques
Auzas, N., 2004, Tierno Monénembo, une écriture de l’instable, Paris,
L’Harmattan.
Chevrier, J., 2002, Anthologie africaine : romans et nouvelles, Paris,
Hâtier.
Jaccard, R., 1975, L’Exil intérieur : schizoïde et civilisation, Paris, P.U.F.
Tourn, L., 1997, Travail de l’exil, deuil, déracinement, identité expatriée,
Paris, P.U.F.
mercredi 13 septembre 2023
SENS ET VERITE DE L'EXIL INTERIEUR ET EXTERIEUR Le 13-09-2023
Peinture : Angela WALKER
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