dimanche 20 août 2023

UN SYMPTÔME QUI DOIT AUJOURD'HUI ÊTRE DEGAGEE D'UNE MALADIE ACTUELLE DE NOTRE CITE POLITIQUE !

 

UNE INVITATION A VOIR COMMENT NOTRE HISTOIRE ET SES SOURCES MULTIPLES FUT CASSÉE POUR SERVIR DE PIRES INTERETS EN FAIT BOUTIQUIERS : POUR QUE L'ON SACHE CELA ET QU'ON VOIT BIEN POURQUOI IL EST NECESSAIRE DE DÉLIER NOS PENSEES DU PIRE QUI REMONTE, DONC QU'ON SE RELEVE, QU'ON SE DÉFENDE ET DÉFENDE NON LA PAIX SOCIALE MAIS LA PAIX VIVE ENTRE NOUS ET SOLIDAIRE AVEC LES PEUPLES AGRESSES PAR L'IMPERIALISME (EN RIVAUX PARTOUT Y COMPRIS LE NÔTRE)
Maurice Papon une carrière française
Par Laurent Greilsamer (journal "Le Monde")
Publié le 19 septembre 2002 à 16h20, modifié le 18 février 2007 à 17h02
"Je suis né le 3 septembre 1910 à Gretz-Armainvilliers (Seine-et-Marne)." Ainsi commence le curriculum vitae de Maurice Papon, qui laisse entrevoir une enfance provinciale. Une enfance lisse de fils de notable, entre un père qui dirige la Société française des verreries champenoises et une mère qui se consacre à son éducation.
Rien ne semble distinguer cette jeunesse studieuse sinon que Maurice Papon grandit dans un milieu républicain. Il a neuf ans lorsque son père brigue la mairie de Gretz et l'obtient. Ce mandat sera reconduit jusqu'en 1937 et surtout complété par celui de conseiller général du canton de Tournan-en-Brie, et même de président du conseil en 1937.
On affiche, dans cette famille, des idées de centre-gauche. Les bonnes relations entretenues avec deux élus symbolisent bien ce positionnement politique. Le premier, Jacques-Louis Dumesnil, est conseiller général radical-socialiste de Seine-et-Marne et franc-maçon. Le second, François de Tessan, représente le département sous l'étiquette du Parti républicain-radical et radical-socialiste à l'Assemblée nationale. Tous deux seront bientôt ministres et mentors de Maurice Papon.
Mais ce dernier rejoint d'abord Paris où il étudie au lycée Louis-le-Grand. Elève doué, il se distingue dans les matières littéraires. Après l'année du baccalauréat, il choisit de faire son droit et Sciences po, sans compter une licence de lettres. Sa curiosité le pousse aussi à suivre des cours de psychologie et de sociologie, ce qui n'est pas si courant dans les années 30. Surtout, il brûle d'impatience. A peine majeur, il entre dans la vie active tout en continuant ses études. Jacques-Louis Dumesnil, devenu ministre de l'air, lui offre de faire partie de son entourage. Le voilà à la lisière du monde administratif et politique, dans l'univers des cabinets ministériels.
Insensiblement, Maurice Papon opte en faveur d'une carrière de fonctionnaire. Il franchit le pas, en 1935, en passant un concours qui lui permet d'être rédacteur au ministère de l'intérieur. Dès lors, il occupe une multitude de postes.
Place Beauvau, il travaille notamment sous l'autorité directe de Maurice Sabatier, haut fonctionnaire qu'il retrouvera par la suite. En 1936, alors que le Front populaire l'emporte, il rejoint François de Tessan, nommé sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil. Cet ami de son père lui confie la charge des relations avec le Sénat. Un an plus tard, Maurice Papon suit son ministre au secrétariat d'Etat aux affaires étrangères.
Un engagement affiché ne lui fait pas peur. Il milite ainsi à la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste. Il confirme cette inclination en s'inscrivant aux jeunesses radicales-socialistes. Il a vingt-neuf ans, des appuis politiques et un bel avenir quand survient une guerre annoncée : l'Autriche annexée en 1938, la Tchécoslovaquie occupée en 1939, la Pologne envahie...
Le sous-lieutenant Papon est mobilisé le 26 août 1939, affecté au 2e régiment d'infanterie coloniale, et expédié à Tripoli, en Grande Syrie. Bientôt propulsé dans les services spéciaux du Levant, il est nommé chef de poste à Ras-el-Aïn. Pour lui, la drôle de guerre a un arrière-goût d'exotisme et la défaite de juin 1940 sonne comme un coup de gong. Un ordre a chassé l'autre. Dès octobre 1940, le voilà démobilisé à Clermont-Ferrand.
Il reprend contact avec une France éclatée : zone interdite, zone annexée, zone occupée, zone dite libre. Faut-il rester ou partir ? Il opte pour Vichy. Jacques-Louis Dumesnil, devenu sénateur, et François de Tessan, député, ses premiers parrains en politique, ont tous les deux voté les pleins pouvoirs en faveur du maréchal Pétain le 10 juillet. N'est-ce pas la bonne voie ? Celle de la continuité, du moindre coût ? En cette fin d'année 1940, Maurice Papon glisse doucement du radical-socialisme à la Révolution nationale, sur fond de poignée de main entre Pétain et Hitler à Montoire.
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Lorsqu'il se rend à Vichy en novembre et qu'il y croise Maurice Sabatier, son ancien supérieur hiérarchique, il accepte aussitôt de le rejoindre au ministère de l'intérieur. Sabatier est alors secrétaire général pour l'administration. De toute l'Occupation, ils ne se quitteront plus. "Sans doute a-t-il trouvé en moi les qualités qu'il souhaitait en dehors des défauts que je tairai et des sentiments de confiance nous unissaient jusqu'à d'ailleurs un certain degré d'affectivité peu commune dans la froide administration", a-t-il une fois expliqué.
Son poste de directeur de cabinet n'est pas directement politique. Il s'agit essentiellement de réorganiser une administration bousculée par la défaite. Mais, dès février 1941, sa promotion au poste de sous-préfet change la donne au moment où plusieurs épurations de grande ampleur ont déjà eu lieu. La neutralité devient un voeu pieux : à la fin du printemps 1941, quatre-vingt-quatorze fonctionnaires ont été révoqués, cent quatre mis à la retraite, soixante-dix-neuf mutés.
Lui traverse avec aisance les luttes de clans, et le retour au pouvoir de Pierre Laval, le 18 avril 1942, le favorise. L'ancien président du Conseil a des vues personnelles sur le ministère de l'intérieur et plus précisément sur les forces de l'ordre. L'une de ses premières décisions consiste à promouvoir René Bousquet secrétaire général à la police. Dans la foulée, plusieurs nouveaux préfets régionaux sont nommés. Leurs missions sont décisives : organiser une répartition plus équitable du maigre ravitaillement et assurer une coordination efficace des services de répression.
Maurice Sabatier se voit proposer l'Aquitaine, l'une des préfectures régionales de la zone occupée. Il accepte et demande à Maurice Papon de le suivre. Celui-ci hésite puis répond présent. "J'ai été déterminé à accepter le poste de secrétaire général de la Gironde parce que ma situation à Vichy devenait délicate, voire menacée, en raison de mon franc-parler et sans doute de certaines imprudences verbales : critiques du gouvernement de Vichy et soupçons d'avoir des sentiments gaullistes", a-t-il eu l'occasion d'expliquer.
L'autoportrait laisse rêveur. Maurice Sabatier aurait-il pris le risque de prendre pour bras droit un jeune homme enflammé et hostile à la politique de collaboration ? Les archives témoignent au contraire de sa fidélité au régime. En avril 1943, un rapport confidentiel de l'occupant indique : "Selon ses propos, tenus lors de conversations officielles ou personnelles, il se qualifie de collaborateur." En juin, un autre rapport précise : "De l'extérieur, complaisant pour les autorités allemandes."
Un document en date de juillet 1943 développe l'analyse : "C'est un bon négociateur. Sa manière d'agir est correcte et aimablement courtoise. Pour les affaires délicates, il est souvent très évasif et se retranche derrière son chef Sabatier. Il coopère correctement avec la Kommandantur. Il est prompt et sûr." Il faudra attendre la fin 1943 pour le voir déclaré "pro-américain".
BORDEAUX. 1942.
Bordeaux à l'heure allemande. Dès le début de l'été, Maurice Papon inaugure cet exercice délicat : obéir à Vichy sous l'oeil des SS. Il assiste le préfet dans la réalisation de toutes ses missions. En outre, il supervise directement des secteurs stratégiques comme le service des carburants, le service de la circulation, le service des réquisitions allemandes, le service de l'Occupation et le service des questions juives.
On ne sait combien d'heures il accorde chaque jour à cette dernière besogne. Rien ne laisse apparaître chez lui un antisémitisme d'humeur ou militant. Mais la responsabilité du service des questions juives, une petite dizaine de fonctionnaires dirigés par Pierre Garat, l'oblige à assumer et à faire appliquer la législation antijuive adoptée depuis l'automne 1940. "Le bureau des questions juives, a-t-il précisé durant l'instruction, traitait essentiellement de deux questions, d'une part, la détermination du statut des juifs (identité, filiation, baptême, etc.) et, d'autre part, l'aryanisation des biens juifs (mise sous séquestre, nomination d'un administrateur provisoire, détermination de l'identité des sociétés, etc. )."
L'organisation de la spoliation des biens juifs mobilise à elle seule plusieurs personnes pour accaparer les appartements, les commerces, les bijoux et liquidités de tous les juifs résidant dans le département de la Gironde et au-delà. Dès juillet 1942, Maurice Papon dresse un premier bilan de l'action conduite : deux cent quatre entreprises ont été "déjudaïsées", soixante-quatre terrains vendus aux enchères et quatre cent quatre-vingt-treize "en cours de déjudaïsation". La quantité d'arrêtés préfectoraux, préparés par Pierre Garat et signés Maurice Papon, est considérable. Cette politique d'expropriation systématique n'est pourtant rien comparée aux arrestations des personnes et à leur déportation.
Le retour de Pierre Laval au pouvoir a accéléré la collaboration franco-allemande. Début juillet 1942, René Bousquet, son bras droit au ministère de l'intérieur, commence à négocier avec les chefs SS. L'accord auquel il parvient avec Karl Oberg prévoit que les forces de police française se chargeront de l'arrestation d'un nombre "satisfaisant" de juifs étrangers. Paris et les préfectures de région devront ainsi livrer régulièrement des contingents d'hommes, de femmes, d'enfants.
A Bordeaux, Maurice Papon veille à l'exécution des ordres. Dès le mois de juin 1942, il signe des documents ordonnant des arrestations. Le premier remonte, selon les archives disponibles, au 27 juin et vise deux étudiants en médecine et deux médecins. "Je charge, écrit-il, M. le commandant de gendarmerie de procéder à l'arrestation de ces juifs et à leur transfèrement au camp de Mérignac, me réservant dès qu'ils auront été rassemblés dans le camp, de prescrire leur mise en route sur le camp de Drancy. "
Du 6 au 8 juillet, des centaines de juifs sont raflés dans le département. Le secrétaire général semble agir sans haine. Méthodiquement, il s'efforce de satisfaire à la demande conjuguée de Vichy et de Berlin en préparant le premier convoi qui partira le 18 juillet. Le système ne variera plus jusqu'à la fin de l'Occupation. Sur la base des fichiers tenus par le service des questions juives de la préfecture et des exigences allemandes, policiers et gendarmes procèdent aux arrestations. Les juifs pris dans les rets sont internés au camp de Mérignac, parqués et déportés vers Drancy sauf rarissimes interventions.
Fin août 1942, Pierre Garat visite le camp de Drancy et rend compte de sa mission à Maurice Papon qui lui donne son aval pour informer Maurice Sabatier. "En conclusion, note Garat dans son rapport, j'estime qu'il y aurait lieu à l'avenir, en cas de nouveaux transports : 1/ d'établir des listes spéciales de Français et d'étrangers ; 2/ d'assurer l'arrivée du convoi à Drancy les jours de départ (lundi, mercredi, vendredi) des convois de déportation, et non la veille de ces départs, car l'Administration du Camp disposerait alors d'une journée entière pour effectuer le triage. Il y a lieu d'adresser incessamment au directeur du camp une liste séparée et de demander confirmation de ce que les intéressés sont bien demeurés à Drancy." Précaution illusoire, bien sûr.
Quelques mois après sa prise de fonctions, une grande partie de la tragédie à laquelle il participe apparaît à Maurice Papon. "Ce n'est qu'au retour de la mission Garat au camp de Drancy, explique-t-il au juge d'instruction, que les doutes se sont levés et que la vérité de la déportation hors de France s'est faite jour." S'il ne sait pas tout, s'il ne peut complètement deviner la réalité du génocide en cours, il a conscience du drame vécu par les juifs. Il continue néanmoins à faire procéder aux arrestations, à organiser des convois vers Drancy.
Ses services louent des cars et des tramways pour assurer le transfert des juifs entre le camp de Mérignac et la gare Saint-Jean, ordonnent la constitution de convois ferroviaires entre Bordeaux et Drancy. Des centaines de factures de compagnies privées et des chemins de fer en font foi.
Les crimes d'employés, selon l'expression de la philosophe Hannah Arendt, laissent aussi des traces.
De juillet 1942 à août 1944, douze convois partent de Bordeaux vers Drancy. Près de seize cents juifs, dont cent trente enfants de moins de treize ans, sont déportés.
Pour sa défense, Maurice Papon avance essentiellement deux arguments. Il invoque, en premier lieu, la "fébrilité dramatique" des journées de l'Occupation, les "injonctions allemandes" et l'absence d'échappatoire : "Dans la réalité des choses, l'exécution des ordres relevait de l'impérium allemand dans un pays occupé et qui était soustrait à un régime de droit et ne procédait donc pas d'une décision autonome, du libre-arbitre de l'autorité française, au moins locale"
En second lieu, Maurice Papon évoque les multiples gestes qu'il aurait eus à l'égard des persécutés : familles juives prévenues à sa demande des rafles à venir, protection du grand rabbin de Bordeaux, mesures humanitaires pour rendre le transfert de Bordeaux à Drancy physiquement supportable. Malheureusement pour lui, ces bonnes actions sont contestées ou contestables. L'instruction judiciaire les a étudiées et largement démenties.
Le plus ambigu de ces "gestes" concerne les conditions de transfert du camp de Mérignac à Drancy. Maurice Papon explique qu'il a personnellement veillé à ce que les déportés soient conduits en car jusqu'à la gare Saint-Jean pour éviter aux enfants et aux vieillards un long chemin à pied. De même assure-t-il qu'il a fait distribuer des couvertures et exigé des wagons de voyageurs à la place des wagons de marchandises pour atténuer des souffrances inutiles.
C'est une "lecture" possible. Mais le but premier de ces attentions n'était-il pas d'écarter toute manifestation de compassion de la population bordelaise à l'égard de familles persécutées ? Les trains rapides n'avaient-ils pas l'avantage d'éviter des arrêts multiples en gare et d'éventuels incidents ?
Sur ce dernier point, un courrier de Maurice Papon adressé à la police allemande le trahit rétrospectivement : "Je vous serais obligé de vouloir bien, au cas de nouveaux transferts, demander au Service des transports de la Feldkommandantur le convoiement par train express ou train de messageries rapide, afin de remédier aux inconvénients signalés, notamment en matière de surveillance des internés."
Fonctionnaire efficace, bien noté, l'ancien secrétaire général indique aussi avoir sauvé des juifs en faisant rayer leurs noms des fichiers. Un rapport d'expertise très contesté, confié en 1984 à Roger Bellion, Jacques Delarue et André Gouron, précise : " Les radiations prouvées dues à l'initiative directe de Maurice Papon concernent au moins cent trente personnes. "
Il semble que la vérité soit moins glorieuse. Une fois encore, les archives en donnent une illustration. Dans une note à un subordonné, Maurice Papon écrit : "La discrimination entre juifs et aryens étant faite et ayant donné satisfaction et les cas douteux étant, je pense, en voie de règlement , il faut aborder maintenant les interventions intuitu personnae. Je veux dire qu'il faut essayer de libérer ou, à défaut, de laisser à Mérignac les juifs intéressants : titulaires Légion d'honneur à titre militaire, mutilés, femmes de prisonnier (par exemple Madame Bibal), etc. Faites ces interventions au nom personnel de M. Sabatier (...). Vous me communiquerez la liste de ces cas intéressants."
C'était le 12 janvier 1944. Le temps des précautions arrive...
Avec le recul que donne un demi-siècle et dans une formule qui en impose, Maurice Papon a résumé sa collaboration : "Nous n'acceptions rien et nous subissions tout." Le secrétaire général reste fidèle au poste alors que le régime de Vichy s'affiche de plus en plus totalitaire, avec sa milice et ses officines nazies. Les derniers convois de déportés partent en mai, et même en juin 1944, juste après le débarquement des Alliés sur les côtes normandes.
Mais dans le même temps, le secrétaire général de la préfecture de la Gironde amorce une mue savante. A l'automne 1943, alors que le IIIe Reich a dû capituler devant l'armée soviétique à Stalingrad et que se forment en France les premiers maquis, il refuse une brillante promotion qui l'aurait brutalement exposé : préfet du Lot.
Surtout, il donne tardivement quelques gages à la Résistance. Il accueille plusieurs fois à son domicile Roger-Samuel Bloch, un résistant juif du réseau Kléber qu'il a connu avant-guerre dans la fonction publique. Le 25 mai 1944, il renonce opportunément à la tutelle du service des questions juives. Il se laisse approcher, à la mi-juin, par Gaston Cusin, ancien haut fonctionnaire qui cherche des points d'appui à Bordeaux où il représente dans la clandestinité le général de Gaulle. Il réunit quelques attestations susceptibles de lui sauver la face.
Est-ce assez pour obtenir un brevet de résistant ? Un ralliement de dernière heure peut-il effacer une obéissance continue ? Son argumentation est prête, au cas où... Maurice Papon invoque les ordres du général de Gaulle : "Par caractère, je n'avais pas le goût de déserter ; par idéologie, je restais fidèle aux instructions données par Londres aux fonctionnaires et aux magistrats en fonction" [de rester à leurs postes].
Son retournement, son habileté de passe-muraille et son sens de l'esquive le sauvent. Son aplomb impressionne. Deux jours avant la libération de Bordeaux, il convoque les chefs de la police, les présente à Gaston Cusin, désigné par Michel Debré pour être le Commissaire de la République en Aquitaine, et les place à son service. Ce coup-là est un coup de maître. Maurice Papon achète sa grâce.
Peu connu, compétent, rapide, au fait des arcanes de l'administration, il se révèle vite indispensable. Avant même que le drapeau nazi ne disparaisse dans le ciel de Bordeaux, il est nommé directeur de cabinet du commissaire de la République et préfet des Landes... Curieusement, les archives des services spéciaux de la France libre ne seront pas exploitées. Personne ne songera ou ne souhaitera utiliser contre lui ces télégrammes où on le décrit comme "un fonctionnaire très dévoué au maréchal et au gouvernement Laval", où il est précisé : "Contre la résistance qu'il considère comme contraire aux intérêts du pays."
Ainsi s'apprête-t-il, tel un caméléon, à faire ses premiers pas dans une République qu'il a combattue.
La légende est-elle trop cynique ? On raconte que dans les premiers jours de la Libération, alors que l'euphorie s'empare de la ville, Maurice Papon est acclamé dans les rues sur l'air des lampions : " Papon ! Papon ! " Tout semble lui sourire dans ce Bordeaux à demi amnésique.
Le soutien de Gaston Cusin, qui a les pleins pouvoirs sur la région, lui est acquis. A Paris, l'un de ses anciens condisciples à Louis-le-Grand, René Brouillet, fait partie du cabinet du général de Gaulle, bientôt rejoint par Georges Pompidou, autre camarade de lycée.
Le voilà donc préfet. En septembre, il est présenté au général de Gaulle. En octobre, il prend la pose dans une déclaration définitive à la presse locale : "Je n'ai pas travaillé dans la résistance pour perpétuer les privilèges et prolonger les erreurs de 1939." Sud-Ouest titre à la "une" : "Un vaillant serviteur de la France, M. Maurice Papon". La Nouvelle République rend hommage au fonctionnaire passé "de la clandestinité au grand jour".
L'épuration n'est pas pour lui. Le comité départemental de Libération (CDL) s'adresse en vain à Gaston Cusin. Dans un avis, le CDL s'étonne : "M. Papon ne semble pas avoir eu des sentiments collaborationnistes, mais est apparu très nettement à tous les fonctionnaires dépendant de lui et à la population bordelaise comme étroitement attaché à la politique de Pétain qu'il a défendue à son poste de secrétaire général avec fidélité."
Le commissaire de la République tente aussitôt de couper court à tout contentieux. Dans une note, il entreprend la défense de Maurice Papon : "Il a saboté certaines mesures gouvernementales. Un exemple parmi d'autres : il a envoyé une circulaire aux préfets et aux maires leur interdisant l'utilisation des lettres anonymes. La Sûreté nationale se voyait ainsi privée, de son propre aveu, d'une source essentielle de renseignements contre les communistes." Plus loin, Gaston Cusin ajoute : "Aux exigences de l'occupant dans le domaine de la main-d'oeuvre, le secrétaire général de la préfecture a su négocier pied à pied en matière de réquisition et a saboté bon nombre de recherches des réfractaires au Service du travail obligatoire."
Sous cette plume, un Papon inconnu apparaît et la Résistance locale, laminée par les derniers mois de l'Occupation, divisée par des trahisons, n'a ni la force ni les moyens de répondre. Elle ne semble pas disposer d'informations précises quant au rôle et aux attributions de l'ancien secrétaire général.
Même l'ancien préfet, Maurice Sabatier, bénéficie d'une clémence désarmante. Alors que le CDL l'accuse "de s'être vanté publiquement d'être à la tête d'une préfecture régionale où le nombre des déportations a eu le pourcentage le plus élevé", il est simplement suspendu de ses fonctions avec demi-salaire durant quelques mois et sera promu officier de la Légion d'honneur en 1948. Pierre Garat, l'ancien chef du service des questions juives de la Gironde, est pour sa part immédiatement promu sous-préfet de Blaye.
Concernant Maurice Papon, le dossier d'épuration s'enlise au fil des semaines. Paris donne son soutien à ce fonctionnaire zélé qui se proclame "reconstructeur" puisque la France est à reconstruire.
Lorsque Gaston Cusin quitte Bordeaux début 1945, l'affaire est oubliée. Son successeur, Jacques Soustelle, qui a dirigé les services spéciaux de la France libre, confirme Papon dans ses fonctions. Quelques mois plus tard, un nouveau commissaire de la République, Maurice Bourgès-Maunoury, compagnon de la Libération, entérine le choix de ses prédécesseurs. Sans que la polémique n'ait jamais pris de l'ampleur, Maurice Papon se voit dédouané, blanchi. Mieux, trois incontestables personnalités de l'armée des ombres (Gaston Cusin, Jacques Soustelle, Maurice Bourgès-Maunoury) semblent l'avoir définitivement adopté comme l'un des leurs.
Son dossier administratif, sous l'intitulé "Attitude sous Vichy", comporte cette unique mention : "Favorablement apprécié par le CDL de la Gironde. A pris contact avec la Résistance." Maurice Papon, à trente-cinq ans, peut rêver d'une grande carrière.
Adoubé par les gaullistes, revendiqué par les socialistes, il s'apprête à déployer ses talents. A l'automne 1945, il est de retour au ministère de l'intérieur au poste de sous-directeur de l'Algérie. Un an plus tard, Jean Biondi (SFIO), secrétaire d'Etat à l'intérieur, le désigne comme son chef de cabinet. En 1947, on le retrouve préfet de la Corse où il parvient à se faire apprécier des élus et des notables. Son sang-froid, sa détermination et son obéissance poussent Jules Moch, ministre de l'intérieur, à lui demander d'être le préfet de Constantine. Ainsi devient-il, en 1949, le représentant de la France dans un territoire large comme un pays, peuplé de plus de trois millions d'habitants. Dans une Algérie déjà déchirée, en proie à une forte revendication d'indépendance, il fait preuve d'esprit d'initiative, tentant d'imposer dans les mairies des personnalités musulmanes.
LES années passent. On le nomme à Paris, on l'envoie au Maroc, on le retrouve à nouveau au cabinet du secrétaire d'Etat à l'intérieur. Le soutien de la SFIO lui est toujours acquis.
C'est en 1956 qu'il retrouve le chemin de l'Algérie, cette terre à péchés. Promu inspecteur général de l'administration en mission extraordinaire pour la région de l'Est algérien, à Constantine, son rôle de proconsul consiste à réduire par la force une guerre sans nom.
Cette fois, la terreur se répand dans les campagnes. Les attentats contre les Européens se multiplient. Les autorités françaises se fixent un programme : la " pacification ". Maurice Papon pacifie sans état d'âme. Seuls comptent pour lui les "soldats". "Quelles que soient les pudeurs d'expression, c'était la guerre", écrira Maurice Papon. Le bilan le dit assez : plus de cent mille personnes déplacées, des milliers de rebelles tués, des centaines de victimes à la suite d'attentats et de massacres.
Paris n'est pas indemne. Les Algériens du FLN s'efforcent de quadriller la population immigrée. Des attentats visent les gardiens de la paix. Le 13 mars 1958, des policiers protestent dans la rue et pénètrent dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Une odeur de sédition souffle sur la capitale.
Le préfet de police est limogé le lendemain. Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de l'intérieur, se souvient alors de son ancien directeur de cabinet à Bordeaux et propose son nom. Le chef du gouvernement, Félix Gaillard, acquiesce. Maurice Papon dispose de vingt-quatre heures pour se saisir de son sceptre parisien. Il devient indispensable, providentiel. Devant le conseil national de la SFIO, Alain Savary le fait applaudir.
On l'imagine uniquement hanté par la sécurité de la capitale. Erreur. Préoccupé de son avenir, il s'empresse de faire officiellement valider son passé de " résistant ". Sa position aplanit bien des obstacles. Il décroche le 3 juillet 1958 ce qu'il n'avait pas pu arracher jusque-là : une carte de combattant volontaire de la Résistance.
Parallèlement, il assiste en direct au suicide du régime des partis. Sa lucidité lui évite les faux pas. Lorsque Etienne Pfimlin tente de composer un nouveau gouvernement, en mai 1958, et lui propose le portefeuille ministériel de l'Algérie, il se récuse, devinant déjà que si la IVe République a beaucoup fait pour lui, la Ve fera encore mieux.
En juillet, le général de Gaulle le convoque et le confirme à son poste avec un seul mot d'ordre : " Tenir Paris. " Il a trouvé son homme. Alors que la ligne de front algérienne traverse aussi la région parisienne et que le FLN lève l'impôt révolutionnaire dans les banlieues, les attentats se multiplient. En trois ans, plus de soixante policiers sont tués. Impassible, déterminé à éradiquer cette violence, Maurice Papon impose à l'automne 1961 un couvre-feu aux " Français musulmans d'Algérie ", de 20 heures 30 à 5 heures 30.
Le FLN réagit en organisant le 17 octobre une manifestation " familiale ", invitant les femmes et les enfants à se joindre à ses militants. La préfecture de police, alertée tardivement des préparatifs du FLN, monte en vingt-quatre heures une opération d'étouffement. Des paniers à salade seront disposés à proximité des bouches de métro où doivent surgir les manifestants. Des centres d'internement provisoire sont prévus pour parquer les personnes interpellées.
Le 17 octobre au soir, Maurice Papon inspecte son dispositif puis rejoint la salle de commandement de la préfecture. Il attend vingt mille manifestants. Sa police, en quelques heures, arrête onze mille sept cent trente Algériens. Débordés par le nombre, la préfecture réquisitionne des bus de la RATP...
La nuit est tombée. Plusieurs cortèges de quelques centaines d'hommes tentent de converger vers le centre de Paris. Sur le pont de Neuilly, des coups de feu claquent, deux Algériens s'effondrent. D'innombrables blessés tentent de fuir ou de se réfugier dans des cours d'immeubles.
A la préfecture, entouré de ses adjoints, Maurice Papon ne cille pas. L'un d'eux l'avise que des policiers se livrent à des brutalités sur les interpellés parqués les mains sur la tête dans la cour d'honneur. Il y va. "De fait, je ressens comme une bouffée de chaleur l'excitation qui règne en ces lieux ordinairement voués aux rassemblements, aux cérémonies ou au recueillement, témoigne-t-il. Je ramène le calme promptement. J'invite les cadres à reprendre en main des hommes gagnés par la colère."
Pour le préfet, la nuit se termine sans drame : "On a frisé la submersion. On a évité le désastre." Des journalistes ont pourtant assisté à des scènes terribles. Des militants des droits de l'homme reçoivent des témoignages inquiétants. Des rumeurs parlent de dizaines de cadavres repêchés dans la Seine. Au conseil municipal, Claude Bourdet, compagnon de la Libération, demande des explications : "Est-il vrai que, dans la cour d'isolement de la Cité, une cinquantaine de manifestants, arrêtés apparemment dans les alentours du boulevard Saint-Michel, sont morts ? Et que sont devenus leurs corps ? C'est vrai ou ce n'est pas vrai ?"
Maurice Papon balaie d'un mot ces inquiétudes. Des dizaines de corps d'Algériens sont pourtant découverts en région parisienne dans les jours qui suivent la nuit du 17 octobre. Il organise le silence, s'arrange pour obtenir l'ouverture d'une information judiciaire à chaque fois que l'on retrouve un cadavre afin de bloquer la création d'une commission d'enquête. Durant trois décennies, un voile recouvrira l'horreur en attendant les historiens...
Préfet de police, Maurice Papon règne. D'autres fronts s'ouvrent. L'OAS, qui lutte par le terrorisme pour que l'Algérie reste française, engage une campagne d'attentats en France. Le 7 février 1962, une explosion défigure et aveugle la petite Delphine Renard, âgée de quatre ans. L'émotion est considérable. Le lendemain, un cortège défile dans l'est parisien à l'appel de la CGT, de la CFTC et du PCF.
Le drame couve. Les manifestants crient "OAS assassins !" Nerveuse, la police charge. Au niveau de la sation de métro Charonne, la foule cherche à fuir, prisonnière de son nombre et de la violence des coups de matraque. Plusieurs dizaines de personnes cherchent leur salut en descendant un escalier qui conduit à des toilettes désaffectées dans le métro. Les grilles métalliques sont fermées. Les premiers arrivés au bas de l'escalier sont écrasés, étouffés par les derniers.
Neuf personnes, dont huit militants cégétistes, ont trouvé la mort. Maurice Papon parle d'une "malheureuse bousculade". Au conseil des ministres, le général de Gaulle fait taire ceux qui demandent la tête de son préfet : "La manifestation était interdite. La préfecture de police a reçu mission et avait le devoir de s'y opposer. Elle a fait ce qu'elle devait faire."
Maurice Papon semble indestructible. Durant neuf ans, il officie. L'enlèvement en plein Paris et l'assassinat du leader de l'opposition marocaine Mehdi Ben Barka, en octobre 1965, finira pourtant par sceller son départ. L'implication de deux policiers dans l'affaire, sans compter des agents des services spéciaux, pourrit durablement le climat de la préfecture de police. A regret, de Gaulle l'invite au terme d'un délai de décence à quitter son poste début 1967.
Il songe à lui confier une mission diplomatique et le propulse finalement PDG de Sud-Aviation. C'est là que ce caméléon de haut vol prépare une énième métamorphose : son entrée en politique.La "chienlit" des événements de mai 68 le laisse amer. Il ne peut s'empêcher de s'imaginer encore aux commandes. Avec lui, pas une barricade ne se serait dressée dans Paris. Il vitupère contre le laxisme de son successeur, Maurice Grimaud, se moque des " intellectuels fatigués ". Plus tard, il prendra la plume. "Est-ce le retour de l'Occupation ?", ose-t-il demander. Le jeune anarchiste allemand Cohn-Bendit règle librement l'émeute (...) "
Cette " Occupation-là ", comme l'autre, lui sert en tout cas de tremplin. Sa carrière rebondit. Il se fait élire député du Cher en juin 1968. Il a cinquante-huit ans et tout l'avenir devant lui. Ses compagnons de l'UDR le nomment trésorier national de leur mouvement, car il sait aussi bien compter que commander. On le retrouve au poste de président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, puis à celui de rapporteur général de la même commission, à la demande du président Georges Pompidou.
Devant lui défilent les ministres, transformés en écoliers rendant des comptes. Du haut de sa position, il entend les explications des ministres des finances et du budget. C'est une amorce de pouvoir. Il attend son heure. Il sait attendre.
La consécration arrive en mai 1978. Le président Valéry Giscard d'Estaing demande à Raymond Barre de former son nouveau gouvernement. Les deux hommes se mettent d'accord pour confier à Maurice Papon le portefeuille du budget. Ont-ils pris soin de se pencher sur son curriculum vitae ? Font-ils aveuglément confiance à ses brevets de résistant et à ce gaullisme dans lequel il a su habilement se draper ? L'un et l'autre, pour l'instant, réservent leur réponse.
Maurice Papon fait figure d'intouchable. Il tranche de tout avec autorité, dans toute sa gloire. Lorsque Le Canard enchaîné se permet de lui reprocher de faire bénéficier ses deux gendres d'importantes remises fiscales, il répond par le mépris : "Vos questions n'appellent aucune sorte de réponse." Est-ce bien sûr ? Un an plus tard, l'hebdomadaire satirique essuie un sévère contrôle fiscal...
A quoi tient une carrière ? En ce début 1981, Claude Angeli, rédacteur en chef du Canard enchaîné, reçoit un mot de Michel Slitinsky, journaliste à ses heures. Cela fait des années qu'ils se connaissent. Michel Slitinsky adresse de temps en temps au Canard des informations sur Bordeaux et l'Occupation. Mais cette fois, sa lettre retient particulièrement l'attention de Claude Angeli. Il est question de Maurice Papon, de rafles, de déportations...
Perplexe, le journaliste consulte le Whos's who. Il constate que Maurice Papon était bien à Bordeaux durant cette période. " J'ai besoin de preuves ", répond-il par retour de courrier. Des preuves ? Cela fait plusieurs décennies que Michel Slitinsky accumule une énorme documentation. Son père a été arrêté par la police française à Bordeaux, le 20 octobre 1942. Déporté, il n'est jamais revenu. Lui-même a réussi à échapper à une rafle en s'enfuyant par les toits.
Avec l'aide d'un jeune chercheur en histoire, Michel Bergès, il établit un dossier avec des documents originaux. "Il faut que tu viennes", écrit-il à Claude Angeli. Dans la semaine, Nicolas Brimo, journaliste au Canard enchaîné, arrive, vérifie, recoupe. La signature de Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture, figure bien au bas des documents.
En mai 1981, entre les deux tours de l'élection présidentielle, Le Canard enchaîné révèle cette information alors inouïe : Maurice Papon, ministre de la République, gaulliste et giscardien, a été dans une autre vie collaborateur et responsable du service des questions juives de la Gironde. L'intéressé s'indigne d'une " manoeuvre électorale de dernière minute ". Gaston Cusin, Jacques Soustelle et Maurice Bourgès-Maunoury évoquent dans un communiqué de " scandaleuses attaques ".
Les documents publiés chaque semaine par Le Canard enchaîné seraient-ils des faux ? L'hypothèse fait long feu : un expert authentifie la signature du ministre. Sont-ils mal interprétés ? Maurice Papon le clame et obtient la création d'un jury d'honneur composé de résistants. Le 15 décembre 1981, la sentence tombe, balancée à l'extrême. Les juges, présidés par Daniel Mayer, reconnaissent à Maurice Papon sa qualité de résistant. Mais ils soulignent dans un même souffle que l'ancien secrétaire général "a dû concourir à des actes apparemment contraires à la conception que le jury se fait de l'honneur" et qu'il aurait dû démissionner en juillet 1942. Fonctionnaire, collaborateur, résistant, tel est le portrait contrasté qui émerge. Maurice Papon fait mine de s'en satisfaire.
Serge Klarsfeld, avocat et historien, lui demande alors de démissionner de tous ses postes et d'exprimer publiquement ses regrets. A cette condition, fort de cette victoire, il ne déposera pas plainte. L'ancien ministre reste muet. Il ne voit pas à qui il demanderait pardon... "J'ai accompli mon devoir au péril de ma liberté et de ma vie ", répète-t-il. En décembre 1981, Me Gérard Boulanger dépose les premières plaintes contre lui. Me Klarsfeld dépose les siennes en mai 1982.
L'affaire commence. Maurice Papon est inculpé seulement en janvier 1983 de crimes contre l'humanité. Il contre-attaque immédiatement en faisant poursuivre les parties civiles pour dénonciations calomnieuses. L'instruction avance avec une lenteur sidérante et, le 11 février, la Cour de cassation l'annule dans sa quasi-totalité pour vice de procédure...
Tout est à reprendre. La justice hésite, tergiverse. Le président François Mitterrand, qui répugne à voir examiner ces dossiers, demande à ce que l'on freine la procédure. Mais tout au long des années 90, la voix des avocats des parties civiles est la plus forte. Elle couvrira celle de Maurice Papon qui, pour la première fois, perd son sang-froid et se compare au capitaine Dreyfus avant de vitupérer contre Me Klarsfeld, qu'il accuse "d'être salarié d'une organisation américaine constituée par des juifs allemands naturalisés américains".
L'instruction finit par déboucher après treize années d'attente (1983-1995). S'appuyant sur un dossier serré, nourri de milliers de documents d'archives, les juges de la chambre d'accusation renvoient le 18 septembre 1996 l'ancien secrétaire général devant la cour d'assises de la Gironde. Leur arrêt est cinglant. Les conseillers tiennent pour nuls ses titres de résistant. Ils tiennent pour assuré que Maurice Papon, "dès les premières opérations menées contre les juifs, a acquis la conviction que leur arrestation, leur séquestration et leur déportation vers l'Est les conduisaient inéluctablement à la mort."
C'est déjà une condamnation. Cette fois, Maurice Papon est seul.
Laurent Greilsamer

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