Cisjordanie : Hausse du nombre d’enfants palestiniens tués par les forces israéliennes
Les autorités devraient mettre fin à l’impunité systématique en cas de recours illégal à la force létale
- L’armée israélienne et la police des frontières tuent des enfants palestiniens dans un contexte où l’obligation de rendre des comptes est quasi-inexistante.
- Les forces israéliennes devraient mettre fin à l’utilisation systématique et illégale de la force meurtrière contre les Palestiniens, y compris les enfants. Les alliés d’Israël devraient faire davantage pression sur ce pays pour qu’il soit mis fin à cette pratique.
- Dans son rapport annuel 2023 sur les violations graves commises à l’encontre des enfants dans les conflits armés, le Secrétaire général des Nations Unies devrait désigner les forces armées israéliennes comme responsables d’actes tuant ou blessant des enfants palestiniens.
(Jérusalem) – L’armée israélienne et les forces de la police des frontières tuent des enfants palestiniens dans un contexte où l’obligation de rendre des comptes est quasi-inexistante, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
L’année 2022 a été l’année la plus meurtrière pour les enfants palestiniens en Cisjordanie depuis 15 ans, et l’année 2023 est en passe d’atteindre ou de dépasser les niveaux de 2022. Au 22 août, les forces israéliennes avaient tué au moins 34 enfants palestiniens en Cisjordanie. Human Rights Watch a enquêté sur quatre cas de tirs mortels par les forces israéliennes, ayant entraîné la mort d’enfants palestiniens entre novembre 2022 et mars 2023.
« Les forces israéliennes abattent de plus en plus fréquemment des enfants palestiniens vivant sous l’occupation », a déclaré Bill Van Esveld, directeur adjoint de la division Droits des enfants à Human Rights Watch. « À moins que les alliés d’Israël, en particulier les États-Unis, ne fassent pression sur ce pays pour qu’il change de cap, des enfants palestiniens continueront d’être tués. »
Pour documenter les quatre meurtres, les chercheurs de Human Rights Watch ont mené des entretiens en personne avec sept témoins, neuf membres des familles de ces enfants, ainsi que d’autres habitants, des avocats, des médecins, des membres du personnel d’organisations palestiniennes et israéliennes de défense des droits humains, dont certains travaillant sur le terrain. Human Rights Watch a également examiné des images de vidéosurveillance et des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des déclarations des agences de sécurité israéliennes, des dossiers médicaux et des articles de presse.
Human Rights Watch a enquêté sur le cas de Mahmoud al-Sadi, 17 ans, tué par les forces israéliennes alors qu’il se rendait à l’école près du camp de réfugiés de Jénine le 21 novembre 2022. Sans évoquer spécifiquement ce meurtre, l’armée israélienne a déclaré que ses forces avaient mené plusieurs raids visant à des arrestations dans ce camp, raids au cours desquels elles ont échangé des tirs avec des combattants palestiniens. Cependant, d’après les déclarations des habitants, l’échange de tirs le plus proche a eu lieu dans l’une des maisons d’un combattant présumé, à environ 320 mètres de l’endroit où Mahmoud a été abattu.
Mahmoud se tenait au bord d’une route, attendant que cessent les bruits de tirs qu’il entendait au loin, et ne tenait aucune arme ni projectile, a déclaré un témoin. C’est ce qu’a aussi montré la vidéo d’une caméra de surveillance que Human Rights Watch a examinée. Après que les tirs distants ont pris fin et que les forces israéliennes se sont retirées, une balle tirée depuis un véhicule militaire israélien situé à 100 mètres environ a touché Mahmoud, selon le même témoin. Aucun combattant palestinien ne se trouvait alors dans cette zone, a précisé ce témoin. L’endroit où Mahmoud a été tué était situé non loin de la rue où les forces israéliennes ont tué la journaliste Shireen Abu Aqla le 11 mai 2022, à une distance d’un pâté de maisons.
Dans les autres cas examinés par Human Rights Watch, les forces de sécurité ont tué des garçons après qu’ils se soient joints à d’autres jeunes qui affrontaient les forces israéliennes avec des pierres, des cocktails Molotov ou des feux d’artifice. Alors que ces projectiles peuvent gravement blesser ou tuer, les forces israéliennes ont dans ces cas précis tiré à plusieurs reprises au niveau de la poitrine, touchant plusieurs enfants, et ont tué des enfants dans des situations où ces derniers ne semblaient pas représenter de menace de blessure grave ou de mort, ce qui est la règle en vertu des normes internationales en cas d’utilisation de la force létale par des agents chargés de l’application de la loi. Cela conférerait donc une nature illégale à ces tirs mortels.
Mohammed al-Sleem, 17 ans, a reçu une balle dans le dos alors qu’il fuyait devant des soldats israéliens après qu’un groupe d’amis avec lequel il était ont jeté des pierres, et apparemment aussi des cocktails Molotov, sur des véhicules militaires qui étaient entrés dans un village près de sa ville natale d’Azzoun, dans le nord de la Cisjordanie. Trois autres enfants ont été blessés par des tirs d’armes automatiques alors qu’ils s’enfuyaient.
Selon deux témoins, le 25 janvier 2023 vers 22 heures, un officier israélien a tiré dans le dos de Wadea Abou Ramouz, 17 ans, alors qu’il était avec un groupe de jeunes qui lançaient des pierres et des feux d’artifice sur des véhicules de la police des frontières à Jérusalem-Est. Un autre garçon du groupe a été blessé par balle. Les forces de sécurité ont enchaîné Wadea à son lit d’hôpital, ont frappé ses proches et les ont empêchés de lui rendre visite, ont gardé son corps des mois après sa mort et ont exigé de sa famille qu’elle l’enterre discrètement pendant la nuit.
Dans tous ces cas, les forces israéliennes ont tiré sur la partie supérieure du corps des enfants, sans sommation, et sans faire usage de mesures courantes moins létales, telles que les gaz lacrymogènes, les grenades à concussion ou les balles en caoutchouc, selon des témoins. Adam Ayyad, 15 ans, a été abattu par derrière dans le camp de réfugiés de Deheisheh le 3 janvier, alors qu’il se trouvait avec un groupe de garçons qui lançaient des pierres et au moins un cocktail Molotov sur les forces israéliennes. Le soldat a également tiré sur un garçon de 13 ans et l’a blessé, selon des témoins.
Le journal israélien Haaretz a indiqué en janvier que depuis « décembre 2021, les soldats sont autorisés à tirer sur les Palestiniens en fuite s’ils ont précédemment jeté des pierres ou des cocktails Molotov ». Le 7 août, Human Rights Watch a transmis à l’armée et à la police israéliennes des courriers comprenant des questions sur ces quatre affaires, et sur les règles d’engagement des forces israéliennes. Le Bureau du Procureur militaire s’est abstenu de répondre aux questions sur les meurtres à moins que Human Rights Watch ne fournisse une procuration pour chaque affaire, mais a ajouté qu'il répondrait ultérieurement au sujet des règles d'engagement. Une fois que l’armée aura fourni ces informations, Human Rights Watch rajoutera à ce communiqué un lien vers cette réponse, le cas échéant. Quant à la police, les règles d’engagement autorisent l’utilisation d’armes à feu contre des personnes qui lancent des pierres, des cocktails Molotov ou des feux d’artifice uniquement s’il existe un « risque imminent pour la vie ou l’intégrité corporelle ». La police a également déclaré qu’elle ne pouvait pas fournir d’informations sur l’affaire de Wadea Abou Ramouz, celle-ci faisant l’objet d’une enquête.
Depuis des décennies, les autorités israéliennes font un usage excessif de la force à l’encontre des Palestiniens dans le cadre du maintien de l’ordre. Elles ont régulièrement omis de demander des comptes à leurs forces lorsque celles-ci tuaient des Palestiniens, notamment des enfants, dans des circonstances où le recours à la force meurtrière n’était pas justifié au regard des normes internationales. De 2017 à 2021, moins de 1 % des plaintes pour violations commises par les forces militaires israéliennes à l’encontre de Palestiniens, notamment au sujet de meurtres et d’autres abus, ont abouti à des mises en accusation, a indiqué le groupe israélien de défense des droits Yesh Din.
Les forces israéliennes ont tué au moins 614 Palestiniens répertoriés comme civils par l’ONU dans la bande de Gaza et en Cisjordanie au cours de cette période. Mais seuls trois soldats ont été condamnés pour avoir tué des Palestiniens, selon Yesh Din, et n’ont été condamnés qu’à de courtes peines de service militaire d’intérêt général. Le groupe israélien de défense des droits B’Tselem, qui a pendant des décennies déposé des plaintes documentées sur des meurtres auprès de l’armée israélienne, a qualifié le système israélien d’application de la loi de « mécanisme de blanchiment » (« whitewash mechanism »). En 2021, sur les 4 401 plaintes déposées auprès du Département des enquêtes internes de la police, dont des plaintes déposées par des citoyens israéliens, seules 1,2 % d’entre elles ont abouti à des inculpations, selon le Bureau du Contrôleur de l’État.
Ces meurtres ont eu lieu dans un contexte où les autorités israéliennes commettent les crimes contre l’humanité que sont l’apartheid et la persécution des Palestiniens, notamment des enfants, comme l’ont signalé Human Rights Watch et d’autres groupes de défense des droits humains. En 2021, Fatou Bensouda, alors Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a ouvert une enquête officielle sur les crimes graves commis en Palestine.
Le Secrétaire général de l’ONU est mandaté par le Conseil de sécurité pour dresser chaque année la liste des forces militaires et des groupes armés responsables de violations graves à l’encontre des enfants dans les conflits armés. Entre 2015 et 2022, l’ONU a attribué aux forces israéliennes la responsabilité dans des incidents où plus de 8 700 victimes étaient des enfants ; malgré cela, Israël n’a jamais été mentionné dans cette liste du Secrétaire général. Les rapports ont énuméré à plusieurs reprises d’autres forces qui ont tué et blessé beaucoup moins d’enfants que les forces israéliennes.
Le caractère stigmatisant de la « liste de la honte » du Secrétaire général est considérable, et pour pouvoir être retirées de cette liste, les parties citées doivent élaborer et mettre en œuvre un plan d’action pour des réformes visant à mettre fin aux abus. L’ONU a manqué une occasion de protéger les enfants en omettant de mentionner Israël, a déclaré Human Rights Watch. Le Secrétaire général devrait utiliser des critères objectifs pour établir sa liste pour 2023.
« Les enfants palestiniens vivent dans un contexte réel d’apartheid et de violence structurelle, où ils risquent à tout moment d’être abattus, sans aucune perspective sérieuse d’obligation de rendre des comptes », a déclaré Bill Van Esveld. « Face à cette sombre réalité, les alliés d’Israël devraient exercer une véritable pression pour que les responsables de ces abus aient à rendent des comptes. »
Informations complémentaires sur les quatre affaires examinées par Human Rights Watch
Mahmoud al-Sadi, camp de réfugiés de Jénine
Les forces israéliennes ont tué Mahmoud al-Sadi, 17 ans, alors qu’il se rendait à l’école à Wadi Burqin, près du camp de réfugiés de Jénine, vers 9h30 le 21 novembre 2022. L’armée israélienne n’a pas évoqué ni annoncé son intention d’enquêter sur le meurtre de Mahmoud, mais a déclaré que ses forces menaient des raids visant à des arrestations et avaient échangé des tirs avec des combattants palestiniens. Aucune information n’a été communiquée faisant état de blessés parmi les soldats israéliens.
Des échanges de tirs ont eu lieu lorsque les forces israéliennes ont encerclé les maisons familiales de deux combattants présumés. La maison la plus proche se trouvait à environ 320 mètres de l’endroit où Mahmoud a été abattu. Des habitants ont identifié le bâtiment pour Human Rights Watch, et plusieurs vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent que des combats ont eu lieu dans le même bâtiment.
Mahmoud avait déposé ses sœurs, âgées de 8 et 10 ans, à leur école primaire et se rendait à pied à son école secondaire avec d’autres élèves, lorsque « tout à coup, il y a eu des tirs au loin, nous ne savions pas où, et les gens ont dit que l’armée [israélienne] était là », a déclaré un camarade de classe qui marchait avec Mahmoud. Mahmoud s’est mis à l’abri sur le bas-côté d’une rue. La vidéo d’une caméra de surveillance que Human Rights Watch a visionnée, le montre portant son sac à dos d’écolier, debout, seul, ne tenant aucune arme ou pierre, juste avant de faire un pas dans la rue et d’être abattu, ont déclaré son père et un camarade de classe.
Les tirs au loin avaient cessé et les soldats étaient en train de se retirer quand le camarade de classe de Mahmoud a dit avoir entendu un coup de feu. Mahmoud a fait un pas vers lui, a dit qu’il avait été touché et s’est effondré. Le témoin et d’autres garçons ont vu un véhicule militaire israélien qui stationnait à environ 100 mètres dans la rue avant de s’éloigner. Human Rights Watch s’est rendu sur place et a pu constater que si le tireur s’était trouvé dans ce véhicule, il aurait eu une vue dégagée sur Mahmoud. Le rapport médical de Mahmoud, issu par l’hôpital Ibn Sina de Jénine et datant de 9h50 fait état d’une blessure par balle et d’un choc hémorragique.
Selon ce camarade de classe et les informations publiées dans les médias et transmises par plusieurs groupes de défense des droits, aucun Palestinien armé ni aucun autre élément des forces israéliennes ne se trouvait dans la zone à ce moment-là, ce qui fait craindre que les forces israéliennes n’aient délibérément pris Mahmoud pour cible, même s’il n’était pas armé et ne se livrait pas à des activités violentes. L’utilisation intentionnelle ou inconsidérée de la force meurtrière contre une personne qui ne représente pas une menace imminente pour la vie des forces de sécurité d’une puissance occupante effectuant des opérations de maintien de l’ordre serait constitutif d’un acte illégal. Le « meurtre intentionnel » de personnes appartenant à la population d’un territoire occupé est un crime de guerre.
Après le meurtre, l’armée israélienne a annulé le permis d’entrée du père de Mahmoud en Israël, où il travaillait. Il a fallu trois mois et 8 000 NIS (2 200 dollars des États-Unis) de frais d’avocat pour obtenir un nouveau permis, a déclaré le père de Mahmoud à Human Rights Watch. L’armée israélienne considère les proches des victimes comme des « justiciers potentiels » et annule automatiquement leurs permis de travail par mesure de sécurité, leur portant préjudice en appliquant une politique systématique qui ne prévoit pas d’apprécier de manière significative les situations individuelles.
Wadea Abou Ramouz, Jérusalem-Est
Vers 22 heures le 25 janvier 2023, un officier israélien a tiré dans le dos de Wadea Abou Ramouz, 17 ans, alors qu’il était avec un groupe de jeunes qui lançaient des pierres et des feux d’artifice sur des véhicules de la police des frontières dans la rue principale du quartier Ein el-Lowzeh de Silwan, un quartier de Jérusalem-Est occupée, selon deux témoins. Human Rights Watch s’est rendu à l’endroit où les jeunes s’étaient rassemblés, sur une colline à environ 30 mètres de là, où les véhicules de la police des frontières passaient en contrebas dans la principale rue du quartier.
Les témoins n’ont pas vu si Wadea avait lancé des feux d’artifice ou des pierres. L’officier qui a tiré sur Wadea était positionné plus haut derrière eux, à flanc de colline selon un témoin. Un deuxième enfant a également été blessé par balle et est sorti de l’hôpital. Sa famille a refusé de parler à Human Rights Watch.
Des médecins israéliens ont prodigué les premiers soins et ont emmené Wadea à l’hôpital Shaarei Tzedek à Jérusalem-Ouest. Des proches de Wadea ont déclaré à Human Rights Watch qu’aucune autorité du côté israélien n’avait informé sa famille de l’endroit où il avait été emmené. La famille a appelé les Services d’urgence israéliens, la police, et a visité deux hôpitaux avant de se rendre à Shaarei Tzedek, où des membres du personnel hospitalier palestinien ont officieusement indiqué à la famille qu’un « cas critique », qu’ils soupçonnaient être Wadea, avait été admis à l’hôpital.
La famille, empêchée d’entrer par la police, « est restée sur le parking toute la nuit », a déclaré un proche. À 4 h 30, « pour nous rendre service, [un membre du personnel de l’hôpital] a apporté en cachette un vêtement [de Wadea] à la porte d’entrée, pour nous permettre de confirmer qu’il s’agissait bien de lui ».
La police israélienne de l’hôpital a refusé aux parents de Wadea l’autorisation de le voir, au motif qu’il s’agissait d’un « détenu soupçonné d’activités criminelles », jusqu’à ce que des avocats obtiennent une ordonnance du tribunal autorisant la visite de la famille le lendemain après-midi. La police avait attaché Wadea à son lit d’hôpital, pieds et poings liés, bien que son père et son avocat aient déclaré qu’il était inconscient et branché à de nombreux appareils médicaux.
Le 27 janvier, d’autres membres de la famille attendaient pour lui rendre visite sur le parking de l’hôpital, lorsque la police leur a donné l’ordre de partir, a plaqué un homme au sol et l’a roué de coups avant de repousser le groupe à l’extérieur du parking, selon des membres de la famille.
Vers 21h30, des journalistes palestiniens ont appelé l’avocat de Wadea pour l’interroger sur les rumeurs qui circulaient sur son décès. Un responsable de la sécurité de l’hôpital a demandé à l’avocat d’attendre dehors. Selon cet avocat, il est revenu à 0h10 avec le certificat de décès de Wadea.
Le lendemain matin, à 8 heures, la police des frontières a, selon un proche, fait une descente dans la cour de la maison familiale, a démoli la tente destinée à recueillir les condoléances, a confisqué plusieurs drapeaux palestiniens et des affiches qui représentaient Wadea, et a cassé des chaises en plastique. La police des frontières est revenue à plusieurs reprises les jours suivants et a dispersé par la force les habitants du quartier qui « continuaient à venir chez nous, spontanément ... dans l’attente et dans l’espoir que le corps nous soit rendu. Il y a eu des affrontements et des tirs de gaz lacrymogènes ».
Les autorités israéliennes ont emmené le corps de Wadea pour l’autopsier. L’Agence israélienne de sécurité (connue sous le nom de Shabak ou Shin Bet), à qui la loi israélienne confère l’autorité sur la restitution des corps des Palestiniens tués par les forces israéliennes dans ce qu’elles considèrent comme des incidents de sécurité, a ensuite refusé de rendre le corps du garçon à sa famille. Les autorités israéliennes détiennent actuellement dans des morgues les corps d’au moins 115 Palestiniens, dont 15 enfants tués dans ce qu’elles appellent des opérations de sécurité. Les avocats de la famille ont fait appel auprès de la Cour suprême, qui a fait droit à leur demande le 4 mai, sans toutefois préciser de date.
Le 30 mai à 22 heures, la famille a reçu le corps de Wadea des mains de la police israélienne, près de l’entrée d’un cimetière, après avoir payé une caution de 10 000 NIS (environ 2 725 dollars des États-Unis) dont le montant ne serait remboursé qu’à condition que la famille procède immédiatement à l’enterrement, qu’elle n’accepte pas plus de 25 personnes pour pleurer la victime, qu’aucune photo ne soit prise de cet événement, et que personne ne chante ni ne brandisse de drapeaux palestiniens, a déclaré l’avocat qui était présent à cet enterrement. Pendant l’enterrement, la police a vérifié les documents d’identité des personnes qui ont assisté à l’enterrement et les a conservés, tout comme les téléphones portables de ces personnes.
Les avocats ont également demandé au Département des enquêtes internes de la police, qui fait partie du Bureau du Procureur général d’Israël (« Machash »), d’enquêter sur la mort par balle de Wadea, mais n’avaient toujours pas reçu de réponse à leur plainte à la mi-août.
Le père de Wadea a été licencié de son emploi dans une institution juive orthodoxe de Jérusalem quand la direction a appris que son fils avait été blessé par balle. Selon des habitants et le Centre d’information Wadi Hilweh, une organisation locale qui documente les violations des droits humains, la police des frontières est également venue chercher la directrice de l’école de Wadea, Shatha Mahmoud, pour l’interroger au sujet d’une publication sur Facebook dans laquelle elle critiquait le meurtre de son fils.
Mohammed al-Sleem, Azzoun
Le soir du 2 mars, Mohammed al-Sleem, 17 ans, et un groupe de cinq amis avec lesquels il avait grandi, marchaient de la ville d’Azzoun vers le village voisin d’Izbat al-Tabib, où un parent possédait une maison où le groupe « traînait » souvent, selon l’un des garçons. Azzoun est proche de la route 55 reliant entre elles les grandes colonies israéliennes d’Alfei Menashe et de Karnei Shomron.
Human Rights Watch a parlé à deux amis de Mohammed, âgés de 16 et 17 ans, qui étaient avec lui à ce moment-là, et à trois de ses proches. Selon eux, les garçons ont, vers 19h40, vu un camion israélien bleu foncé avec des plaques d’immatriculation militaires sur la route qui traverse le village. Selon les médias locaux, qui s’appuient sur des récits de plusieurs habitants, les jeunes ont jeté des pierres ou des cocktails Molotov sur le véhicule qui se trouvait à une trentaine de mètres. Les garçons ont déclaré que les fenêtres du véhicule militaire étaient recouvertes d’une grille métallique de protection, susceptible de réduire considérablement le risque de blessures graves ou mortelles. Un deuxième véhicule militaire est arrivé à côté du premier, et les garçons se sont mis à courir dans plusieurs directions quand quatre soldats sont sortis du véhicule et ont tiré sur eux avec des fusils d’assaut. Les deux témoins ont déclaré avoir entendu entre deux et cinq coups de feu isolés, suivis de tirs d’armes automatiques.
Mohammed a pris la fuite dans une rue secondaire, en passant devant une école élémentaire située à 80 mètres environ de la route du village et en traversant des parcelles de terrain plantées d’oliviers, toujours selon ses amis. Son ami, âgé de 16 ans, s’est souvenu : « Nous nous sommes mis à courir et Mohamed m’a dit : "Je suis touché", et j’ai dit : "Cours ! Cours !" et j’ai été touché à mon tour. J’ai couru environ 100 mètres et puis je n’ai pas pu continuer ». Une balle a transpercé l’arrière de l’épaule gauche de l’ami de Mohammed et est ressortie par sa poitrine. Il s’est effondré, mais a pu appeler à l’aide des membres de sa famille qui vivent dans la région. Il a déclaré qu’il ne pouvait plus lever le bras gauche, ni respirer profondément à cause de ses blessures.
Mohammed a reçu une balle dans le dos qui s’est logée dans son poumon droit. Il a couru environ 200 mètres, puis s’est effondré dans un champ. Des habitants l’on localisé 30 minutes plus tard, inconscient, et l’ont emmené à l’hôpital d’Azzoun dans un véhicule privé. Il a été transféré en ambulance dans un hôpital de la ville palestinienne de Qalqilya et a été déclaré mort à son arrivée.
Un troisième garçon âgé de 17 ans a reçu une balle dans le biceps et un quatrième, âgé de 16 ans, a été blessé superficiellement par une balle qui l’a effleuré dans le bas du dos. Des chercheurs ont dénombré 10 impacts de balles apparents sur le mur de la cour de l’école, et d’autres sur les oliviers, ce qui correspond aux descriptions des témoins et indique que les soldats israéliens ont tiré un nombre important de balles de fusil d’assaut à haute vélocité sur des enfants en fuite, à un moment où ils ne représentaient aucune menace pour leur vie, ni pour les blessures qu’ils auraient pu causer.
L’armée a rendu compte de l’incident et a déclaré que « des impacts [de suspects palestiniens] ont été identifiés », mais n’a fait état d’aucun blessé parmi les soldats.
Les forces israéliennes effectuent régulièrement des raids à Azzoun selon les habitants. Ils considèrent que ces raids ont un caractère disproportionné et qu’il s’agit d’une mesure de dissuasion collective contre les jets de pierres sur les véhicules israéliens qui circulent sur la route 55 en direction et en provenance des colonies, qui rappelle les avertissements répétés d’officiers israéliens dans la région contre les jets de pierres sur cette route. Le 8 avril, un soldat qui se trouvait à bord d’un véhicule militaire a tiré sur Ayed Sleem, 20 ans, dans la poitrine, et l’a tué alors qu’il n’était pas armé et qu’il ne lançait pas de projectiles à ce moment-là, selon des informations de la presse israélienne.
Adam Ayyad, camp de réfugiés de Deheisheh
Un important contingent de l’armée israélienne se retirait suite à un raid contre le camp de réfugiés de Deheisheh, près de Bethléem, vers 5h ou 5h30 le 3 janvier, lorsque Adam Ayyad, 15 ans, s’est joint à un groupe de jeunes qui ont jeté des pierres sur les forces israéliennes dans une rue en contrebas, selon trois garçons qui se trouvaient à cet endroit à ce moment-là. Après qu’un autre garçon ait lancé un cocktail Molotov, un soldat israélien qui se trouvait dans un bâtiment surplombant la rue où se trouvaient les garçons a tiré à plusieurs reprises sur le groupe, ont déclaré deux des garçons.
L’armée israélienne a déclaré dans les médias de manière générale que des agents de la police des frontières avaient tiré sur des suspects pendant le raid à grande échelle contre le camp, en réponse à des cocktails Molotov, des engins explosifs et des pierres qui leur étaient lancés, mais n’a pas abordé le meurtre d’Adam en particulier.
Les témoins ont déclaré qu’une balle avait traversé la fenêtre d’une voiture en stationnement et blessé un enfant de 13 ans. Le soldat a tiré à nouveau à plusieurs reprises et a touché Adam. Un médecin de la Société palestinienne de secours médical (Palestinian Medical Relief Society) qui vit dans la région a déclaré que les tirs répétés des forces israéliennes l’avaient retardé alors qu’il tentait de venir au secours des garçons blessés pour arrêter leur hémorragie.
Human Rights Watch n’a pas pu déterminer si Adam tenait un projectile à ce moment-là. Cependant, les trois garçons ont déclaré que les membres du groupe ont commencé à prendre la fuite dès qu’ils ont entendu le premier coup de feu. Plusieurs informations publiées dans la presse ont cité une première déclaration du ministère palestinien de la Santé, selon laquelle Adam avait reçu une balle dans la poitrine, mais les médecins de l’hôpital où Adam a été emmené et déclaré mort ont déclaré à Human Rights Watch que ses blessures indiquaient que la balle l’avait touché dans le côté droit en haut du dos et avait causé une large blessure sur le devant de sa poitrine, ce qui indiquerait qu’il s’était détourné des soldats israéliens et du tireur. Défense des enfants International Palestine a également indiqué qu’Adam avait été touché dans le dos.
D’après les déclarations de plusieurs témoins, les forces israéliennes se retiraient à environ 45 mètres de là, dans la rue en contrebas, et auraient pu être touchées par des projectiles lancés depuis la position plus élevée des jeunes. Le tireur se trouvait apparemment dans une pièce située au dernier étage encore en construction d’un immeuble de plusieurs étages, à 73 mètres de là, où les garçons ont trouvé par la suite des douilles de balles. Ces déclarations correspondent aux observations des chercheurs de Human Rights Watch concernant les impacts de balles à cet endroit.
Le tireur était apparemment en position avant que les garçons ne commencent à lancer des projectiles, mais les forces israéliennes n’ont pas émis d’avertissement, n’ont pas utilisé d’armes moins meurtrières et n’ont pas tiré sur les extrémités des corps des garçons avant que le tireur ne tire à balles réelles à plusieurs reprises sur le groupe, balles qui les ont atteint au niveau de la poitrine, selon ces témoins.
L’incident soulève la question de savoir si le tireur a pris pour cible les membres du groupe qui représentaient une menace imminente pour leur vie ou des blessures graves, et si, dans l’affirmative, les tirs se sont poursuivis au-delà de ce qui pouvait être jugé nécessaire. L’armée n’a fait état d’aucun blessé au sein de ses forces au cours de ce raid.
Adam, un enfant unique, avait cessé d’aller à l’école et avait trouvé un emploi dans une boulangerie. Il y travaillait tous les jours de 9 heures à 23 heures, selon un collègue, pour aider sa mère divorcée qui l’élevait seule. Les forces israéliennes avaient tué un ami à lui, Omar Manah, 23 ans, qui travaillait dans une autre boulangerie qui se trouvait à proximité, lors d’un raid le 5 décembre, a indiqué un proche. Adam portait sur lui une déclaration manuscrite destinée à être lue s’il était tué, qui disait notamment : « J’avais beaucoup de rêves que je souhaitais voir se réaliser, mais nous vivons dans une réalité qui rend ces rêves impossibles ». Sa mère a déclaré qu’elle préparait encore parfois des repas pour eux deux, en particulier ses plats préférés.
Droit international sur le recours à la force et procédures d’enquête israéliennes
Les normes internationales en matière de droits humains interdisent aux responsables de l’application des lois de recourir « intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu », sauf lorsque cela est « absolument inévitable pour protéger la vie ». Les jets de pierres, de cocktails Molotov et de feux d’artifice explosifs peuvent constituer un risque pour la vie, selon les circonstances. Toutefois, des moyens non violents et des avertissements devraient être utilisés de manière prioritaire lorsque cela est possible, et la force ne doit être utilisée « que si les autres moyens visant à répondre à une menace réelle restent sans effet ou ne permettent pas d’escompter le résultat désiré ». Le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois stipule que « tout devrait être entrepris pour exclure l’emploi d’armes à feu, spécialement contre des enfants ».
Les Palestiniens de Cisjordanie sont protégés par les Conventions de Genève. Le meurtre délibéré de personnes protégées par la puissance occupante en dehors de ce qui est permis par les normes des droits humains constituerait une grave violation des lois de l’occupation.
En vertu du droit international des droits humains, les gouvernements « doivent veiller à ce que toute personne dispose également de voies de recours accessibles et utiles pour faire valoir ces droits », y compris leur droit à la vie.
L’armée israélienne n’ouvre pas automatiquement d’enquête criminelle dans les situations où des soldats utilisent la force meurtrière contre des Palestiniens en Cisjordanie, même si une plainte est déposée. Human Rights Watch a constaté que des enquêtes sont plus susceptibles d’être ouvertes dans les situations où les médias internationaux font largement état du meurtre qui a été commis. La police militaire des forces armées mène des enquêtes et, qu’une enquête soit ouverte ou non, l’impunité reste la norme.
Recommandations
- L’armée israélienne et la police des frontières devraient mettre fin à l’utilisation illégale de la force meurtrière contre les Palestiniens, y compris les enfants. Le gouvernement israélien devrait, publiquement ou de manière privée, émettre des directives claires à l’intention de toutes les forces de sécurité, pour interdire l’utilisation intentionnelle de la force meurtrière, sauf dans les situations où elle est nécessaire pour prévenir une menace imminente pour la vie.
- Dans son rapport annuel sur les violations graves commises à l’encontre des enfants dans les conflits armés pour 2023, le Secrétaire général des Nations Unies devrait désigner les forces armées israéliennes comme responsables du meurtre et de la mutilation d’enfants palestiniens.
- Le Procureur de la Cour pénale internationale devrait accélérer la mise en œuvre de l’enquête de son bureau sur la Palestine, notamment en ce qui concerne les violations graves commises à l’encontre des enfants.
- Les gouvernements étrangers, comme les États-Unis qui se sont engagés à verser 3,8 milliards de dollars d’aide militaire à Israël en 2023, devraient conditionner leur aide à la mise en œuvre par Israël de mesures concrètes et vérifiables pour mettre fin à ses graves abus, notamment les crimes contre l’humanité que sont l’apartheid et la persécution, et à l’utilisation régulière de la force létale contre les Palestiniens, y compris les enfants, en violation des normes internationales, et à l’ouverture d’enquêtes sur les abus déjà commis. Elle devrait suspendre son aide tant que ces graves abus persistent.
- Les membres de la Chambre des Représentants des États-Unis devraient soutenir le Projet de loi sur la défense des droits humains des enfants et des familles palestiniens vivant sous occupation israélienne (H.R. 2590), qui interdirait que les financements américains accordés à Israël soient utilisés illégalement pour la détention militaire et les mauvais traitements infligés aux enfants palestiniens, la destruction de biens palestiniens ou l’expropriation de terres pour l’implantation de colonies de peuplemen
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