1Les
rapports entre l’exception et la révolution méritent aujourd’hui d’être
pensés à nouveaux frais. La révolution ne peut plus en effet être
simplement conceptualisée sous la catégorie de l’état d’exception
révolutionnaire comme état transitoire vers un nouvel ordre (un autre
État ou une société sans État) en rupture avec les normes
constitutionnelles de l’État de droit libéral. C’était dans cette
direction que Lénine avait théorisé la « dictature du prolétariat »
comme pratique révolutionnaire de la négation institutionnelle de la
démocratie dont il s’agissait pour autant de faire advenir finalement la
réalité véritable. Comme l’a souligné Carl Schmitt, l’état d’exception
est en ce sens la négation de sa propre finalité au nom de cette
finalité (Schmitt, 2000, p. 18).
2Mais,
dans la conjoncture contemporaine, ce type de théorisation n’est plus
possible car il n’y a plus à strictement parler d’État de droit libéral,
mais seulement, selon la formule proposée par Giorgio Agamben, la
réalité de l’« État d’exception » (Agamben, 2003), c’est-à-dire non pas
un État où la Constitution serait temporairement suspendue avant un
retour à l’état normal, mais un État où la suspension de l’ordre légal
est devenue le régime normal et permanent de l’activité politique, et
sans qu’il ne soit plus fait référence à une norme ultérieure qui en
fournirait la justification.
3Le
champ d’application de la notion d’exception semble donc s’être déplacé
de la révolution à l’État (selon un retournement dont il convient
d’esquisser la généalogie philosophico-pratique), et l’on ne se sert
plus guère, dans la conjoncture contemporaine, de l’exception que pour
analyser les formes et les activités des États sécuritaires. C’est le
cas de Giorgio Agamben ou d’Antonio Negri dans le sillage de Carl
Schmitt.
4La
visée de ce texte est donc de se demander si la notion d’exception peut
être encore utile pour penser la révolution. Mais il faut alors en
proposer une autre théorisation que celle de l’état d’exception
révolutionnaire comme pratique transitoire qui vise un nouvel ordre
historico-politique en passant par son contraire. C’est ce qui est à
l’œuvre chez Alain Badiou, qui donne la possibilité de concevoir un
procès dialectique immanent de l’exception révolutionnaire, dans lequel
l’exception se mue en un nouvel ordre sans se supprimer elle-même, mais
dans son développement immanent. On présentera les principales
articulations de sa pensée de l’exception, puis on tentera de la
confronter aux débats actuels sur la formation d’un « état d’exception
planétaire » pour mettre en perspective son intérêt dans la conjoncture
contemporaine, eu égard à la relance d’une politique d’émancipation
révolutionnaire.
5Il
n’est pas ici envisageable de rentrer dans l’explicitation du système
métaphysique de Badiou à l’intérieur duquel se déploie sa pensée de
l’exception. On retiendra simplement que ce dernier conserve du
structuralisme l’idée que dans la situation normale de l’être, celle qui
n’a pas été supplémentée par l’arrivée d’un événement, il n’y a pas de
sujet, mais seulement des « animaux humains » soumis à des structures.
C’est seulement à travers l’apparition d’un événement étranger à la
structure qu’un sujet peut se former. La vérité et le sujet n’existent
que dans les conséquences d’un événement et sont donc qualifiés de
« post-évènementiels » ; la vérité est matérialisée par l’action d’un
sujet fidèle à l’événement.
- 1 Colin Wright (2008) développe l’opposition du concept d’événement chez Badiou au concept d’excepti (...)
- 2 L’« état de la situation » renvoie au vocabulaire ontologique de L’être et l’événement (Badiou, 19 (...)
6Comment
la catégorie de l’exception s’articule-t-elle alors au système de
Badiou ? Elle prolifère dans son œuvre sans pour autant faire l’objet
d’une fixation conceptuelle, de sorte que même les commentateurs ne s’y
sont pas véritablement attardés
1.
Elle y joue pourtant un rôle clé dans la mesure où elle permet de
saisir la dimension dialectique (de négation et de contradiction) de son
système. L’exception est l’opérateur dialectique qui identifie le
rapport des conséquences de l’événement (c’est-à-dire de l’ensemble
formé par l’événement, le sujet et la vérité) à l’état normal de la
situation ou au monde
2.
- 3 « Si l’on convient d’appeler “Idée” ce qui à la fois se manifeste dans le monde – dispose l’être-l (...)
7Le titre de la série des deux principaux ouvrages de Badiou,
L’être et l’événement,
pourrait suggérer que l’événement est la pure apparition
révolutionnaire propre à subvertir les lois réglées de l’être. Badiou
opposerait l’être et l’événement, la norme et la subversion, la loi et
la révolution, cette vision dualiste alimentant alors une confusion
entre l’événement et l’exception comme ce qui se trouve en dehors de la
règle. Or l’événement et l’exception ne se confondent pas, bien qu’ils
soient étroitement articulés. On peut en effet aussi bien parler
d’exception, hormis à propos de l’événement, pour ce qui a trait au
sujet, à la vérité ou encore à l’Idée
3.
L’exception est une opération dialectique à travers laquelle une
possibilité ouverte par l’événement, c’est-à-dire soustraite aux lois du
monde, est forcée à y être incluse, à s’inscrire et à se matérialiser à
l’intérieur de celui-ci. Elle est une incorporation dans le monde d’une
« adjonction aléatoire au monde » (Badiou, 2009b, p. 172). Cette
inclusion externe peut
permettre de qualifier le mouvement de l’émancipation comme un procès
dialectique matérialiste de l’exception, très loin du « miracle de
l’événement » diagnostiqué par Daniel Bensaïd (2001). Badiou a qualifié
de « gauchisme spéculatif », pour s’en distinguer, la position
consistant à faire coïncider la politique de l’émancipation avec
l’apparition eschatologique ou miraculeuse de l’événement :
- 4 Sur le « gauchisme spéculatif », voir Bosteels (2009, p. 173-197).
On peut appeler
gauchisme spéculatif4
toute pensée de l’être qui se soutient d’un commencement absolu. Le
gauchisme spéculatif imagine que l’intervention ne s’autorise que
d’elle-même, et brise avec la situation sans autre appui que son propre
vouloir négatif. […] [C]’est à une hypostase manichéenne que conduit
inéluctablement, dans tous les ordres de la pensée, l’imaginaire du
commencement radical […]. C’est ignorer que l’événement lui-même
n’existe qu’autant qu’il s’est
soumis, […] à la structure
réglée de la situation […]. Ce que nous enseigne la doctrine de
l’événement est plutôt que tout l’effort est d’en suivre les
conséquences, non d’en exalter l’occurrence. (Badiou, 1988, p. 233-234)
8L’événement, qui est toujours local et localisable, c’est-à-dire qu’il ne concerne jamais une situation dans son ensemble, se soumet à la situation. La pensée de l’événement porte alors de manière centrale non pas sur la création (ou la décision) ex nihilo d’une situation entièrement nouvelle mais bien plutôt sur les conséquences produites par l’inscription d’un événement localisé à l’intérieur d’une situation existante.
9La notion d’exception indique alors précisément le fait que les conséquences de l’événement sont situées dans
un monde donné : il n’y a de sens à parler d’exception qu’en relation
au cas normal avec lequel on partage une base identique d’indexation,
tout en s’y rapportant différemment :
Il n’y a pas
d’événement du monde. Il y a des événements dans le monde. Il y a des
césures locales. […] Mais il se trouve que les conséquences d’une
exception sont entièrement situées dans un monde. […] On est toujours
dans le même monde. Les conséquences de la coupure ont certes un statut
d’exception par rapport à ce qui ne dépend pas de la coupure. Mais il va
falloir démontrer que ces conséquences sont organisées selon la logique
générale du monde lui-même. (Badiou et Tarby, 2010, p. 145-146)
10Il
n’y a pas de sens à penser une exception en tant qu’extériorité globale
à la situation. Il s’agit d’une exception aux lois du monde, dans la
mesure où le reste du monde (et, bien souvent, la plus grande partie de
celui-ci) ne dépend pas de l’événement, continue à ne pas dépendre de
lui après son arrivée : d’une part parce que l’événement est localisé,
et d’autre part parce qu’il est une trace évanescente à laquelle
l’individu peut décider de s’incorporer, entrant ainsi dans un
devenir-Sujet, ou de ne pas s’incorporer (déniant l’existence
même de l’événement). L’exception est une exception vis-à-vis des
régions du monde qui suivent la loi du monde car elle existe dans le
même monde mais en tirant sa loi de l’hétéronomie de l’événement qui est
en « excès » sur le monde (ibid., p. 145), de sorte que « toute exception aux lois est le résultat d’une loi d’exception » (Badiou, 2009a, p. 87).
11Prenons
l’exemple politique de la Commune de Paris – entre le 18 mars 1871,
jour d’une impressionnante mobilisation du peuple de Paris qui empêche
les militaires de s’emparer des canons de la garde nationale, et le
28 mai 1871, qui achève la « semaine sanglante » où plus de
20 000 ouvriers sont massacrés par l’État. En tant qu’exception, elle
introduit une division, une contradiction dans le monde :
Nous avons donc un
monde divisé, dont l’organisation logique, ce qu’on peut appeler dans le
jargon philosophique l’organisation transcendantale, accorde les
intensités d’existence politique selon deux critères antagonistes. En ce
qui concerne les dispositions légales, électorales, représentatives, on
ne peut que constater la prééminence de l’assemblée des ruraux
légitimistes, du gouvernement capitulard de Thiers et des officiers de
l’armée régulière qui, s’étant fait sans trop insister rosser par les
soldats prussiens, rêvent d’en découdre avec les ouvriers parisiens. […]
Du côté de la résistance, de l’invention politique, de l’histoire
révolutionnaire française, il y a le fécond désordre des organisations
ouvrières parisiennes, où s’entremêlent le comité central des vingt
arrondissements, la Fédération des chambres syndicales, les quelques
membres de l’Internationale, les comités militaires locaux… (Ibid., p. 159-160)
12Ce
qui domine dans la société française de 1871, c’est « la conviction
majoritaire de l’inexistence d’une capacité gouvernementale ouvrière » (ibid.,
p. 160). Or, le 18 mars surgit « l’apparition de l’être-ouvrier
– jusqu’à ce jour symptôme social, force brute des soulèvements ou
menace théorique – dans l’espace de la capacité politique et
gouvernementale » (p. 161). C’est à l’événement de cette capacité
gouvernementale qu’est fidèle la déclaration politique du Comité central
de la garde nationale, partout distribuée le 19 mars : « Les
prolétaires de la capitale, au milieu de la défaillance et des trahisons
des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour
eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires
publiques » (p. 156). Et la vérité de la Commune sera l’ensemble des
pratiques que le rassemblement des organisations ouvrières et du peuple
de Paris comme sujet va entreprendre sous cette conviction. C’est bien
finalement au même monde que les Versaillais et l’exception des
communards font référence, mais celui-ci est désormais divisé selon deux
convictions antagonistes.
13Parce
qu’elle est synonyme de division, la notion d’exception chez Badiou est
une notion dialectique, c’est-à-dire contradictoire et agissante :
… la catégorie
d’exception est une catégorie dialectique, la pensée de l’exception
ayant toujours lieu sur deux versants contradictoires. Il faut penser
une exception comme une négation, puisqu’elle n’est pas réductible à ce
qui est ordinaire, mais il faut aussi ne pas la penser comme miracle. Il
faut donc la penser comme interne au processus de vérité – non
miraculeuse – et la penser malgré tout comme exception. C’est peut-être
ce que Lacan voulait signifier par « extime » : à la fois intime et
extérieur à l’intime. Or, on est bien là dans le noyau de la
dialectique. (Badiou et Tarby, 2010, p. 146-147)
- 5 Dans L’être et l’événement, Badiou justifie notamment la possibilité d’un excès inassignable – don (...)
14La
contradiction immanente à l’exception, à la fois interne et externe,
selon laquelle elle nie le monde dans le monde, en fait le moteur du
procès dialectique vers l’émancipation. Ce mouvement est celui à travers
lequel l’« extériorité » de l’exception ou sa dimension d’excès
5
sont mises à l’épreuve de l’intériorité du monde et entrent en conflit
avec les lois qui régissent son apparaître. L’émancipation ne consiste
donc pas dans l’attente patiente de l’événement, mais dans les
tentatives inlassables de la « taupe » événementielle pour « creuser »,
orientée par l’Idée d’un autre monde possible (en politique, l’Idée du
communisme ou de l’égalité active), de nouvelles prescriptions
idéologiques et pratiques, et pour, par là même, « ronger » celles qui
assurent la reproduction de ce monde. C’est un travail
d’universalisation de l’exception en milieu hostile (Badiou, 2009a,
p. 107).
15Autrement
dit, il y a loin du surgissement de l’événement à la formation
émancipée d’un nouveau monde, c’est-à-dire un monde qui serait
entièrement régi par la nouvelle loi de l’exception : il y a toutes les
contradictions dialectiques rencontrées par l’exception soumise à la loi
du monde, toutes les difficultés de l’intériorisation de l’excès qu’il
faut à chaque fois reprendre. Il s’agit donc d’une politique de l’exception,
l’exception n’étant pas une notion statique, mais une notion dynamique.
Cette politique se matérialise dans un « corps exceptionnel » (Badiou,
2009b, p. 192) auquel s’agrègent les individus par affinité (par exemple
le corps du parti communiste, au sens marxien du terme). Mais elle doit
aussi véhiculer une représentation de l’exception adressée à ceux qui
n’y sont pas inclus afin qu’ils s’y joignent. C’est la fonction de
l’Idée :
- 6 Il faut préciser ici un dernier élément important de la dialectique de l’exception. Tout l’effort (...)
L’histoire d’une vie
est par elle-même, sans décision ni choix, une part de l’histoire de
l’État, dont les médiations classiques sont la famille, le travail, la
patrie, la propriété, les coutumes… La projection héroïque mais
individuelle, d’une exception à tout cela […] veut aussi être en partage
avec les autres, elle veut se montrer non seulement comme exception,
mais aussi comme possibilité désormais commune à tous. Et c’est une des
fonctions de l’Idée : projeter l’exception dans l’ordinaire des
existences […]. Convaincre mes entours individuels, époux et épouse,
voisins et amis, collègues, qu’il y a aussi la fabuleuse exception des
vérités en devenir, que nous ne sommes pas voués au formatage des
existences par les contraintes de l’État. (Badiou, 2009b, p. 199)
6
16L’objectif
de l’Idée est de faire grossir les rangs du « corps exceptionnel » dont
le développement immanent à travers l’adoption de pratiques et de
pensées hétérogènes fait coïncider la construction d’un nouvel ordre du
monde avec la destruction des facteurs de reproduction de l’ordre
« ancien » car « l’ouverture d’un espace de création exige la
destruction » (Badiou, 2006, p. 418). Le nouvel ordre n’est finalement
que l’institutionnalisation et la stabilisation de la pratique
révolutionnaire orientée par l’exception en tant qu’elle est
matérialisée dans un corps collectif.
- 7 Dans ce contexte, le « camp » est l’espace paradigmatique de la modernité « biopolitique » : camps (...)
17On
peut considérer avec intérêt le procès dialectique de l’exception
révolutionnaire chez Badiou au regard des analyses contemporaines sur la
généralisation de « l’état d’exception » chez Agamben et Negri. Elle en
fournit aussi bien le contrepoint théorique – parce qu’il s’agit
d’analyser l’exception du côté de la révolution et non du côté de
l’État – que le complément pratique – précisément dans sa tentative de
soustraire l’exception à la logique de l’État. Chez ceux-là, l’état
d’exception, dans le sillage de Carl Schmitt, est pensé comme ce
dispositif juridique paradoxal qui permet d’inscrire dans le droit ce
qui est extérieur à lui à travers la suspension de l’ordre juridique
lui-même (Agamben, 2003, p. 58). La thèse d’Agamben consiste alors à
établir, à partir du jugement de Benjamin (2000b, p. 433) selon lequel
l’état d’exception est devenu la règle (Agamben, 1997, p. 20 ; 2003,
p. 98), que de mesure provisoire et accidentelle, il devient à notre
époque – et cette tendance s’est renforcée avec la multiplication des
législations d’exception par les exécutifs des États contemporains
consécutive au 11 septembre 2001 – « le paradigme de gouvernement
dominant dans la politique contemporaine » (Agamben, 2003, p. 12),
capable d’inclure en lui la vie et de la soumettre au droit de vie et de
mort par l’État
7.
Non seulement l’état d’exception devient permanent, atteint son plein
développement à l’échelle planétaire mais il fait figure désormais de
technique de gouvernement et non de simple mesure exceptionnelle, ce qui
l’autorise à parler d’« État d’exception ». Pour Negri et Hardt, la
disparition récente du cadre juridique de limitation des conflits armés
entre États souverains a donné naissance à un nouveau paradigme de la
guerre, celui de « l’état d’exception global » (Negri et Hardt, 2004,
p. 23) qui caractérise pour eux la nouvelle situation internationale
dans laquelle guerre et paix rentrent dans une zone d’indistinction.
Elle est marquée par une « guerre civile globale » dans laquelle chaque
guerre civile locale est reliée à l’ensemble des autres théâtres
d’opérations et vise moins à s’emparer de la souveraineté d’un État qu’à
établir une position de domination relative au sein des hiérarchies du
système global qui la détermine (
ibid., p. 16). Là où la
dialectique de l’exception est locale, dynamique et révolutionnaire chez
Badiou, l’état d’exception est global, fixiste et juridico-étatique
selon Agamben ou Negri et Hardt.
18Pour
tenter de souligner la portée de la conception badiousienne dans cette
conjoncture, il faut d’abord revenir sur quelques éléments de la
généalogie philosophique des rapports entre l’exception, la révolution
et l’État. Une remarque de Schmitt dans le texte qu’il a consacré à « la
dictature dans la pensée marxiste » prend ici toute son importance.
Comme le précise Agamben, dans les premiers écrits de Schmitt, « l’état
d’exception est présenté à travers la figure de la dictature » (Agamben,
2003, p. 56) en tant que forme institutionnelle qui pose le problème de
la réalisation de la norme de droit à travers la suspension du droit
lui-même. Une partie de son texte s’intitule « Dictature et évolution
dialectique », qu’il oppose l’une à l’autre :
Il subsiste assurément
une difficulté à vouloir relier évolution dialectique et dictature. Car
la dictature est apparemment une interruption dans la suite continue de
l’évolution, une intervention mécanique dans l’évolution organique.
Évolution et dictature semblent s’exclure mutuellement. […] L’essentiel
est que jamais n’intervienne de l’extérieur, en dehors de l’immanence de
l’évolution, une exception. (Schmitt, 1988b, p. 70)
- 8 Badiou a utilisé pour la première fois à notre connaissance, dans son séminaire du 24 novembre 201 (...)
19La
dialectique, pensée comme évolution immanente, et la dictature comme
exception, sont antinomiques selon Schmitt ; l’exception est ce qui
rompt l’évolution dialectique. La dictature du prolétariat en tant
qu’exception, état d’exception révolutionnaire, est pour Schmitt ce qui
permet de rattacher le marxisme à l’idéologie juridique et à la
souveraineté étatique en bloquant le processus dialectique. Or, le
propre de la pensée de Badiou sur l’exception est au contraire de
parvenir à penser une « exception immanente »
8par le biais de l’événement, qui puisse donc s’incorporer au procès dialectique lui-même ; c’est d’en faire une
exception dialectique
qui dès lors se soustrait à l’opération schmittienne de
« dé-dialectisation » de la dictature du prolétariat par l’intermédiaire
de l’état d’exception, et au profit de la souveraineté étatique.
20Il
importe de considérer avec attention l’hypothèse schmittienne de ce
qu’on peut appeler une « étatisation de la dictature du prolétariat »
qui est solidaire d’une conception de l’exception dont se distingue
celle de Badiou. La dictature du prolétariat, chez les marxistes
classiques (Marx, Engels et Lénine), n’est pas une forme d’État ou une
forme de gouvernement, elle n’est pas une forme institutionnelle et
juridique, mais le processus révolutionnaire de la lutte des classes en
tant qu’il mène au communisme, c’est-à-dire à la société sans classe et
sans État. Elle est un mouvement dialectique, contradictoire en tant
qu’il est confronté à l’antagonisme du capital et au pouvoir d’État de
la classe dominante bourgeoise. Elle n’est pas la prise du pouvoir
d’État, mais elle suppose sa détention et sa destruction parce que la
domination de classe de la bourgeoisie s’exerce aussi par le biais du
pouvoir d’État, qui est donc le support de la dictature de classe de la
bourgeoisie, et entre ainsi dans le champ de la lutte des classes : « La
seule “alternative” historique possible au pouvoir d’État de la
bourgeoisie, c’est la détention du pouvoir d’État, d’une façon tout
aussi absolue, par le prolétariat, la classe des travailleurs salariés
exploités par le capital » (Balibar, 1976, p. 41). Dans l’avant-propos
de 1921 à La dictature qui fait écho au texte sur la
« dictature dans la pensée marxiste », Schmitt répète que « l’évolution
est “immanente” » pour le marxisme, qu’« on ne peut “faire” mûrir de
force les conditions parce que, dans cette évolution organique, une
intervention artificielle, mécanique, serait dénuée de sens pour un
marxiste » (Schmitt, 2000, p. 17). Puis il ajoute :
Mais l’argumentation
bolchevique voit dans l’activité de la bourgeoisie […] une intervention
extérieure sur l’évolution immanente, un obstacle mécanique qui barre la
route de l’évolution organique et qui doit être aussi éliminé par des
moyens également mécaniques et extérieurs. Tel est le sens de la
dictature du prolétariat qui est une exception aux normes de l’évolution
organique […]. (Ibid.)
21Schmitt
interprète la dictature du prolétariat comme l’instance de l’exception
extérieure à la dialectique de la lutte des classes. Il cherche ainsi à
la résorber dans la décision du souverain sur l’état d’exception.
- 9 Et Schmitt de faire référence à plusieurs reprises au mot d’Engels dans l’Adresse du Comité centra (...)
- 10 Sur ce point, voir aussi Slavoj Žižek, « Revolutionary Terror from Robespierre to Mao » (2008, p. (...)
22C’est
dans cette visée qu’il insiste sur la filiation entre la dictature du
prolétariat et la dictature souveraine du Comité de salut public pendant
la Révolution française : « la dictature du prolétariat […] présuppose
le concept de dictature souveraine tel qu’on le trouve au fondement de
la théorie et de la pratique de la Convention nationale » (
ibid., p. 205)
9.
Par là, il entend souligner que la dictature du prolétariat s’inscrit
dans la tradition de renforcement de l’unité de l’État souverain par sa
capacité à « éliminer tout groupement social au-dedans de l’État » (
ibid.,
p. 203). Au crédit de Schmitt, il a en effet été remarqué, notamment
par Étienne Balibar, qu’« à l’intérieur du marxisme, chez Lénine ou Mao,
l’héritage de la Révolution française est crucial pour le modèle de la
pratique politique révolutionnaire […] de sorte qu’on a là une logique
révolutionnaire qui s’inscrit dans l’horizon général d’une problématique
de la souveraineté »
10 (Balibar, 2010c, p. 232). Plus profondément encore, continue celui-ci,
… la grande formule médiévale qui dit que « le souverain est dégagé de l’obéissance à la loi » (princeps legibus solutus est)
[…] se retrouve sous une forme quasiment identique dans la définition
théologico-politique de la souveraineté chez Schmitt (« le souverain est
celui qui décide de l’état d’exception ») et dans les phrases de Lénine
sur la dictature du prolétariat comme processus par lequel une classe
détruit le pouvoir d’une autre, voire en élimine historiquement une
autre en se plaçant au-dessus des lois. (Ibid.)
23Lénine
l’indique en effet dans une phrase qu’il répète sans cesse : « La
dictature révolutionnaire du prolétariat est un pouvoir conquis et
maintenu par la violence, que le prolétariat exerce sur la bourgeoisie,
pouvoir qui n’est lié par aucune loi […]. La dictature est le pouvoir absolu, au-dessus de toute loi, de la bourgeoisie ou bien
du prolétariat » (Lénine, cité par Balibar, 1976, p. 51-52). Si Lénine
veut signifier par là que le pouvoir d’État qui se sert du droit n’est
pas fondé sur le droit mais sur un rapport de forces historiques entre
les classes, Schmitt opère un retournement interprétatif en établissant
un lien entre la dictature révolutionnaire et, comme l’observe à nouveau
Balibar, « la nécessité pour le souverain qui “décide sur la situation
d’exception” de préserver l’État au détriment du droit positif »
(Balibar, 2010a, p. 328). L’opération schmittienne consiste finalement à
voir la dictature du prolétariat, en tant qu’exception aux normes de la
dialectique, au service de la garantie de l’État plutôt que du passage
vers la société sans État.
24Quelles
conséquences peut-on finalement tirer de l’hypothèse schmittienne de
« l’étatisation de la dictature du prolétariat » ? La première est qu’on
peut donner raison historiquement à Schmitt dans la mesure où les
théorisations bolcheviques ont abouti dans leur déviation stalinienne à
un renforcement de l’État et un abandon de la lutte des classes comme
moteur des transformations révolutionnaires (Balibar, 1976, p. 27-36).
La seconde porte sur l’abandon de la notion d’exception relative à la
dictature du prolétariat, celle qui stipule que « la dictature […] en
tant qu’exception […] continue d’être placée sous la dépendance
fonctionnelle de ce qu’elle nie » (Schmitt, 2000, p. 17), que « par la
dictature est précisément niée la norme dont la domination doit être
assurée dans la réalité historico-politique » (ibid., p. 18).
Cette notion d’exception en tant que négation de sa propre finalité,
négation qui doit se supprimer elle-même, qui donne son orientation à la
dictature du prolétariat en tant que « dictature démocratique »,
négation institutionnelle de la démocratie dont elle est le moyen de
réalisation, est invalidée par son absorption dans l’État, son
incapacité à se supprimer elle-même en tant qu’exception. La troisième
est le retournement schmittien de l’exception révolutionnaire pour
construire son propre concept d’état d’exception.
25Agamben
a en effet d’ores et déjà montré que le concept schmittien d’état
d’exception était une tentative d’inscrire la violence révolutionnaire à
l’intérieur du droit lui-même. Le dispositif de l’état d’exception
élaboré dans la Théologie politique de 1922 (Schmitt, 1988a)
est une réponse à l’affirmation par Walter Benjamin d’une violence
révolutionnaire « pure », sans aucune relation avec le droit, dans son
texte de 1921, (sur la) « critique de la violence » (Benjamin, 2000a).
En tant que dispositif juridique d’inclusion de ce qui est extérieur au
droit par la suspension du droit lui-même, l’état d’exception vise à
réinscrire l’anomie, « la guerre civile et la violence révolutionnaire,
c’est-à-dire une action humaine qui a renoncé à toute relation avec le
droit » (Agamben, 2003, p. 101) à l’intérieur du droit lui-même. Tout en
restant lié à l’ordre juridique, l’état d’exception permet au souverain
de se délier de l’obéissance à la loi pour faire face à la violence
révolutionnaire soustraite au droit. Ainsi que le remarque également
Agamben,
… parmi les éléments
qui rendent difficile une définition de l’état d’exception, figure
certainement l’étroite relation qu’il entretient avec la guerre civile,
l’insurrection et la résistance. Puisque la guerre civile est le
contraire de l’état normal, elle se situe dans une zone d’indécidabilité
par rapport à l’état d’exception, qui est la réponse immédiate du
pouvoir d’État aux conflits internes les plus extrêmes. Au cours du xxe siècle, on a pu assister à un phénomène paradoxal qui a été judicieusement défini comme une « guerre civile légale ». (Ibid., p. 10-11)
26La
formule de « guerre civile légale » éclaire la relation qu’entretient
l’état d’exception schmittien avec l’exception révolutionnaire de la
guerre civile et de l’insurrection, et notamment son rapport à Lénine.
Celui-ci est en effet pour Schmitt le théoricien et le praticien de la
guerre civile et de « l’ennemi de classe », celui qui a déplacé
le concept de politique des antagonismes externes entre États et des
guerres interétatiques du droit des gens européen classique vers les
antagonismes internes entre partis de classe et la guerre civile
révolutionnaire intra-étatique. De sorte que dans la conception de
Lénine, l’État lui-même est transformé en « une arme de [la] lutte des
classes » (Schmitt, 1992, p. 107) et il va jusqu’à « concevoir l’État
comme l’instrument d’un parti ou un parti qui commande à l’État » (ibid., p. 302-303). En d’autres termes, Lénine introduit un dehors du droit
à l’intérieur même de l’État et Schmitt suggère que ce dehors est moins
utilisé en vue de la fin de l’État que pour la répression étatique de
l’ennemi de classe capitaliste (ibid., p. 258). Le retournement
schmittien opère alors en mettant explicitement dans l’état d’exception
ce dehors du droit qu’est la guerre civile au service de la
souveraineté étatique. Ainsi que l’affirme Étienne Balibar :
… c’est exactement ce
déplacement léniniste […] qui forme le point de départ de Schmitt pour
sa définition impolitique du « concept du politique », dans laquelle la
souveraineté n’est plus identifiée à un ordre légitime normalisé,
institutionnalisé, mais à la capacité d’instituer « l’état d’exception »
au cœur même de l’État, c’est-à-dire de réprimer la lutte des classes
de façon préventive, en sorte que la définition de « l’ennemi
intérieur » – celui de la « guerre civile de classe » – est […]
retournée, pour recréer le monopole de l’État et sa capacité de faire la
guerre à ses ennemis extérieurs. (Balibar, 2010a, p. 243)
27Dans
l’état d’exception, la guerre civile de classe léninienne est retournée
en une « guerre civile légale » qui exerce une contre-violence
préventive sur les soulèvements intérieurs.
- 11 Rappelons que Lénine est aussi défini par Schmitt comme le théoricien d’une « guerre civile mondia (...)
28Il
faut en conclure que les descriptions inspirées de Schmitt de l’« État
d’exception » par Agamben et de l’« état d’exception global » par Negri
et Hardt
11
sont des formes d’inversions étatiques et antidialectiques des notions
relatives à l’exception révolutionnaire. Pour le premier, l’État
d’exception contemporain est une « guerre civile légale, qui permet
l’élimination physique non seulement des adversaires politiques, mais de
catégories entières de citoyens » (Agamben, 2003, p. 11). D’abord
caractéristique du « totalitarisme moderne », elle se poursuit dans « la
création volontaire d’un état d’urgence permanent […] devenue l’une des
pratiques essentielles des États contemporains, y compris de ceux qu’on
appelle démocratiques » (
ibid.). Pour les seconds, l’état
d’exception global est « une guerre civile globale » qui n’est cependant
pas le fait d’un mouvement révolutionnaire mais des États reliés en
réseau au sein des hiérarchies de domination relative du système global.
Ces formes de l’état d’exception sont permanentes et la conception de
l’exception qui leur est relative est antidialectique dans la mesure où
elle ne prépare pas un ordre ultérieur de justice qui justifiait chez
les révolutionnaires la mise en place de l’exception, mais se justifie
au contraire par le maintien de l’ordre.
29On
aperçoit mieux, à partir de l’esquisse de la circulation, des
transferts et des captures généalogiques de la notion d’exception entre
la révolution et l’État, l’intérêt de renouveler la pensée de
l’exception et la portée de la conception de Badiou. Certes, on ne peut
plus penser la révolution comme état d’exception à l’État de droit parce
que nous avons affaire non pas à celui-ci mais à l’« État
d’exception ». Mais d’autant plus que c’est très précisément cet état
d’exception révolutionnaire « classique » à l’État de droit qui a été
capturé et retranscrit dans l’« État d’exception », non plus contre
l’État mais comme moyen d’exercice du pouvoir d’État lui-même. La notion
d’exception relative à la dictature du prolétariat comme processus de
réalisation du communisme et de la démocratie qui passe par son
contraire, comme négation institutionnelle – vouée à s’auto-supprimer –
de sa propre finalité, n’est donc peut-être plus tenable. Son
retournement antidialectique dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une
guerre civile légale et mondiale permanente appelle à une
ré-articulation des rapports entre exception et révolution.
30En
termes plus philosophiques, il s’agit peut-être d’abandonner la
dimension transitive de la « négation de la négation » à l’œuvre dans la
dictature du prolétariat, car celle-ci prête le flanc à la critique
schmittienne qui y voit une greffe extérieure de l’exception sur la
dialectique de la lutte des classes. Avec Badiou, on peut penser plus
encore qu’une exception dialectique, une « dialectique de l’exception »,
où l’exception est immanente au procès dialectique. Ainsi, l’exception
n’est pas la figure d’une transition vers un nouvel ordre, mais d’une construction
qui coïncide dans le procès dialectique avec l’affirmation du nouvel
ordre ; on doit pouvoir la penser non pas comme opération
d’auto-suppression transitoire mais comme opération immanente de
construction contradictoire.
31C’est
suivant cette distinction qu’on peut lire la prescription de Badiou
selon laquelle « un des contenus de l’Idée communiste aujourd’hui – et
cela contre le motif du communisme comme but à atteindre par le travail
d’un nouvel État – est que le dépérissement de l’État est sans doute un
principe qui doit être visible dans toute action politique » (Badiou,
2009b, p. 202). Cela revient à imaginer et à pratiquer, observe Étienne
Balibar en faisant allusion à Badiou, « l’anticipation du communisme
comme émancipation collective, au sein du mouvement et des institutions
ou organisations qui le préparent. C’est toute la question d’une auto-institution du communisme par
les “communistes” eux-mêmes, dans leurs propres rapports
d’organisation, en vue de sa généralisation révolutionnaire à toute la
société » (Balibar, 2010b). La norme de référence du nouvel ordre doit
être une production interne de la pratique révolutionnaire. Et Balibar
de préciser :
Le seul fait de poser
cette question constitue une rupture avec la tradition de la « dictature
du prolétariat », telle qu’elle s’est théorisée après Lénine, puisque
celle-ci repose sur l’idée apocalyptique d’un avènement de la démocratie
absolue qui passe par son contraire, et même par sa négation institutionnelle. Mais inversement l’idée d’une institution de lutte pour le communisme qui doit par avance le
réaliser en elle-même (ou en préfigurer l’avènement) renvoie, à travers
les « associations » du socialisme utopique, à la politique messianique
des premières communautés chrétiennes (qui sont sans doute aussi, en
Occident, les premiers lieux de cristallisation de ce qu’on appelle
aujourd’hui « l’hypothèse communiste »). (Ibid.)
32Cette
auto-institution du communisme est-elle pour autant suffisante ? Et
est-elle compatible avec l’affirmation de Badiou selon laquelle la
politique d’émancipation s’accompagne toujours de « moments de terreur »
(Badiou, 2006, p. 98) ? Elle ne répond pas en elle-même au problème de
sa généralisation révolutionnaire à toute la société, qui doit affronter
la réalité de l’État d’exception en tant que présence de la violence
illimitée dans l’ordre légal contemporain. Car ce que traduit l’État
d’exception, c’est que les « démocraties » contemporaines sont dans un
« seuil d’indétermination » avec le totalitarisme (Agamben, 2003,
p. 11), ou qu’elles ont aussi bien la « forme de la dictature » (Žižek,
2008, p. 412-413), tout au moins qu’elles comportent une « face
d’exception » (Balibar, 2010a, p. 328). Comment faire face à un tel
contexte sans l’élément de contre-violence auquel pourvoyait l’unité
organique du Parti dans la dictature du prolétariat ?
33La
position de Badiou est celle d’une nouvelle articulation de l’égalité
et de la terreur ou de l’auto-institution du communisme et de la
destruction. Il ne s’agit plus d’exercer la terreur ou la destruction au
nom de l’égalité ou du communisme à venir, mais de détruire dans la
mesure même où l’on pratique l’égalité. Autrement dit, la destruction
doit être immanente au processus pratique d’affirmation de l’égalité,
elle doit résulter de la formation de l’exception égalitaire. Si l’on
conserve la formule de « dictature démocratique » utilisée par Lénine
pour qualifier la dictature du prolétariat, il s’agit moins d’insister
sur l’élément de la dictature en faisant de la démocratie un simple
horizon, que sur l’élément démocratique – suivant son acception
révolutionnaire égalitaire et non en tant que strict procédé électoral
suivant son acception libérale – qui, poussé dans ses ultimes
conséquences, rencontre nécessairement un passage par la violence
dictatoriale qui se mesure à l’élément dictatorial (de violence
irréductible) de l’État d’exception lui-même. En ce sens, on pourrait
être tenté d’inverser la formule de Lénine dans celle de « démocratie
dictatoriale ». La pratique politique correspondante, en tant que
pratique démocratique, devrait, quoi qu’il en soit, échapper à la
reproduction d’inégalités et de hiérarchies à l’intérieur du camp de
l’émancipation, fût-ce au nom de l’avancement de la révolution. Cela
revient finalement à opposer plutôt que la dictature du prolétariat à la
dictature de la bourgeoisie, une pratique de l’exception démocratique
révolutionnaire à « l’état d’exception planétaire » qui, sous couvert de
« démocratie », organise les existences contemporaines.