C’est une des petites dernières du mouvement Nuit debout : la commission banlieue. Elle est née le 10 avril, croit se souvenir Fahima Laidoudi, « à force d’en parler dans les AG ». Originaire d’un quartier populaire de Toulon, cette femme de ménage de 53 ans qui « lutte depuis trente ans » vit et milite aujourd’hui en Région parisienne. Depuis le début du mouvement, le 31 mars, elle prend la parole tous les soirs pour proposer la création d’un groupe de réflexion chargé de « faire en sorte que le mouvement passe le périph’» et de coordonner l’action de Nuit debout dans les banlieues.
A l’heure où le mouvement est taxé de « non-représentatif », « Parisien », « blanc » ou encore « bobo », les participants accueillent avec enthousiasme l’intervention de Fahima ce lundi soir. « On ne peut pas parler de convergence des luttes si les banlieues ne sont pas intégrées au mouvement », affirme-t-elle au micro de la tribune, saluée par les applaudissements et les sifflets d’approbation de l’assemblée. « Si les banlieues s’y mettent, alors là… », murmure un homme en tirant sur sa cigarette dans la foule.Car c’est aussi cela l’enjeu. Près de quinze jours après la première Nuit debout, on s’interroge sur la suite à donner au mouvement que l’on a peur de voir s’essouffler. « Et maintenant ? », est une préoccupation grandissante. La stratégie de la commission banlieue est claire : sortir de la place. « Se démultiplier dans les quartiers est le seul moyen de palier un éventuel essoufflement », estime Fahima. Pour elle, l’échec du mouvement des Indignés en France en 2011, auquel elle a participé, s’explique en partie par son incapacité à quitter la place de la Bastille, contrairement aux Indignés espagnols qui ont essaimé au-delà de la Puerta Del Sol à Madrid. Surtout, l’objectif n’est pas, selon elle, de ramener la banlieue place de la République mais d’amener la Nuit debout dans les banlieues.
Crainte de récupération
De l’autre côté du périphérique, à l’université Paris-XIII (Seine-Saint-Denis), l’association d’étudiants La Dream « attend de voir ». « Si la Nuit debout en banlieue est une exportation pure et simple du mouvement parisien, ça ne marchera pas. Il faut voir si l’objectif est réellement de créer une dynamique autre part », estime Rached Zehou, ancien vice-président de l’association. Il s’est rendu deux fois place de République et considère que le mouvement va dans le bon sens, comme tous les étudiants rencontrés ce mercredi dans cette université du nord de Paris, mais il se méfie de la récupération dont il pourrait faire l’objet. « Ça fait des années qu’en banlieue on nous dit que les choses vont changer grâce à tel ou tel mouvement, qui finit systématiquement par être récupéré à des fins politiques », souffle-t-il.Même son de cloche du côté de l’UNEF Paris-XIII : « Les étudiants qui nous approchent pour se renseigner sur la Nuit debout nous demandent principalement si le mouvement est une initiative citoyenne, ou appelé par une organisation, explique Maeva, secrétaire générale du syndicat qui se rend régulièrement place de la République. Quand on leur explique que c’est quelque chose qui vient des gens, ils s’y intéressent. »
La crainte de la récupération d’un mouvement qui se veut sans leader ni étiquette est partagée par beaucoup. Place de la République, on critique la visite des personnalités politiques ou les intervenants « trop politisés ». La venue de Mohamed Mechmache, fondateur de l’association AC le Feu et tête de liste EELV aux dernières élections régionales dans le 93, a notamment fait grincer des dents.
Invité à s’exprimer par les organisateurs qui estimaient que la voix des quartiers populaires n’était pas représentée, il rejette ces critiques : « En aucun cas on s’est autoproclamé leader de quoi que ce soit. On est venu dire que leurs luttes sont aussi les nôtres, même si les nôtres n’ont pas été les leurs par le passé », affirme-t-il. En 2005, lors des émeutes dans les banlieues, la révolte n’a jamais traversé le périphérique. Le manque de solidarité de Paris envers ses banlieues est toujours dans les mémoires.
Rétablir la confiance
Des rassemblements ont déjà gagné plusieurs autres villes de France. En banlieue, seule Montreuil a organisé sa « Banlieue debout », le week-end dernier, à l’initiative de lycéens. Vendredi 8 avril, après un démarrage timide, environ 200 personnes y ont participé. Le lendemain, un rassemblement improvisé, et sous la pluie, a convergé vers la place de la République faute de monde. Cette semaine, une Nuit debout est prévue à Saint-Denis et à Marne-la-Vallée mercredi, tandis que des réunions préparatoires se tiennent à Saint-Ouen et à Villetaneuse.A Paris-XIII, Maxime estime qu’un facteur supplémentaire est susceptible de limiter l’engagement des quartiers populaires : cet étudiant en première année de sciences politiques, qui se décrit comme « militant et sympathisant » de l’UNEF, craint que seuls les profils comme le sien ne se sentent concernés par le mouvement en banlieue. « J’ai reçu un mail m’informant de la Nuit debout à Saint-Ouen, il n’a été envoyé qu’à des gens avec qui je milite », déplore-t-il.
Ces difficultés, Fahima en est consciente. Pour elle, tout l’enjeu est de donner envie aux habitants des quartiers de prendre des initiatives. « Il faudra être patient, prévient-elle. La majorité des organisations du 31 mars ont conscience qu’il faut se tourner vers les quartiers populaires. On a la volonté, maintenant il faut se mettre au travail. »
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